Après quelques mois d’existence, le métavers de Facebook, Horizon Worlds, est déjà le théâtre d’agressions sexuelles caractérisées. Leur caractère virtuel n’enlève rien à la violence ressentie par les victimes. Un sujet encore vierge de toute législation.

Lancé fin 2021 aux États-Unis et au Canada, puis en août 2022 en France et en Espagne, le métavers Horizon Worlds de Meta (anciennement Facebook) compterait déjà 300 000 utilisateurs actifs mensuels, selon les chiffres fournis en février 2022 par l’entreprise créée par Mark Zuckerberg.

Horizon Worlds est à proprement parler un espace virtuel immersif, défini par Meta comme « une expérience de réalité virtuelle sociale où les utilisateurs peuvent créer et explorer ensemble ». Il faut être équipé d’un casque de réalité virtuelle de la marque Oculus Quest, qui appartient à Meta. L’accès via smartphones et ordinateurs est prévu ultérieurement.

Dans Horizon Worlds, chacun crée son propre avatar et peut passer d’un monde virtuel à un autre grâce à des portails appelés « telepods ». Selon Meta, il existerait aujourd’hui plus de 10 000 « mondes » au sein de l’environnement de réalité virtuelle. Les membres peuvent dialoguer avec d’autres personnes, jouer ou regarder des films. Il s’agit en quelque sorte du mariage entre le réseau social de Facebook et un ensemble de jeux et de contenus à consommer.

Une bêta-testeuse d’Horizon Worlds agressée sexuellement

Jusque-là, tout semble normal pour cette « version 1 » du métavers plus global que Meta veut créer. Sauf que, avant même qu’Horizon Worlds ne soit officiellement lancé, une bêta-testeuse de la plateforme s’est plainte d’avoir été victime d’une agression sexuelle.

Cette personne a en effet rapporté sur le groupe Facebook officiel d’Horizon Worlds qu’un inconnu avait tripoté son avatar. « Le harcèlement sexuel n’est pas une blague sur l’internet ordinaire, mais être dans la réalité virtuelle ajoute une autre couche qui rend l’événement plus intense« , a-t-elle écrit. « Non seulement j’ai été pelotée hier soir, mais il y avait d’autres personnes présentes qui soutenaient ce comportement, ce qui m’a fait me sentir isolée« , a-t-elle ajouté.

En réponse, Vivek Sharma, alors vice-président d’Horizon Worlds chez Meta (il a démissionné fin août 2022), avait déclaré au magazine The Verge que l’incident était « absolument malheureux », mais que la bêta-testeuse n’avait pas activé la fonction de sécurité permettant à n’importe quel utilisateur, dès qu’il se sent menacé, de ne plus être touché ou de ne plus avoir aucune interaction avec qui ce soit, jusqu’à ce qu’il décide de lever cette zone de sécurité. Un argument qui cache en réalité de lourdes lacunes pour garantir la sécurité des utilisateurs de ces espaces virtuels. Et le phénomène est loin d’être nouveau. Déjà à l’époque de Second Life, créé en 2003, des associations s’étaient érigées contre les multiples dérives de cet univers virtuel précurseur.

Un nouvel incident en mai 2022, relaté par une ONG

En mai dernier, un nouvel incident est survenu. L’ONG américaine SumOfUs a publié un rapport intitulé « Metaverse: another cesspool of toxic content » (« Metavers : un autre cloaque de contenus toxiques ») dans lequel elle relate le témoignage d’une de ses chercheuse au sein d’Horizon Worlds.

« Après environ une heure d’utilisation de la plateforme, une chercheuse de SumOfUs a été conduite dans une salle privée lors d’une fête, où elle a été violée par un utilisateur qui n’arrêtait pas de lui dire de se retourner pour qu’il puisse le faire par derrière, alors que les utilisateurs à l’extérieur de la fenêtre pouvaient voir – tout cela pendant qu’un autre utilisateur dans la salle regardait et faisait circuler une bouteille de vodka. Cet acte sexuel n’était pas consensuel, et la chercheuse a décrit l’expérience comme désorientante et déroutante », peut-on lire dans le rapport, vidéo à l’appui.

« Même si, en l’absence de corps physique, on ne peut pas parler de viol, on peut bien entendu imaginer que la scène ait été assez violente à vivre pour cette chercheuse. Et le sentiment de viol ou d’agression sexuelle est bien présent. Il est important que cette personne puisse témoigner de ce qu’elle a vécu et exprimer ce qu’elle a ressenti », déclare Michael Stora, psychologue, psychanalyste et cofondateur de l’OMNSH (Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines).

Les technologies immersives qui amplifient la sensorialité

Le témoignage de cette victime est important dans un contexte où toutes les technologies immersives ont pour objectif d’apporter toujours plus de sensorialité aux utilisateurs, par le biais par exemple des accessoires employés (manettes, gants connectés…) qui, en tant que prolongements du corps physique, peuvent réagir ou vibrer lorsqu’un contact a lieu entre deux membres d’un même « monde ».

« C’est ce que nous appelons la transmodalité. Les cinq sens sont de plus en plus souvent recréés par ces technologies. Et grâce au casque de réalité virtuelle, le sentiment de présence est accentué. Une agression virtuelle peut donc rapidement être très fortement amplifiée », ajoute Michael Stora. Et le psychanalyste d’ajouter : « Ce témoignage pose d’ailleurs la question de la façon dont nous habitons notre avatar. Ce dernier est-il une prolongation de nous, de nos idéaux, d’une partie de nous qui n’est pas toujours assumée ? ».

Quoi qu’il en soit, le métavers soulève de multiples autres questions d’ordre juridique, éthique et de modération. « Ce sont des enjeux très importants pour ces environnements virtuels. Mais pour le moment, les métavers sont essentiellement considérés d’un point de vue ‘business’. C’est le business model qui prime, au détriment de l’éthique, de l’empathie et de la symbolique, qui permettent d’éviter de reproduire des univers aussi toxiques que Facebook ou Instagram », conclut Michael Stora.

Depuis ces incidents, Meta a renforcé les dispositifs techniques de protection au sein d’Horizon Worlds. La fonctionnalité « Personal Boundary » crée une bulle de protection autour de l’avatar et permet d’éviter tout échange non désiré avec des inconnus. Une autre option, appelée « SafeZone », permet de se téléporter vers un espace sécurisé étanche à toute agression. Malgré ces fonctionnalités, la véritable question soulevée par ces univers virtuels est celle du comportement des personnes qui les fréquentent. Certaines d’entre elles ont en effet tendance à considérer que leur avatar leur permet tous les excès, en toute impunité.

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