L’économie française a besoin de plus en plus de data centers. Malgré les mesures proposées par le gouvernement français pour favoriser leur construction, les représentants de la filière souhaitent l’application d’une stratégie nationale qui prendrait exemple sur ce qui est déjà fait dans d’autres pays européens.

Le 18 février 2019, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire exposait un nouvel objectif économique : faire de la France le pays européen accueillant le plus de data centers. Une ambition significative (mais tardive) si l’on considère la place de l’Hexagone sur le marché à ce jour, qui atteindra les 183 milliards de dollars en 2027, contre 57 milliards de dollars en 2019 (selon l’Allied Market Research).

La France compte aujourd’hui moins de data centers sur son territoire que d’autres pays européens, dont les leaders (Royaume-Uni, Allemagne et Pays-Bas). Selon le spécialiste Baxtel, il y a 109 data centers en France contre 138 aux Pays-Bas. Un écart étonnant compte tenu des différences de superficie (41 000 km² aux Pays-Bas contre 672 000 km² en France), de densité de population (419 habitants au km² contre 119) et de la situation géographique à l’avantage de la France : 55 % du territoire des Pays-Bas est en zone inondable et 26 % en dessous du niveau de la mer.

Les enjeux technologiques et économiques de la présence de data centers

Connus du grand public pour leurs impressionnantes armoires (appelées « baies ») contenant des serveurs informatiques, les data centers ne servent pas uniquement à l’hébergement de sites internet. Les données produites en utilisant un ordinateur ou un smartphone connecté y transitent pour traitement avant d’être renvoyées. Cette technologie, nommée « edge computing », tire son nom du fait qu’elle se passe de serveur (les données restant ainsi au « bord » du réseau) et est nécessaire pour disposer d’infrastructures de type « smart city ». C’est aussi dans les data centers qu’ont lieu le traitement des données produites localement ou la réalisation d’opérations en ligne à l’aide du Cloud.

Les data centers favorisent aussi l’apparition de « data spaces ». Il s’agit d’un environnement numérique dans lequel des entreprises partagent (avec leur consentement) les données issues de leurs activités pour mutualiser les travaux et les frais de recherche et de développement, notamment en utilisant une solution d’auto-apprentissage. On peut citer l’hébergeur français 3DS Outscale qui collabore avec AGDataHub pour analyser des données provenant d’exploitations agricoles.

La construction d’un data center est également bénéfique pour l’économie d’un territoire. Selon une étude du cabinet de conseil danois Copenhagen Economics, l’implantation des data centers de Google (rebaptisé Alphabet) dans les sites d’Agriport et de Groningue aux Pays-Bas a permis de faire croître le produit intérieur brut hollandais d’un total 3,6 milliards d’euros entre 2014 et 2019.

Pour favoriser la construction de data centers en France, Bruno Le Maire proposait en 2019 de réduire la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Elle passerait de 12 euros par mégawattheure consommé à 0,5 euros, diminuant les frais fixes des opérateurs installés dans l’Hexagone. Cette mesure fiscale, dont l’application a été retardée par la crise sanitaire de 2020, a été inscrite par la loi de finances 2022. Ces aides sont néanmoins soumises à condition et les bénéficiaires de ce taux d’imposition allégé devront adopter des mesures éco-responsables (système de management de l’énergie, réutilisation de la chaleur engendrée par le data center, respect d’un niveau de consommation d’eau).

Cette incitation a néanmoins vu son intérêt diminuer à la suite de l’augmentation du prix de l’énergie, venant remettre en cause la pertinence économique d’une diminution des taxes associées à une ressource dont le prix a triplé. L’annonce d’un « plan de sobriété énergétique » annoncé par Emmanuel Macron le 14 juillet 2022 incite à penser que cette mesure devra être renforcée pour avoir l’effet souhaité.

Quelles mesures pour favoriser l’essor des data centers en France ?

Selon les acteurs français de l’hébergement de données, réunis au sein de l’association France Datacenter, cette mesure est insuffisante. Plus qu’une aide fiscale, c’est « un plan stratégique » qui est attendu. Celui-ci devrait permettre de lever les autres contraintes qui gênent le développement des data centers sur le territoire comme les lourdeurs administratives et la pénurie de personnel. France Datacenter a présenté en février 2022 sept propositions pour développer cette filière. En plus de la création d’un Secrétariat général aux Infrastructures numériques (qui tiendrait une conférence annuelle sur ce sujet), ils souhaitent aussi l’élaboration de programmations urbaines régionales ainsi qu’un allègement des règlements et des procédures administratives obligatoires pour construire et faire fonctionner un centre de stockage de données avec la possibilité de les dématérialiser.

