(par Guillaume Tissier, Président de CEIS)

Un mois après la mise en cause de Facebook dans l’affaire Cambridge Analytica, il est temps de revenir sur le flot de réactions outragées qui ont suivi les « révélations ». Qu’est-il reproché à Facebook ? D’avoir laissé la société britannique, spécialisée dans la communication stratégique, pour ne pas dire électorale, exploiter abusivement les données de 87 millions de ses utilisateurs. Ni faille, ni fuite. Juste un siphonage techniquement autorisé par l’API du réseau social et qui a sans doute concerné des milliers d’autres applications (un audit est toujours en cours). En d’autres termes, la porte était ouverte pour les applications tierces qui accédaient non seulement aux données des personnes les ayant téléchargées, mais aussi aux données de leurs amis, en vertu du principe bien connu « les amis de vos amis sont vos amis ». A noter d’ailleurs que la campagne du Président Trump ne serait pas la seule à avoir bénéficié des largesses de Facebook : l’application créée par l’équipe de campagne de Barack Obama en 2012 aurait aussi permis de collecter de nombreuses données…

Si l’on peut légitimement s’émouvoir de cette situation, la surprise, réelle ou feinte, qui a prévalu à l’annonce de ce scandale a de quoi surprendre. Même si les conditions générales de Facebook péchaient par leur imprécision (elles ont été revues depuis), le réseau social a toujours annoncé la couleur et n’a jamais mystère de son modèle économique basé sur la monétisation de son audience et le ciblage des utilisateurs grâce à leurs données personnelles. Avec un principe de base : offrir une solution gratuite pour conquérir rapidement le plus grand nombre d’utilisateurs. Or comme le dit l’adage populaire, « si c’est gratuit, c’est vous le produit ». Nous ne sommes donc pas les clients, mais la matière première de la plateforme.

Toute la question est aujourd’hui de savoir si cette affaire va remettre en cause de façon durable le modèle de Facebook. La réponse est non, à court terme en tout cas. D’une part, parce que dans leur grande majorité les internautes n’y trouvent rien à redire et sont souvent beaucoup plus prompts à dénoncer le « fichage » des Etats que celui de la plateforme. D’autre part, parce qu’il n’y a pas de modèle économique plus juteux pour le moment : rares sont les entreprises ayant accès à une matière première gratuite… L’acte de contrition de Facebook devant le Congrès américain fleure donc bon l’enfumage … Certes, Mark Zuckerberg reconnaît « une erreur » personnelle, mais à la question de savoir s’il allait changer son « business model », il répond de façon embarrassée qu’il n’est pas sûr de saisir le sens de la phrase. Et quand on lui répète la question, il rétorque que le sujet est complexe et qu’il ne peut y répondre par oui ou par non… Un changement de modèle est donc peu probable, même si la numéro 2 de la plateforme, Sheril Sandberg, a émis l’idée de lancer une version payante, donc forcément plus protectrice.

Faut-il pour autant se résoudre à cette situation ? Non. Si un changement radical paraît difficile, un infléchissement est possible. Le Règlement européen sur les données personnelles, en replaçant l’utilisateur au centre et en érigeant le principe du « privacy by design », enfonce un premier coin. Si juridiquement, rien n’oblige Facebook à appliquer le texte aux utilisateurs américains, le réseau social a pris conscience que le RGPD était aussi un moyen de redorer son blason, y compris aux Etats-Unis. L’entreprise vient ainsi d’annoncer sa mise en conformité (que d’aucuns considèrent comme « a minima ») et le déploiement de nouvelles conditions d’utilisation qui s’appliqueront aux utilisateurs européens et américains, mais également au reste du monde. Au moins dans l’esprit, car au plan juridique, l’entreprise vient, d’un coup de baguette magique, de déplacer 1,5 milliards de ses membres d’Afrique, d’Asie, d’Australie et d’Amérique latine de sa filiale irlandaise à sa filiale américaine, limitant ainsi considérablement ses risques. L’optimisation n’est pas que fiscale…

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