4 min

De la datasphère pour comprendre les enjeux stratégiques de la transformation numérique

Géopolitique de la Datasphère (GEODE) est un centre de recherche et de formation dédié à l’étude des enjeux stratégiques et géopolitiques de la révolution numérique.  Porté par l’Université Paris 8 au sein de l’Institut Français de Géopolitique, il s’inscrit dans pure tradition d’innovation en science humaines et sociales et de sciences expérimentales, puisque son équipe pluridisciplinaire, qui réunit des chercheurs de Paris 8, Paris 5, Saint-Cyr, l’Université de Savoie, l’INRIA et l’ENS s’attache à défricher un nouveau champ de recherche, à savoir les études stratégiques sur l’espace numérique, et construire une nouvelle discipline qui associe la géopolitique et la science des données.

Présélectionné dans le cadre du label « Centres d’excellence » du Ministère des Armées, GEODE affiche une double ambition. Il s’agit, d’une part, d’étudier la datasphère comme un objet géopolitique à part entière, avec une analyse des enjeux de défense et de sécurité qu’ils recouvrent et le développement d’une cartographie spécifique ; et d’autre part, d’utiliser les ressources de la datasphère pour faire de l’analyse géopolitique, c’est-à-dire développer des outils pour collecter, exploiter et représenter de grandes masses de données à des fins d’analyse géopolitique.

Les évolutions liées à l’interconnexion globale des systèmes d’information et de communication transforment en profondeur l’environnement stratégique. Elles suscitent l’émergence de nouvelles menaces comme de nouvelles opportunités. Elles mettent à portée de tous de puissants outils d’expression, d’influence, de propagande et de renseignement, d’immenses volumes de données mais aussi de redoutables vecteurs d’attaques, pour le meilleur et pour le pire. Elles favorisent la montée en puissance de nouveaux acteurs privés aux activités transfrontalières et à l’ubiquité inédite qui s’imposent sur la scène internationale comme un défi à la souveraineté des Etats mais aussi un partenaire parfois essentiel dans l’exercice de leurs pouvoirs régaliens. Elles transforment ainsi les rapports de pouvoir, à la fois entre les Etats, mais aussi entre les Etats, les acteurs non-étatiques et le secteur privé.

Le concept de cyberespace a fortement structuré les stratégies des Etats qui s’en sont emparés dès le milieu des années 2000. L’étude des représentations du cyberespace dans la littérature stratégique révèle ainsi l’appréhension de ce nouvel environnement par les Etats. Elle se reflète aussi dans l’organisation de l’Etat et la mise en place de nouvelles structures pour faire face à ces nouvelles menaces, qui deviennent de plus en plus complexes et protéiformes au gré des ruptures technologiques et des surprises stratégiques qu’engendre la révolution numérique.

Le concept de cyberespace peine pourtant à véhiculer l’ampleur des défis qui se posent aux Etats face à la transformation numérique. La notion de datasphère permet d’englober dans un même concept les enjeux stratégiques liés au cyberespace mais aussi à la géographie des flux et la maîtrise des données, la compréhension de l’espace informationnel, la cartographie des réseaux topologiques, la fusion de données géolocalisées et non spatialisées. Elle permet aussi d’appréhender les défis à venir d’un monde de plus en plus gouverné par les algorithmes et l’intelligence artificielle, à la puissance démultipliée par l’ordinateur quantique, et dont il faudra s’efforcer de comprendre la géographie.

La datasphère doit se comprendre comme un construit social et spatial reflétant des enjeux de pouvoirs et des choix politiques, sociaux, techniques et organisationnels qui ont des implications stratégiques. Ces données ne sont donc pas neutres, elles sont le produit de groupes sociaux et reflètent les stratégies et représentations des acteurs qui les produisent. Elles transforment l’environnement stratégique et les rapports de pouvoir géopolitiques. Le concept de datasphère permet ainsi d’englober les enjeux du cyberespace dans une vision plus large qui tient compte de l’importance croissante et du pouvoir disruptif des données.

Le défi scientifique majeur est celui de l’élaboration de concepts, méthodes et outils de traitement, d’analyse et de visualisation de gigantesques masses de données dans la perspective de mieux comprendre la géographie de la datasphère, mais aussi les rapports de force géopolitiques et les conflits contemporains qu’elle révèle et suscite. L’association entre géopolitique et la science des données est désormais indispensable pour comprendre les enjeux stratégiques de la révolution numérique.

Partager cet article avec un ami