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[Entretien] Guy Gourevitch « Il est urgent de combler les trous dans la raquette »

L’ancien président (2019-2021) de France Angels, la fédération nationale des business angels (5 500 actifs dans 65 réseaux) vient de lancer deux outils destinés à améliorer l’offre en capital des pépites stratégiques pour la défense et la sécurité, trop souvent « boudées » par les investisseurs : le réseau Defense Angels, pour le pré-amorçage et l’amorçage, et le fonds d’investissement FAST, pour les petits tickets de capital-développement.

Quel a été le déclic de la création de Defense Angels ?

En 2020, deux rapports ont pointé les difficultés de financement des sociétés de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), à commencer par les plus jeunes et les plus petites d’entre elles. Émanant de la commission de la défense de l’Assemblée nationale et de l’École de Guerre, ces travaux formulaient le même constat alarmiste et s’inquiétaient de l’impact du projet de taxonomie verte de la Commission européenne, qui menace d’exclure les activités liées à la défense et aux technologies stratégiques des « canons » de l’investissement durable. La survenue de la crise sanitaire, qui a révélé la disparition de pans entiers de productions stratégiques sur notre sol, et aujourd’hui de la guerre en Ukraine, ont amplifié cette prise de conscience.

Pourquoi les pépites technologiques utiles à notre sécurité et à notre défense rencontrent-elles des difficultés pour se financer ?

Les investisseurs les boudent pour une question d’image ou pour des raisons liées à la durée des programmes d’équipements. Ces secteurs sont souvent régis par des appels d’offre publics qui s’étalent dans le temps, au-delà des horizons de rentabilité auxquels sont habitués les investisseurs. Tous les compartiments en pâtissent : le pré-amorçage et l’amorçage, dont les tickets sont en moyenne inférieurs à 1 million d’euros ; la série A, dont les levées sont comprises entre 1 et 5 millions d’euros ; le capital-développement, au-delà. Conséquence, nombre de pépites tricolores sont acquises par nos concurrents américains, britanniques, allemands ou passent indirectement sous le contrôle de fonds moyen-orientaux, voire même chinois.

Tous les segments technologiques sont-ils touchés ?

Oui, en proportion de leur poids. Le segment du numérique et du cyber, dont j’estime la part à environ 40 % dans l’écosystème des pépites ayant besoin de lever des fonds, est très vulnérable à cette problématique. D’autant plus qu’il est à l’origine de nombreuses innovations de rupture : je pense aux technologies de traitement de très grandes quantités de données, aux algorithmes d’apprentissage, au traitement du signal, au calcul haute performance.

N’est-ce pas tout simplement la conséquence d’un manque de capitaux ?

Absolument pas. La preuve en est que le réseau Défense Angels, inauguré le 15 février dernier, a recruté en trois mois 30 investisseurs individuels et 150 autres frappent à sa porte. En face, 70 entreprises ont déposé leur dossier de financement sur notre plateforme. Deux sont sur le point de boucler leur levée de fonds (en phase de « closing »).

Un véritable succès, donc…

Il confirme l’existence d’un « trou dans la raquette » du financement au niveau du pré-amorçage et de l’amorçage des startups. Cet engouement m’a conduit à prolonger cette initiative en lançant un deuxième outil : le « fond d’amorçage souveraineté technologique » ou FAST. Sa mission sera d’investir des tickets minoritaires de 1 à 5 millions d’euros dans des sociétés travaillant pour la défense ou positionnées sur des niches duales, qui souhaitent développer des technologies stratégiques ou prendre pied à l’international. FAST fera ainsi le lien avec les deux fonds dédiés au capital-développement créés récemment par l’État et opérés par Bpifrance : Definvest et le Fonds Innovation Défense, qui investissent des montants plus importants.

Quelle sera la spécificité de FAST ?

Nous avons l’ambition de lever à terme près d’une centaine de millions d’euros auprès d’industriels puis d’institutionnels. Nous garantirons à ces investisseurs et aux entreprises la provenance des capitaux, ainsi que l’application de clauses de sortie conformes à la fois aux normes de la rentabilité du risque et à notre stratégie de souveraineté ; pas question de céder une participation n’importe quand ou à n’importe qui. Beaucoup d’industriels et de particuliers étaient dans l’attente d’une telle démarche, et la situation internationale et européenne est désormais porteuse pour les technologies et les marchés de souveraineté.

Quelle est votre définition de la souveraineté financière ? FAST s’interdira-t-il de lever des fonds à l’étranger ?

Dans un premier temps, nous solliciterons des investisseurs français. Ensuite, nous pourrions ouvrir le capital à des fonds étrangers, et plutôt européens. C’est dans ce cadre que nous entendons déployer notre stratégie de souveraineté. Cette ouverture s’accompagne de garanties offertes aux sociétés financées en matière de gouvernance. Nous prendrons toujours des participations minoritaires et nous veillerons à ce que la majorité du capital des cibles demeure français. Des clauses préserveront leur conseil d’administration ou leur comité stratégique de tout entrisme problématique.

Et en cas de co-investissement ?

Une minorité de sociétés de gestion s’intéressent aux investissements de souveraineté sur le créneau du capital-développement. C’est aujourd’hui le principal trou subsistant dans la raquette du financement de nos pépites stratégiques. L’offre sur ce segment est trop faible pour accompagner la croissance des belles PME et ETI. La bonne nouvelle est que l’État en a pris conscience. Bercy s’est opposé à plusieurs reprises à des levées jugées dangereuses pour les intérêts nationaux et l’hôtel de Brienne a piloté la création des deux fonds mentionnés. Il faut maintenant accélérer, car les moyens demeurent insuffisants pour couvrir tout un spectre de besoins, depuis les technologies cyber jusqu’à celles du spatial.

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