
- Accueil
- Souveraineté numérique
- « La souveraineté, c’est le sceptre, et la cyber, l’épée » : entretien avec Bertrand Leblanc-Barbedienne, Souveraine Tech
« La souveraineté, c’est le sceptre, et la cyber, l’épée » : entretien avec Bertrand Leblanc-Barbedienne, Souveraine Tech



Pouvez-vous présenter Souveraine Tech à nos lecteurs ?
Souveraine Tech est une association 1901 créée en 2022, dont la principale activité est assurée par un média éponyme, dédié à la veille, la défense et l’illustration de la souveraineté technologique.
Le média a publié près d’une centaine de grands entretiens et organisé deux colloques nationaux à Saint-Malo. L’un en 2023, l’autre en 2024. Une troisième édition est prévue le vendredi 12 septembre au Palais du Grand Large de Saint-Malo.
Souveraine Tech est suivi par plus de 38 000 personnes sur LinkedIn et 20 000 sur X.
C’était au départ une petite prélature médiatique qui est devenue un vrai média, plutôt idiosyncratique, c’est vrai. Et c’est peut-être là ce qui a fait son succès.
Quels buts poursuit votre média ?
Ils sont au nombre de trois.
Le premier : nous ambitionnons d’infléchir le cours des décisions des pouvoirs publics. Plus que le caillou dans la chaussure, la mouche du coche ou l’oie du Capitole, j’aime à dire que Souveraine Tech est le bourdon de ces questions, la voix grave et tenue du chant orthodoxe.
Le deuxième : nous cherchons à susciter le foisonnement entre tous les acteurs, petits et grands, publics ou privés, qui sont peu ou prou engagés dans la défense ou l’illustration des intérêts technologiques de notre pays. Rien ne naît de puissant hors de cette dentelle humaine. Il faut donc lutter contre un tropisme assez gaulois où chacun quitte rarement des yeux le château de sable auquel il travaille pour aller ce que pourrait ajouter la pelle ou le saut du voisin qui dresse le sien juste à côté.
Le troisième enfin : nous nous employons à sensibiliser le grand public aux enjeux de la souveraineté technologique. Il est impossible de changer les états d’esprit sans s’adresser directement à nos compatriotes, qui ne sont pas nécessairement tous émoulus d’une école d’ingénieur. Un exemple parmi d’autres : si vous ne prenez pas le temps de poser le cadre, de vulgariser les termes, de mettre les choses en perspective, en quoi la question de l’hébergement de nos données de santé peut préoccuper madame ou monsieur Toutlemonde ?
J’en ajouterais bien un quatrième qui est de fortifier ce média, au sens poliorcétique du terme. Cela suppose de rencontrer les bonnes et rares personnes qui possèdent également deux choses : la volonté et les moyens de lui donner forme.
Quelle est votre vision personnelle de la souveraineté ?
Elle est notre bien le plus cher. La prunelle de nos yeux, comme disait Saint Jean Paul II. Tout républicain honnête devrait le comprendre. Je vous parle de la souveraineté nationale, bien sûr, pas de celle dont nous on rebat les oreilles en ce moment. Cette histoire de « souveraineté européenne » (sic), cet oxymore (de rire), c’est un triste putsch lexical qu’il faut démonter. Il est des souverainetés d’Europe qui nous garantiront cette montée en puissance dont nous avons besoin. J’aime l’idée ancienne de condominium, qui devrait nous permettre de formaliser des accords intelligents entre nations souveraines, ou entre sociétés. Regardez par exemple, dans la cyber, le potentiel immense d’une entreprise franco-italienne comme REEVO. C’est sur ce terrain qu’il faut bâtir, par le bas, avec agilité et un sens aigu des intérêts respectifs de chacun bien compris, nos champions européens. Je crois aussi que notre vision de la souveraineté, de défensive, est heureusement en train de devenir non pas offensive, ni agressive, mais assertive. La seule chose que demande la souveraineté, comme la puissance, c’est d’être exercée. Nous commençons à peine à le comprendre. Le revers de la souveraineté ad intra, c’est l’esprit de conquête ad extra. Et là, c’est une autre histoire. Ma chère mère disait de ses trois enfants alors que nous étions adolescents : je lâche mes coqs et je veille sur mes poules !
Que placez-vous sous le vocable technologique ?
Tout, absolument tout ce qui concerne un outil dont il faut se demander si nous devons nous en doter, comment nous devons nous en servir et à quelles fins. Il ne faut pas confondre la technologie avec la technique. La technologie consiste selon moi à porter sur les outils et moyens un regard anthropologique. Plus qu’aucun autre parmi ces derniers, l’IA nous invite à la hauteur de vue propre à cette discipline.
