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La cybersécurité européenne manque-t-elle d’investissements ? (Interview de David Dana, du FEI)

1- Quel est le rôle du Fonds Européen d’Investissement (FEI) dans le domaine des TIC et de la cybersécurité ?

Le FEI a été créé il y a 25 ans pour encourager l’innovation et la création d’emploi dans l’UE, principalement en donnant accès aux financements aux petites et moyennes entreprises. Nous avons très vite décidé de passer par des opérations d’intermédiation – par des investissements dans des fonds de capital-risque. Le FEI a été le premier fournisseur de l’écosystème européen de capital-risque, permettant à des milliers de startups de trouver des ressources financières, même dans des périodes de ralentissement économique lorsque les banques et les institutions financières étaient réticentes à financer les sociétés technologiques.
Dans le domaine spécifique de la cybersécurité, le rôle du FEI suit une ligne politique. La Commission Européenne considère en effet que la cybersécurité est un secteur clé, et le FEI tient donc tout particulièrement à soutenir les investissements dans ce secteur à condition qu’ils soient adossés à une proposition commerciale solide.
Jusqu’ici cela s’est traduit par des investissements dans deux fonds de capital-risque exclusivement dédiés à la cybersécurité.

 

2- Devons-nous nous attendre à un changement de politique de votre part, en particulier si l’on pense à l’accent mis sur la cybersécurité dans le discours sur l’état de l’Union Européenne en septembre 2018 ?

En tant que bras financier de l’UE, le FEI est un acteur clé dès lors qu’il s’agit d’aider à l’émergence d’un nouveau secteur. Notre politique d’investissement est toutefois la même pour tous les secteurs : nous devons combiner objectifs politiques et rendements financiers.

 

3- Une société de cybersécurité dont le siège est localisé en République Tchèque, Avast, a levé 200 millions de dollars à la Bourse de Londres et atteint une valorisation de 3,23 milliards de dollars en 2018, ce qui en fait l’une des introductions en Bourse les plus élevées en Europe pour une valeur technologique. Est-ce pour vous une preuve que la cybersécurité européenne est à la hauteur de la concurrence internationale ?

L’Europe joue et a toujours joué un rôle prépondérant dans le développement technologique. Dans un environnement dynamique et en perpétuelle évolution, la concurrence est mondiale.

Tous les secteurs et toutes les régions géographiques sont bouleversés et menacés partout dans le monde. L’introduction en bourse d’Avast confirme qu’il y a en Europe quelques belles réussites, et nous sommes convaincus que beaucoup d’autres suivront.

 

4- Votre portefeuille met-il l’accent sur la cybersécurité ?

Le portefeuille du FEI est principalement composé de fonds TIC. Peu sont spécialisés sur un seul secteur. Nous ne mettant pas particulièrement l’accent sur la cybersécurité à ce jour, mais nous considérons qu’il s’agit d’un secteur à fort potentiel que nous sommes prêts à soutenir quand des occasions propices d’investissements se présenteront. C’est un phénomène que nous avons observé dans le domaine de la FinTech au cours des 4 ou 5 dernières années. Le secteur de la FinTech est maintenant l’un des secteurs clé de l’écosystème technologique. Notre objectif est de promouvoir l’écosystème de l’innovation tout en remplissant des objectifs politiques.

 

5- L’investissement en capital-risque a globalement doublé entre 2016 et 2017 pour atteindre 7,6 millions de dollars. Parallèlement nous avons vu en 2018 un fonds de capital-risque européen soutenir une levée de capitaux de 10 millions de dollars uniquement pour aider au développement aux États-Unis d’une société européenne de cybersécurité. L’attractivité du marché américain est–elle un signe de la faiblesse de l’investissement européen dans la cybersécurité ?

Nous voyons le marché américain plutôt comme une opportunité que comme une menace, surtout quand il s’agit du développement des sociétés de cybersécurité européennes. Le marché américain est énorme. Les sociétés européennes qui détiennent un net avantage concurrentiel peuvent dégager des dizaines de millions de chiffre d’affaires relativement rapidement. Plusieurs exemples de ce genre de croissance le prouvent.

De plus, de nombreux investisseurs de premier plan aux États-Unis ont déjà réalisé des investissements dans des projets de cybersécurité au cours des vingt dernières années. Ils ont maintenant l’expérience nécessaire pour aider ces entreprises.
Mais ce qui nous parait en revanche constituer une faiblesse pour le marché européen, c’est que les opportunités de sortie de marché sont encore principalement entre les mains d’acteurs américains, que ce soit les investisseurs financiers ou les entreprises. Une implantation locale est donc indispensable pour constituer une cible possible pour un rachat.

 

6- Suite à vos actions, quelles sont les trois phénomènes que vous souhaiteriez voir se produire dans le secteur de la cybersécurité en Europe ?

Ce secteur en est encore à ses débuts en Europe. Ce dont nous avons le plus besoin, c’est que des investisseurs privés y affectent des ressources, pour nous aider à proposer aux gestionnaires spécialisés le capital suffisant permettant d’accompagner leurs investissements par des moyens financiers.

On peut espérer que cela déboucherait sur des succès financiers permettant au marché européen de la cybersécurité de devenir autosuffisant.

Donc les trois phénomènes que nous souhaiterions voir se produire sont (i) des investisseurs privés, (ii) des succès financiers qui à leur tour déboucheraient sur (iii) la pérennité à long-terme de ce secteur stratégique.

 

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