
Avec Viginum, la France se renforce dans la lutte contre les fake news
Le 12 janvier 2022, plus de 80 organismes de fact-checking, parmi lesquels le média français Les Surligneurs et la communauté scientifique lancée depuis la France, Science Feedback, ont appelé le patron de YouTube à faire bien plus pour lutter contre les fausses nouvelles (fake news) sur sa plateforme de vidéos. « Cela fait bientôt deux ans que la pandémie de Covid-19 a commencé […] et, chaque jour, nous constatons que YouTube est l’un des principaux vecteurs de désinformation en ligne dans le monde, clament-ils dans leur lettre ouverte. Nous ne voyons pas un grand effort de la part de YouTube pour mettre en œuvre des politiques qui s’attaquent au problème. »
Si aucun expert du sujet n’en doutait, cet épisode montre bien que la lutte contre la désinformation, qui a dû regorger d’imagination face à la vague de fake news inédites drainée par la pandémie, devra encore se renforcer en 2022 et les années suivantes. Et pour cause : « Si la diffusion de fausses informations et leur manipulation à des fins politiques ou commerciales est désormais un phénomène largement connu, on a encore l’impression que ceux qui apportent des solutions contre la désinformation sont en retard sur ceux qui la propagent », regrette David Lacombled, président du think tank La Villa Numeris et animateur de la table ronde « Comment lutter contre les fake news ? » organisée le 8 septembre 2021 à l’occasion du Forum International de la Cybersécurité, à Lille.
Ce retard s’explique majoritairement par deux facteurs. Tout d’abord, parce qu’une fake news, généralement bien plus attractive qu’une vraie information, circule beaucoup plus vite. « Une fausse nouvelle est six fois plus partagée qu’une vraie », a calculé Henri Verdier, ambassadeur de France pour les affaires numériques, invité à la table ronde du FIC. Ensuite, les termes « fake news » et désinformation » rassemblent « des réalités différentes », a-t-il aussi souligné. « L’enjeu est de lutter contre l’interférence étrangère dans nos processus démocratiques », a-t-il insisté. C’est pourquoi de nombreux think tanks, associations et médias redoublent d’ingéniosité pour identifier et traquer les fausses nouvelles, parmi lesquels Aday et Newsback, deux sociétés fondées par Jean-Frédéric Farny, autre invité de la table ronde.
Une lutte « pas que technologique, mais aussi juridique »
Un fois le constat établi, l’objectif de la table ronde du FIC était de « faire prendre conscience à des professionnels de la donnée que la lutte contre la désinformation est un combat qui n’est pas que technologique, mais aussi juridique », indique quant à lui David Lacombled, interrogé par inCyber. Et dans ce domaine, « le cadre législatif et réglementaire français est en constante évolution », note ce dernier, citant l’adoption, en décembre 2018, de la Loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, qui comprend des volets spécifiques pour la lutte contre la désinformation en période électorale, ou encore la création de la commission Les Lumières à l’ère numérique – dite commission Bronner, du nom de son président, le sociologue Gérald Bronner – chargée, en septembre 2021 par Emmanuel Macron, de faire des propositions dans les champs de l’éducation, de la régulation, de la lutte contre les « diffuseurs de haine » et de la désinformation.
Mais l’avancée majeure du gouvernement français en termes de lutte contre les fake news est sans conteste la création, en juillet 2021, du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères – plus communément appelé VIGINUM. Ce nouvel organisme, représenté lors de la table ronde du FIC par son directeur adjoint, Marc-Antoine Brillant, « va permettre de coordonner les moyens de l’État, de ses administrations et de ses ministères, qui étaient jusqu’à aujourd’hui relativement disséminés face à des groupes très organisés », s’enthousiasme David Lacombled.
Mais attention, alerte le fondateur de La villa numeris : « Quand l’État se mêle de la lutte, il est immédiatement soupçonné de, lui-même, se comporter en manipulateur. On l’a bien vu à l’été 2020, quand le service d’information du gouvernement français avait publié un répertoire de publications de fake news. Une partie des citoyens s’en était émue sur les réseaux sociaux et cette page avait été très rapidement enlevée. » C’est pourquoi « il revient maintenant à VIGINUM de fédérer le rassemblement des acteurs de la société civile – associations, think tanks, éducateurs, médias, entreprises privées… », lance David Lacombled.
La priorité : sensibiliser les entreprises privées et le jeune public
Ensemble, le gouvernement, les médias et les organisations de la société civile auront deux axes principaux dans leur feuille de route, estime l’animateur de la table ronde : embarquer avec eux les entreprises privées et mieux intégrer la lutte contre la désinformation dans l’éducation.
« Encore aujourd’hui, sur de nombreux sites propageant des fake news, on trouve des annonceurs qui ont pignon sur rue, regrette David Lacombled. Ces derniers n’ont certes pas décidé sciemment d’aller annoncer sur ces sites mais ils y sont entraînés via des apporteurs de publicités – appelés brokers et, en tout état de cause, financent des sites. » D’après lui, l’un des rôles de VIGINUM sera notamment de sensibiliser les entreprises françaises à cet état de fait et à les convaincre d’arrêter de financer ces mécanismes de désinformation.
« Il faut aussi œuvrer sur la partie éducative pour que les citoyens prennent conscience de la responsabilité qui est la leur, ne serait-ce que dans le partage d’informations et qu’ils soient mesurés dans leurs commentaires et dans la manière dont ils les transfèrent », détaille le fondateur de La villa numeris.
Besoin d’une « doctrine d’État anti-fake news »
Mais ce qui manque le plus pour atteindre ces objectifs, c’est avant tout « une doctrine d’État anti-fake news », assure David Lacombled. « Qui dit doctrine, dit moyens pour agir, poursuit-il. La création de VIGINUM va dans ce sens car il y a désormais une coordination de tous les services de l’État pour mieux lutter mais ce n’est pas parce que vous assemblez leurs moyens que ça en fait un mécanisme efficace. A l’avenir, il faudra donc allouer des moyens plus importants pour permettre d’avoir une surveillance accrue, des juristes qui analysent et conseillent pour savoir quand il y a matière à porter plainte et pour former et partager de bonnes pratiques avec des entreprises qui n’ont pas nécessairement les moyens d’avoir ce genre de compétences en interne. »
A l’image de « la doctrine pour la défense des libertés humaines que les États du bloc occidental ont lancée après la Seconde guerre mondiale », le gouvernement français devra rapidement s’entourer de partenaires, comme le Royaume-Uni, « qui s’est doté de moyens encore plus conséquents que la France », l’OTAN, « qui est train de s’armer contre la désinformation », et l’Union européenne, « qui a réuni des acteurs pour édifier un code de lutte contre la désinformation, via le Directorat général des réseaux de communications, des contenus et des technologies (DG-CNCT) », argue le fondateur de La villa numeris. « L’enjeu est aujourd’hui d’apporter une réponse adaptée et elle ne peut être que la plus globale possible », conclut-il.
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