Réseaux 5G, normalisation, proposition d’un nouvel internet… Depuis quelques années, la Chine multiplie les initiatives internationales dans les domaines du numérique et de la cybersécurité. Un activisme « tous azimuts » qui répond à une stratégie bien organisée, et à des besoins clairement identifiés.

Une définition très extensive de la cybersécurité

Si la Chine apparaît comme très active dans le domaine de la cybersécurité, c’est d’abord parce qu’elle en a une définition beaucoup plus extensive que celle ayant cours en Occident. Alors qu’à l’Ouest la cybersécurité s’est longtemps limitée à la sécurité des couches matérielles et logiques, résumée par la Triade « DIC » (Disponibilité, Intégrité, Confidentialité), elle recouvre en Chine également la couche sémantique, et notamment « le contrôle du contenu », soulignait Rogier Creemers, chercheur à l’Université de Leiden (Pays-Bas) lors du dernier Forum International de la Cybersécurité (FIC). L’usage d’un réseau social comme Facebook pour y promouvoir des informations potentiellement erronées lors de l’élection américaine de 2016 aurait ainsi été un enjeu de cybersécurité pour la Chine, ce qui, en l’absence de cyber attaque, ne l’était pas pour les États-Unis.

C’est dans ce cadre qu’on peut comprendre des initiatives telles que le New IP, le protocole internet « nouvelle génération » que la Chine et Huawei avaient présenté en 2019 devant l’Union internationale des télécommunications. Au-delà de sa capacité à transporter plus rapidement que le protocole traditionnel TCP/IP des données toujours plus volumineuses, ce nouveau protocole proposait de mettre à disposition des autorités un « kill switch » permettant de stopper le mouvement de données partant ou allant vers une adresse IP. De même, il est significatif que plusieurs des groupes à l’origine d’APT (Advanced Persistent Threat) engagés depuis la Chine dans des actions cyber-offensives, se donnent, à côté de leurs objectifs économiques ou technologiques, de véritables objectifs politiques, notamment dans le cadre de la lutte contre ce que le pouvoir chinois appelle les « 5 poisons » – Tibétains, Ouïghours, secte Falun Gong, mouvement indépendantiste taïwanais, mouvement pro-démocratie en Chine.

 

Une indépendance encore incomplète

Dans la perspective chinoise, la volonté de contrôle politique et social à l’intérieur se double d’une volonté d’indépendance technologique et commerciale vis-à-vis de l’extérieur. Un objectif encore loin d’être atteint comme l’illustre le cas Huawei, qui, après une ascension qui semblait irrésistible dans le secteur du smartphone, a durement souffert de l’interdiction d’installer le système d’exploitation et les services de Google sur ses smartphones, puis de l’annulation de ses commandes auprès du fabricant taïwanais de semi-conducteurs TSMC, leader mondial dans le domaine. C’est le constat d’une mondialisation qui leur était moins favorable qui a poussé les autorités du PCC à mettre l’innovation et l’autonomie technologique au cœur du quatorzième plan quinquennal (2021-2025), adopté le 11 mars dernier par l’Assemblée nationale populaire de Chine.

Traditionnellement, la Chine effectue un travail de veille technologique permanent grâce notamment aux agents du ministère de la Science et de la Technologie, afin de cibler des innovations pouvant intéresser son industrie et son économie. Elle bénéficie dans le même temps d’une force de frappe numérique exceptionnelle grâce à son concept de « fusion civilo-militaire », qui mobilise au service de ses objectifs politiques et économiques l’ensemble des forces de la société civile, allant des géants chinois du numérique, les « BATX » (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), aux universités. Pourtant, la seconde puissance économique mondiale accuse encore un certain retard en matière de compétences. C’est pour répondre à ce besoin qu’elle a lancé la construction en 2017 d’un National Cybersecurity Talent and Innovation Base à Wuhan, avec là aussi pour objectif de réduire sa dépendance aux technologies étrangères. Pour ce faire, le centre formera des étudiants et des professionnels et fera office de pépinière de talents et d’innovation.

 

La tentation du repli ?

La naissance de ce centre à Wuhan est par ailleurs le symptôme d’une dé-globalisation de plus en plus acceptée par la Chine, qui veut pouvoir garder la main sur des capacités techniques que les Occidentaux pourraient bien lui refuser demain – en attestent les sanctions américaines depuis l’ère Trump, toujours en cours sous la présidence de Joe Biden. Ce changement de paradigme est ainsi présent dans le dernier plan quinquennal sous la forme du concept de « double circulation », qui met l’accent, à côté d’une ouverture au monde persistante, sur un marché intérieur en croissance et plus innovant, mais aussi plus contrôlé. On assiste ainsi depuis un an à une reprise en main par les autorités chinoises des grandes entreprises de la tech comme Alibaba, Meituan ou bien Didi qui se sont vues infliger des amendes importantes pour abus de position dominante. De nouvelles lois sur la protection des informations personnelles et d’autres sur la sécurité des données sont également entrées en vigueur. Ces réglementations vont obliger les entreprises à traiter et stocker les données chinoises en Chine et pourraient demain empêcher ou compliquer l’entrée en bourse à l’étranger d’entreprises en possession de ces mêmes données. Un changement déjà en marche, comme le montre le cas du spécialiste du VTC Didi, pour qui les ennuis se sont accumulés depuis son introduction à la bourse de New-York le 30 juin dernier.

La tendance est ainsi à une Chine allant chercher plus volontiers chez elle ce qu’elle poursuivait auparavant à travers le monde, ouvrant la porte à la tentation du repli. Car, il faut le rappeler, c’était la nécessité économique qui avait poussé Deng Xiaoping à mettre en place en 1978 sa politique dite de « réforme et d’ouverture » afin d’attirer les capitaux et le savoir-faire des pays développés. Plus de 40 ans plus tard, la Chine est devenue un pays leader dans de nombreux secteurs de pointe, et a pu se permettre de voir la capitalisation boursière totale de ses 6 plus grandes entreprises tech fondre de 1000 milliards de dollars en moins d’un an sans sourciller. La notion de « nécessité » a bien changé. La question est donc de savoir comment évoluera l’activisme chinois, à mesure que les innovations « made in China » se multiplieront.

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