De quelle manière les collectivités territoriales intègrent-elles l’IA pour optimiser leurs missions ? Comment les élus et les agents publics s’approprient-ils les outils d’IA pour répondre aux enjeux de proximité, de transparence et d’anticipation des besoins ? Éléments de réponse avec quatre experts du sujet.

Plus d’une collectivité sur deux (51 %) déclare avoir mis en place un système d’intelligence artificielle ou en prévoir un dans l’année à venir, selon l’observatoire Data Publica publié en novembre 2024. Les domaines de prédilection de l’IA sont l’administration interne (29 %) et la relation usagers (11 %), les enjeux smart city (mobilité, eau, déchets, sécurité) recueillant pour leur part chacun aux alentours de 10-12%. Les résultats de cette étude, réalisée avec le concours de la Banque des Territoires, La Poste et Orange, soulèvent un certain nombre de questions : comment les services publics s’adaptent-ils à l’émergence de solutions basées sur l’IA pour améliorer l’efficience des services rendus aux citoyens ? Quelles mutations l’IA entraîne-t-elle sur les dynamiques économiques locales, notamment en matière d’emploi, de formation et d’attractivité des territoires ?

« Le financement du modèle français se fonde essentiellement sur la croissance qui, depuis quelques années, devient de plus en plus imprévisible. Pour réfléchir à une nouvelle économie (dont les ressources ne sont pas infinies), plusieurs méthodes s’offrent à nous : penser autrement le partage des richesses, mais aussi la productivité. L’IA, et plus globalement l’innovation, fait bien entendu partie intégrante des réflexions », déclare en introduction Jérémy Pinto, Vice-Président de la Communauté urbaine Creusot Montceau, Smart territoires, à l’occasion du Forum INCYBER des Territoires qui a eu lieu au Creusot les 22 et 23 mai derniers.

Au-delà de la productivité, c’est aussi la sécurité que l’IA permet d’améliorer. « Nous utilisons l’IA au sein des centres de tri pour éviter les bourrages (trop-plein de déchets) et détecter les objets dangereux comme les bonbonnes de gaz ou les batteries. Sur une journée de production, nous générons une quantité stratosphérique de données que seule l’IA peut gérer », ajoute Théo Petitjean, Docteur en Intelligence Artificielle et vision par ordinateur / Ingénieur R&D chez Wasoria, une start-up basée à Beaune (Côte-d’Or) et spécialisée dans la conception et le développement de solutions pour améliorer le tri et la valorisation des déchets.

IA : adopter une démarche holistique

Quant à Nicolas Berthaut, Directeur général de l’Agence régionale du numérique et de l’intelligence artificielle (ARNia), il recommande de son côté d’adopter une démarche holistique : « Ce qui caractérise l’IA aujourd’hui, c’est son côté révolutionnaire et exponentiel. Nous sommes dans une période de tectonique des plaques. Nous avons besoin de suivre cette vague de fond, mais il nous faut auparavant réfléchir à un certain nombre de questions liées à la sécurité, à l’éthique, à l’environnement et à la notion de travail ».

Pour illustrer son propos, Nicolas Berthaut relate l’expérimentation qui a été menée pendant douze mois auprès de neuf collectivités territoriales. Ces dernières ont été accompagnées par l’ARNia afin de tester un outil (proposé par la startup Delibia) spécialisé dans la rédaction de délibérations grâce à l’IA générative. « L’outil est puissant, il est capable de rédiger intégralement des délibérations. Ce que nous avons constaté dans le cadre de cette initiative, c’est que les usages sont assez simples. Les personnes qui s’en servent demandent généralement à l’IA de réaliser des résumés, et non de rédiger un délibéré de A à Z », témoigne-t-il.

Quelques mois plus tôt, en février 2025, Kévin Riva, Chef de service au sein de la Communauté Mâconnais-Beaujolais Agglomération, a donné un éclairage complémentaire à l’occasion d’un Forum organisé à Dijon et intitulé « Quelle IA désirons-nous dans les territoires ? » : « Nous avons fait le choix de mettre cette solution à disposition de tous les agents, quel que soit leur statut et leur grade. L’objectif était qu’ils puissent s’en emparer et réaliser leur propre expérimentation. Une partie des agents en a énormément profité. Cette solution donne une valorisation à certains métiers ».

Les compétences au cœur des enjeux liés à l’IA

La montée en puissance de l’IA pose la question des compétences, celles qu’il est nécessaire d’acquérir afin d’utiliser avec efficacité les outils disponibles. « Dans les cinq ans qui viennent, 60 % des métiers seront impactés par l’IA. Et nous savons que sur cent métiers impactés, il y en aura 90 pour lesquels une connaissance technique approfondie de l’IA sera inutile. Il est donc nécessaire d’introduire de nouvelles compétences dans les formations pour répondre à ces enjeux. Il faut aussi développer une pensée analytique, une capacité de prise de recul et une culture assez grande pour pouvoir juger, amender et contredire l’IA », note David Fofi, Directeur du département robotique chez Polytech Université de Bourgogne.

David Fofi attire également l’attention sur l’importance de la donnée : « Celui qui possède la donnée et les centres de calcul est le ‘maître’ du monde. Mais cette donnée peut être piratée et partagée. Quand vous donnez à ChatGPT l’ensemble des discussions ayant eu lieu dans le cadre d’une assemblée territoriale pour rédiger un délibéré, vous donnez des informations à une structure informatique que vous ne connaissez pas ». Quant à Nicolas Berthaut, il conclut en ajoutant : « L’explicabilité va devenir de plus en plus difficile à obtenir, notamment avec la montée en puissance des agents IA. Certains de ces agents effectuent déjà des tâches de manière autonome, en discutant entre eux. Ils se challengent et se posent réciproquement des questions. Dans ce cadre, expliquer ce qu’il se passe devient compliqué pour celle ou celui qui les utilise ».

Face à l’émergence de l’intelligence artificielle, les collectivités territoriales se trouvent à un carrefour stratégique. Si les opportunités en matière de gestion des services publics, de relation aux usagers ou encore d’optimisation des ressources sont réelles, elles s’accompagnent de défis tout aussi significatifs. L’intégration de ces technologies impose de repenser les compétences au sein des organisations, de renforcer la culture numérique des agents et d’aborder de front les questions éthiques, environnementales et de souveraineté des données.

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