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Les représentations géopolitiques du droit international dans les négociations internationales sur la sécurité et la stabilité du cyberespace

(Par François Delerue, Frédérick Douzet, et Aude Géry)

Il y a deux ans, le 12 novembre 2018, le Président Emmanuel Macron lançait l’Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace à l’occasion de son discours au Forum sur la Gouvernance de l’Internet à l’Unesco. L’Appel de Paris est un document unique en son genre, né de la rencontre des volontés de la France et du secteur privé. En effet, pour la première fois, à la fois les États et des acteurs non-étatiques, notamment des entreprises privées françaises et étrangères, s’accordaient sur une déclaration commune en matière de sécurité et stabilité du cyberspace. Les soutiens à l’Appel de Paris déclaraient leur attachement « à un cyberespace ouvert, sûr, stable, accessible et pacifique, devenu partie intégrante de la vie sous tous ses aspects sociaux, économiques, culturels et politiques » et réaffirmaient que « le droit international, dont la Charte des Nations unies dans son intégralité, le droit international humanitaire et le droit international coutumier, s’applique à l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) par les Etats ».

Cet appel fort en faveur du droit international et de la stabilité et sécurité du cyberespace n’a cependant pas permis d’éviter la prévalence des rivalités de puissance qui ont conduit à l’adoption de deux résolutions concurrentes par l’Assemblée générale des Nations unies (73/27 et 73/266), créant ainsi deux processus de négociation concurrents. Dans ce contexte, le droit international est devenu un élément central des discussions sur la paix et la stabilité dans le cyberespace. Mais le droit international fait également l’objet de représentations géopolitiques contradictoires qui compliquent les négociations, principalement pour deux raisons.

La première est liée au fait que le cyberespace fait lui-même l’objet de représentations contradictoires mais qui coexistent, y compris au sein d’un même État, suivant qu’il est considéré comme échappant, ou pas, à la souveraineté des États. D’un côté, le cyberespace est vu comme un espace à conquérir, impliquant qu’il n’est pas soumis à la souveraineté des États et qu’il existe donc un besoin d’élaborer de nouvelles règles pour y encadrer les comportements. Cette représentation explique donc que l’on se pose la question de savoir si le droit international s’applique ou non. D’un autre côté, le cyberespace est perçu comme un territoire sur lequel s’exerce la souveraineté des États, un nouveau moyen d’agir. Dès lors, la seule question qui se pose est celle de savoir comment le droit international existant s’y applique. Cependant, les caractéristiques du cyberespace compliquent la mise en œuvre des règles du droit international. Elles entraînent donc des débats sur son interprétation, ses limites et les moyens à employer pour assurer la sécurité et la stabilité du cyberespace.

La seconde raison est liée à la nature même du droit international qui organise la coexistence des États. Tout débat sur la régulation internationale de l’espace numérique, et plus particulièrement sur le droit international, s’inscrit dans le cadre de rapports de force entre États. Le droit international est un outil de la diplomatie des États. Il « est donc un objet de stratégie, utilisé voire manipulé en fonction de la perception qu’un État se fait de son intérêt national »[1]. La « politique juridique extérieure »[2] des États va donc varier en fonction de leur perception de la menace géopolitique. Or, en raison de l’exacerbation des tensions dans le cyberespace – et plus généralement dans le monde –, la question du droit international est devenue un objet de crispations. L’analyse de la position des États sur le droit international, et plus largement sur la régulation internationale de l’espace numérique, révèle différentes représentations de la menace. Elle traduit également en termes juridiques la stratégie des États sur ces questions et dépeint des différentes visions de l’ordre juridique international.

C’est pourquoi, pour avancer dans les discussions internationales et alors que les travaux au sein du Groupe d’experts gouvernementaux et du Groupe de travail à composition non limité sont toujours en cours, il est nécessaire de comprendre les représentations géopolitiques contradictoires associées à l’interprétation du droit international. L’étude publiée par François Delerue, Frédérick Douzet et Aude Géry (disponible en français et anglais) s’attache ainsi à expliciter les représentations géopolitiques associées à l’interprétation du droit international, permettant par là de mieux appréhender les débats sur ce sujet.

[1] Julian Fernandez, « Un enjeu et un moyen de la diplomatie des États », Questions Internationales, n° 49, « À quoi sert le droit international ? », mai-juin 2011, p. 14.

[2] Guy Ladreit de Lacharrière, La Politique juridique extérieure, Economica, 1983, 236 p.

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