Alexandre Linden, personnalité qualifiée au sein de la CNIL, vient de rendre son premier rapport[1] sur l’application par voie administrative des mesures de retrait, de blocage ou de déréférencement des sites illicites, pour la période allant de mars 2015 à février 2016. Rappelons que l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, aux hébergeurs ou, à défaut, aux fournisseurs d’accès, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Mais le législateur a doublé cette voie judiciaire par des mesures de police administrative. La première application remonte à la loi du 14 mars 2001 (LOPPSI) à propos des sites pédopornographiques, mais elle n’était pas entrée en vigueur faute d’un décret d’application. La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a étendu la mesure aux sites qui provoquent au terrorisme ou en font l’apologie. Cette fois, les décrets d’application du 5 février 2015[2] et du 4 mars 2015 ont été pris très rapidement, les attentats du 7 janvier expliquant sans doute cette célérité.
La loi et les décrets confient à l’OCLCTIC la mission d’être l’autorité administrative en charge de la démarche à l’égard des hébergeurs, éditeurs, fournisseurs d’accès et moteurs de recherche. La même loi a confié à une personne qualifiée, nommée en son sein par la CNIL, de contrôler la légalité des mesures demandées. On notera que la question des sites illicites a été au cœur des rencontres de Bernard Cazeneuve avec les GAFA, lors de son voyage dans la Sillicon Valley en février 2015 et qu’elle figure parmi les missions du préfet « cyber ».
Le rapport d’Alexandre Linden met en exergue la méthodologie qu’il a dû construire avec l’OCLCTIC pour lui permettre d’exercer ses missions. Progressivement, les demandes ont été accompagnées d’éléments de contexte, d’extraits de textes et d’images, permettant de vérifier le bien-fondé des mesures prises. Si l’examen des sites pédopornographiques ne pose pas de problème particulier, car le contenu se suffit, hélas !, à lui-même, les sites terroristes exigent une analyse in concreto plus approfondie. L’image ou le texte ne suffisent pas à eux seuls ; il faut rechercher la motivation. L’exemple de la photo des victimes du Bataclan, diffusée sur les réseaux sociaux, est particulièrement topique : certains sites l’ont en effet affichée pour condamner le terrorisme, d’autres l’ont fait d’une manière neutre. Cette photo, toute choquant soit-elle, n’est pas, en elle-même, constitutive de provocation ou d’apologie du terrorisme. D’où la nécessité de renoncer au blocage de 96 URL.
Dans son premier rapport, Alexandre Linden évoque 25 séances de vérifications tenues entre mars 2015 et février 2016. Ces séances portent également sur les « re-vérifications », c’est-à-dire sur l’obligation qui pèse sur l’OCLCTIC de vérifier que les contenus sont toujours illicites.
Période Fev2015/Mars 2016 | Demandes de retrait | Retrait effectué | Demandes de blocage | Demandes de déréférencement |
Terrorisme | 1286 | 1080 | 68 | 386 |
Pédopornographie | 153 | 99 | 244 | 469 |
Total | 1439 | 1179 | 312 | 855 |
Le tableau ci-dessus souligne l’importance relative des mesures concernant le terrorisme. Comme le souligne le rapport Linden, le nombre des demandes est croissant depuis mars. Sans doute est-ce dû à une meilleure efficacité des signalements. Mais cela tient aussi vraisemblablement à la persistance de la menace terroriste.
[1] ww .cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/cnil_rapport_blocage_sites_internet_2016.pdf
[2] Décret n°2105-125 du 5 février 2015 relatif au blocage des sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et des sites diffusant des images et représentations de mineurs à caractère pornographique.