
L’Afrique doit faire de sa jeunesse le socle d’un pôle mondial de compétences en cybersécurité
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Avec plus de 60 % de sa population âgée de moins de 25 ans, la population africaine concentre la plus grande réserve de talents au monde. Cette jeunesse connectée, agile et avide de changement constitue une force motrice pour les économies du continent. Mais elle évolue dans un environnement numérique encore fragile, souvent peu régulé, et trop faiblement protégé.
Pour rappel, en 2023, l’Afrique aurait enregistré des pertes économiques estimées à plus de 4 milliards de dollars liées aux cyberattaques, soit 10 % de son produit intérieur brut (PIB) selon un rapport publié par INTERPOL. Et alors que les entreprises, les institutions publiques, les systèmes financiers et même les infrastructures critiques se digitalisent à grande vitesse, les capacités de réponse en matière de cybersécurité restent limitées, éclatées, voire inexistantes dans certaines zones.
Le continent souffre d’un manque alarmant de compétences locales. Les rares experts sont concentrés dans les grandes capitales, tandis que la majorité des PME, des collectivités et même des services publics opèrent sans réel dispositif de protection. Mais il en est de même à l’échelle mondiale où la pénurie de professionnels en cybersécurité atteint aujourd’hui près de 4 millions de postes non pourvus d’après l’étude 2023 de l’ISC2 ! Cette guerre des talents crée une tension croissante entre les grandes puissances numériques.
Dans ce contexte, notre continent a une carte stratégique à jouer – et peut devenir, s’il s’en donne les moyens, le réservoir mondial de compétences en cybersécurité. Comment ? En s’appuyant sur sa jeunesse, son potentiel d’innovation, et une volonté politique réaffirmée de construire une souveraineté numérique durable.
Les pays africains doivent affirmer une approche autonome, inclusive, fondée sur la montée en compétences de leurs propres ressources humaines, sur l’émergence d’un entrepreneuriat technologique ambitieux et sur la structuration de partenariats intelligents.
Ceci implique une réforme en profondeur de l’écosystème de formation, avec des cursus adaptés aux besoins, dès le secondaire, jusqu’à l’enseignement supérieur. Mais cela suppose aussi de créer un environnement propice à l’essor de start-up locales spécialisées en cybersécurité, capables de concevoir des solutions conçues pour et par les acteurs locaux.
Cela dit, des initiatives inspirantes existent déjà. À l’Institut National Polytechnique Houphouët-Boigny (INPHB) en Côte d’Ivoire, des formations spécialisées en cybersécurité attirent une nouvelle génération d’ingénieurs. Au Nigeria, la Cybersafe Foundation œuvre pour l’inclusion des jeunes femmes dans le secteur, avec des résultats probants. À travers le continent, des programmes de mentorat, de certification et d’incubation émergent, souvent portés par des acteurs engagés de la société civile ou des entreprises visionnaires.
En effet, la cybersécurité est profondément géopolitique. Elle touche aux rapports de force entre nations, à la maîtrise des flux d’information, à la protection des données, à l’indépendance des infrastructures critiques. Une Afrique qui dépend entièrement d’acteurs extérieurs pour sa sécurité numérique compromet sa capacité à contrôler son avenir. Une Afrique qui forme, qui entreprend et qui coopère intelligemment affirme sa souveraineté et contribue au système international.
À travers notre expérience sur le terrain, nous constatons chaque jour l’appétence, le talent, l’intelligence dont font preuve nos jeunes lorsqu’ils sont correctement outillés. C’est cette énergie que nous devons canaliser et institutionnaliser. D’autant plus que notre marché de la cybersécurité est en pleine expansion, avec une valeur projetée, selon Mordor Intelligence, à 1,28 milliard de dollars d’ici 2029, contre 0,6 milliard en 2024.
Mais au-delà des chiffres, ce sont les fondations d’un modèle alternatif qu’il s’agit de poser. Un modèle qui privilégie la co-construction, la mise en réseau des centres d’excellence, l’implication active des diasporas, et la capitalisation sur les complémentarités entre pays. Or, ce modèle ne peut reposer que sur une vision panafricaine assumée, dotée de mécanismes de coordination, de mutualisation des bonnes pratiques et de diplomatie numérique proactive.
La décennie qui s’ouvre doit être celle de la structuration d’un pôle de compétences en cybersécurité à l’échelle du continent. Nous avons les talents. Nous avons l’urgence. Il ne manque que la volonté collective.