Inspirée du droit français, la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité étend les exigences à toute la chaîne de valeur des organisations.

L’actualité autour du devoir de vigilance bat son plein en France. BNP Paribas a été mise en demeure le 26 octobre dernier par trois ONG (Oxfam, Les amis de la Terre et Notre affaire à tous) pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance. « Cette loi, entrée en vigueur en 2017 en France, contraint les multinationales à respecter les droits humains et environnementaux. Or, en finançant de nouveaux projets fossiles, BNP Paribas ne respecte ni l’un ni l’autre et va donc à l’encontre de son devoir de vigilance », peut-on lire sur le site d’Oxfam France.

Actualité qui en rappelle une autre. Le 23 février dernier, la Commission européenne a adopté une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Cette proposition vise à favoriser un comportement durable et responsable des entreprises, qui seront tenues de recenser et, s’il y a lieu, de prévenir, de faire cesser ou d’atténuer les incidences négatives de leurs activités sur les droits de l’homme (travail des enfants et exploitation des personnes, par exemple) et sur l’environnement (pollution, perte de biodiversité, etc.).

« Cette proposition change véritablement la donne en ce qui concerne la manière dont les entreprises exercent leurs activités tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales. Par ces règles, nous voulons défendre les droits de l’homme et être les chefs de file de la transition verte. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur ce qui se passe en aval de nos chaînes de valeur. Nous devons changer notre modèle économique », a déclaré Didier Reynders, Commissaire européen à la justice.

Si le projet de directive s’inspire largement de la loi française du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance, il en élargit le périmètre. Alors que la loi française n’est applicable que pour les entreprises de plus de 5 000 collaborateurs travaillant en France ou 10 000 en France et à l’étranger (soit entre 150 et 250 entreprises), le projet de directive européenne pourrait quant à lui concerner plus de 13 000 entreprises européennes et 4 000 entreprises étrangères :

  • Entreprises de l’UE (groupe 1) : toutes les sociétés à responsabilité limitée de l’UE de grande taille et ayant un pouvoir économique important (employant plus de 500 personnes et réalisant un chiffre d’affaires net supérieur à 150 millions d’euros à l’échelle mondiale) ;
  • Entreprises de l’UE (groupe 2) : autres sociétés à responsabilité limitée exerçant des activités dans des secteurs à fort impact (fabrication de textiles et de cuir, extraction de ressources minérales, agriculture…), qui n’atteignent pas les deux seuils du groupe 1, mais emploient plus de 250 personnes et réalisent un chiffre d’affaires net de 40 millions d’euros et plus à l’échelle mondiale ;
  • Entreprises de pays tiers actives dans l’UE dont le seuil de chiffre d’affaires est aligné sur celui des groupes 1 et 2 et dont le chiffre d’affaires est réalisé dans l’UE.

Une chaîne de valeur étendue

La proposition de directive européenne s’applique aux opérations propres aux entreprises, à leurs filiales, mais aussi à leurs chaînes de valeur (relations commerciales établies de manière directe et indirecte avec fournisseurs et sous-traitants). Le projet de directive prévoit les obligations suivantes pour les entreprises : intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques, recenser les incidences négatives réelles ou potentielles sur les droits de l’homme et l’environnement, prévenir ou atténuer les incidences potentielles, mettre un terme aux incidences réelles ou les réduire au minimum, établir et maintenir une procédure de réclamation, contrôler l’efficacité de la politique et des mesures de vigilance et communiquer publiquement sur le devoir de vigilance.

Les autorités administratives nationales désignées par les États membres seront chargées de contrôler le respect de ces nouvelles règles et pourraient infliger des amendes en cas d’infraction. De surcroît, les victimes auront la possibilité d’intenter une action en justice pour les dommages occasionnés qui auraient pu être évités grâce à des mesures de vigilance appropriées. Par ailleurs, les entreprises européennes du groupe 1 doivent disposer d’un plan permettant de garantir que leur stratégie commerciale est compatible avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris.

Les entreprises qui rentreront dans les critères de la directive devront rapidement s’y conformer. Un effort d’adaptation qui n’ira pas forcément de soi. « En France, les grandes entreprises qui ne l’ont pas encore fait vont devoir rapidement déployer leur plan de vigilance, sous la pression accrue de la société civile, en intégrant les aspects droits humains et environnementaux à leur cartographie des risques ainsi qu’à leurs procédures d’évaluation des tiers » commentent Ling Ho, Directrice du département Compliance chez Avisa Partners et Mélodie Zerba, Directrice du développement des activités Compliance et Investigation chez Avisa Partners.

Pour certaines de ces entreprises, une phase d’accompagnement sera nécessaire. « Nous aidons nos clients à s’y retrouver face au flou qui existe autour des limites du devoir de vigilance, et à les aiguiller pour savoir jusqu’à quel rang ils doivent évaluer leurs fournisseurs et leurs sous-traitants, de même que les critères à prendre en compte dans l’évaluation », ajoutent Ling Ho et Mélodie Zerba.

Les PME indirectement impactées

Les petites et moyennes entreprises (PME) ne relèvent pas directement du champ d’application de cette proposition, mais la proposition comprend des mesures d’accompagnement qui soutiendront les entreprises susceptibles d’être indirectement touchées. Ces mesures comprennent le développement, individuellement ou conjointement, de sites web, de plateformes ou de portails dédiés, ainsi qu’un éventuel soutien financier.

« Si certaines entreprises européennes jouent déjà un rôle de premier plan dans les pratiques d’entreprise durables, nombre d’entre elles sont encore confrontées à des difficultés pour comprendre et améliorer leur empreinte environnementale et leur bilan en matière de droits de l’homme. Notre proposition permettra de faire en sorte que les grands acteurs du marché jouent un rôle de premier plan dans l’atténuation des risques dans l’ensemble de leurs chaînes de valeur, tout en aidant les petites entreprises à s’adapter aux changements », a commenté Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur.

La proposition de directive, qui répondait à la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises, sera soumise à l’approbation du Parlement européen et du Conseil. Une fois la directive adoptée, les États membres auront deux ans pour la transposer en droit interne et communiquer les textes correspondants à la Commission.

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