En Allemagne, une politique pour réduire la consommation d’énergie

En Allemagne, la vision stratégique pour l’avenir des data centers concerne moins leur développement que leur capacité à fonctionner de manière écoresponsable. Celle-ci est présentée dans un document nommé « Agenda pour une politique digitale en faveur de l’environnement » datant de mars 2020. Issue du ministère fédéral de l’environnement, cette stratégie s’appuie sur le constat qu’il n’existe pas d’obligations en matière de protection de l’environnement auxquelles doivent se plier les hébergeurs (la seule politique en la matière est la décision prise en février 2020 par l’Union européenne de faire en sorte que les data centers n’émettent pas de CO² d’ici 2030). Pour combler ce manque, le gouvernement allemand travaille sur plusieurs projets, comme KPI4DCE, développé par l’Agence Fédérale pour l’Environnement qui vise à établir une méthode pour connaître et indiquer la consommation d’énergie de chaque data center installé en Allemagne.

Les autorités annoncent aussi dans ce document s’appuyer sur les préconisations d’une tierce partie indépendante, celle de l’agence de certification Bleuer Engel (l’Ange Bleu). Cette organisation s’intéresse depuis 2011 à l’empreinte environnementale des data centers. Pour appliquer l’agenda, Bleuer Angel éditera des labels qui serviront de référents pour les sujets suivants : la capacité des data centers à économiser l’énergie, à protéger le climat (en émettant très peu de CO²), ainsi que le caractère éco-responsable des logiciels utilisés et enfin du matériel faisant office de hardware.

Cette stratégie est reprise par d’autres acteurs allemands. La municipalité de Francfort a présenté en juillet 2022 un schéma d’aménagement urbain limitant la construction de nouveaux data centers en précisant que seuls les projets ayant reçu un label de l’organisme Bleuer Engel obtiendront un permis de construire. Cette décision n’est pas sans conséquences pour le fonctionnement du marché du stockage de données. En étant le siège du plus grand échangeur Internet d’Europe, le DE CIX, Francfort propose une qualité de connexion unique au monde. La ville compte ainsi une soixantaine de centres de stockage de données ! Leur développement anarchique n’a pas été sans susciter de controverses auprès des habitants, qui ont vu ces installations consommer une grande quantité d’énergie en plus de restreindre la surface constructible disponible. Pour résoudre ce problème, la nouvelle stratégie prévoit non seulement de ne limiter qu’à quelques quartiers les nouveaux chantiers mais aussi de se chauffer sans émettre de gaz à effet de serre en aménageant un programme de chauffage urbain qui réutilise la chaleur produite par les data centers.

Si les mesures de cette stratégie semblent être contraignantes, elles permettent aux hébergeurs d’être compétitifs en consommant moins d’énergie, une ressource particulièrement coûteuse en Allemagne : en décembre 2021, le prix du mégawattheure y coûtait 317 euros (contre 254 euros au Royaume-Uni, 247 euros aux Pays-Bas et 125 euros en France). La politique allemande sur le sujet illustre surtout le constat suivant : le secteur de l’hébergement ne se développera pas (en Europe) sans améliorer considérablement son empreinte écologique.

En Angleterre un accord pour « verdir » les data centers

La prise en compte des enjeux environnementaux par le secteur de l’hébergement de données au Royaume-Uni est issue d’une mobilisation des professionnels du secteur. Elle y prend la forme d’un Climate Change Agreement qui consiste à accorder une baisse d’impôt en l’échange de l’atteinte d’un niveau d’efficacité énergétique avant la fin d’un délai. Cet accord a été négocié entre le Department of Energy and Climate Change et l’association TechUK (qui représente les entreprises appartenant à la filière numérique dont font partie les data centers britanniques) en 2013 pour une période de 8 ans allant de 2014 à 2023. En 2020, deux années supplémentaires ont été accordées, ce qui fait durer l’accord jusqu’en 2025. La seule condition est l’atteinte des résultats exprimés sous la forme d’un indicateur de performance énergétique (Power Usage Effectiveness). Cette politique a été très efficace : dans l’ensemble, les data centers britanniques ont atteint les objectifs initiaux avec deux années d’avance.