Quel regard portez-vous sur le monde de la Cyber ?
La cyber, c’est le gouvernail dans une mer démontée. C’est un univers qui devient chaque jour plus proche de l’environnement régalien, dans notre monde innervé par la donnée. J’aime bien l’idée que la souveraineté, c’est le sceptre, et la cyber, l’épée.
La souveraineté technologique constitue t-elle un sujet politique à vos yeux ?
C’est le principal sujet politique de notre ère. Pour quelle raison ? Parce qu’alors que les détenteurs d’outils technologiques (les big techs et consorts) excèdent désormais la puissance des vieux Etats, nous devons, face à l’efficacité, au rendement ou à l’optimisation, nous montrer capables de donner, encore et toujours, force au droit, et à lui seul. C’est cela, et rien d’autre, les valeurs européennes.
Des champions de la souveraine tech dont vous voudriez parler ?
Je ne pense pas forcément qu’à des entreprises, au premier rang desquelles je ne peux m’empêcher de citer la pépite tricolore Whaller dont je suis proche, mais aussi Nation Data Center, Icodia, Faveod, ou encore des géants du CAC comme le Crédit agricole ou encore Worldline. Mais il y a aussi des écoles comme l’école 18.06 qui est une écurie à champions. Et enfin, il y a les corsaires de la souveraineté, des profils pleins de souffle comme Nicolas Moinet, Arnaud de Morgny, Sébastien Tertrais, Philippe Chabrol, Camille Adam, Frédéric Pierruci, Arnaud Montebourg, Thomas Fauré, Philippe Latombe, Anaïs Voy-Gillis, Claude Revel…
Ceux que j’oublie de citer me pardonneront.
Pourquoi faites-vous fréquemment référence à Saint-Malo dans communications ?
Parce que c’est là où j’ai fondé Souveraine Tech, ou plutôt là où je l’ai amarré !
C’est un lieu exceptionnel qui donne courage quand il vient à vous manquer. C’est un endroit chargé d’histoire, qui dit et notre grandeur et notre petitesse. La mer est là en permanence, mais elle connaît aussi la bataille des grandes marées. Permanence, mouvement, lutte… C’est un absolu visitable que je me prive rarement d’aller visiter. Je m’y plonge même tant que la température de l’eau n’est pas inférieure à 13 degrés. Saint-Malo offre surtout le parfait récit de la métaphore à filer lorsqu’il s’agit de hisser le drapeau de la souveraineté. Nul riverain un peu pénétré des mannes qui flottent au dessus de la cité corsaire ne songe décemment à autre chose qu’à demeurer, qu’à défendre et qu’à conquérir.
Quelle perception avez-vous de l’action des pouvoirs publics en matière de cyber et de souveraineté ?
Comment dire….? Peut mieux faire ! Souveraine Tech m’a permis de tisser un réseau, un filet, assez impressionnant. Vous dire le nombre d’experts rencontrés, passionnés, consacrés à la passion de ce pays, tout dévolus, parfois jusqu’à l’oblation, à la défense de ses intérêts supérieurs ! Eh bien ces gens-là ne sont pas toujours, hélas, en capacité d’actionner les leviers qu’on a placés dans les mains des soupirants de l’étoile en plus sur le képi ou le capot du coucou (assonance, n’est-ce pas ?) J’attends avec impatience la reprise de la musique autour des chaises musicales. Le moment est peut-être venu d’asseoir les bonnes personnes aux bonnes places. Pour le reste, et pour ne pas donner trop l’impression de priser l’ironie, je suis assez admiratif de ce que l’ANSSI a mis en place avec le référentiel SecNumCloud. Il faudrait juste que l’Etat aille au bout de sa démarche et enjoigne clairement aux organisations publiques de choisir par principe les solutions qualifiées. Vous ne préparez pas des cannassons pour la lice si c’est pour les laisser brouter dans le pré en attendant qu’on veuille bien les mener à la victoire !
Pour conclure, pouvez-vous nous parler du colloque que vous organisez à la rentrée ?
C’est le troisième, et nous l’avons consacré cette année au lien Armée-Nation-Innovation. J’ai entendu, ici et là, et je crois sans manifestation de flagornerie, que son casting était « impressionnant ». Je laisse vos lecteurs se faire une opinion sur la question. Ce que je peux leur promettre s’ils nous font l’amitié de nous y rejoindre le vendredi 12 septembre au Palais du Grand Large de Saint-Malo, c’est qu’ils en sortiront enrichis : en iode, en souvenirs, en rencontres, en idées, et peut-être aussi (sûrement) en calories et en audace. Rendez-vous en septembre !
la newsletter
la newsletter