Elle a aussi comme effet bénéfique de ne pas faire de la protection de l’environnement une source supplémentaire de dépenses pour les sociétés administrant des data centers. Elle rend enfin possible un feedback en donnant aux acteurs concernés l’occasion d’expliquer les méthodes retenues pour limiter leurs émissions de G.E.S. ainsi que les difficultés rencontrées.

TechUK fait en outre partie des organisations concernées par le programme Adaptation Reporting Power. Ce programme, mis en place en 2008 à la suite de la loi Climate Change Act, oblige les organisations et établissements publics ainsi que les entreprises du secteur privé à communiquer tous les cinq ans au Gouvernement de Sa Majesté (plus précisément au ministère de l’environnement et de l’agriculture) les menaces causées par le changement climatique (catastrophe naturelle, risque d’interruption des activités) et les moyens retenus pour s’y préparer. TechUK présente ainsi les infrastructures les plus vulnérables et les plus exposées ainsi que les mesures prises par les hébergeurs pour s’y adapter.

Outre-Manche, la prise en compte des questions écologiques ne se limite donc pas à l’application de règlements décidés par une autorité politique à laquelle il faudrait nécessairement se subordonner. Elle est avant tout le fruit d’une collaboration entre organismes publics et membre de la société civile (ou third sector) disposant de moyens et de capacités d’action qui leur sont propres. En établissant un partenariat entre pouvoirs publics et hébergeurs, chaque partie s’engage ainsi dans une relation gagnant-gagnant.

Aux Pays-Bas, la constitution d’un partenariat actif entre entreprises et pouvoirs publics

La stratégie spatiale pour l’aménagement du territoire (Nationale Omgevingsvisie), définie par le ministère de l’Intérieur hollandais en 2019, donne des consignes pour encadrer les prochains chantiers de data centers jusqu’en 2030. Ceux-ci devront notamment être alimentés par de l’énergie d’origine renouvelable ainsi qu’être inclus dans un programme de partage de chaleur avec un réseau de chauffage urbain.

Pour faciliter l’application de cette stratégie, la Dutch Data Association – représentant les hébergeurs implantés en Hollande – fait office d’intermédiaire. Créée en 2014, cette association promeut avec dynamisme les intérêts du secteur, que ce soit pour attirer les investisseurs d’origine étrangère mais aussi appliquer les mesures adoptées par le pouvoir exécutif.

En 2020, cette association a rédigé des guides pratiques pour aider les gestionnaires de data centers à présenter leurs mesures d’économie d’énergie (et les résultats obtenus) rendus obligatoires l’année précédente. Ces guides ont été élaborés avec la collaboration de NLDigital et l’Agence Hollandaise de l’Entreprise (un organisme équivalent à la Direction Générale des Entreprises) pour expliquer de manière détaillée les informations à renseigner et les moyens de les obtenir. La DDA est aussi à l’origine du réseau Green Data Center Platform qui rassemble depuis 2017 les meilleures pratiques pour faire participer les data centers à la transition énergétique et à la publication l’année suivante du rapport « Datacenter & Residual Heat » portant sur les conditions à respecter pour réussir la récupération de chaleur produite par les serveurs informatiques.

Que retenir ? La vision stratégique évoquée précédemment s’appuiera sur une représentation réaliste d’un territoire et des échanges qu’y font ses habitants et les organisations qui y sont implantées. Cette représentation est issue d’une stratégie répondant à des enjeux (économiques, politiques, écologiques) par l’atteinte d’objectifs précis. Pour cela, des acteurs seront identifiés et disposeront de moyens pour rendre compte des résultats obtenus à l’aide d’indicateurs aussi précis que possible. Ces objectifs varieront en fonction des caractéristiques géographiques, politiques ou économiques des pays concernés et seront poursuivis à des échelles différentes. Quoi qu’il en soit, ils attestent que la construction de data centers participe d’un plan assurant non pas le développement d’une activité économique mais l’équilibre entre des organismes différents ayant pour point commun de se situer sur un même territoire national. Et européen.

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