Dans le cadre du mois européen de la cybersécurité, qui fête ses 10 ans cette année, inCyber vous propose une rentrée littéraire et revient sur les six ouvrages primés lors du Prix du Livre du FIC 2022 ; L’occasion pour tous de s’informer, de se cultiver autrement. Troisième décryptage du Prix Cyberdéfense « Conflits, crimes et régulations dans le cyberspace » sous la direction de Sébastien-Yves Laurent (ISTE Éditions) par Pascal Coillet-Matillon.

Conflits, crimes et régulations dans le cyberspace : le titre de l’ouvrage collectif dirigé par Sébastien-Yves Laurent, Professeur à la faculté de droit et de science politique de l’Université de Bordeaux, mécontera probablement à la fois ceux qui considèrent le cyberespace comme un espace de collaboration pacifiée et ceux qui l’assimilent à une sorte de nouveau monde où seule la guerre triompherait.

En effet, comme l’explique S.-Y. Laurent, « l’état des connaissances tend fortement à dépasser les pronostics apocalyptiques des années 1990 et 2000 et à relativiser la quantité et la portée des affrontements entre acteurs étatiques, l’essentiel d’entre eux relevant d’activités de vol de données, c’est-à-dire d’espionnage. Ainsi, nous avons fait le choix de les qualifier de « crimes » ou de « conflits » pour éviter délibérément le terme de guerre, qui nous paraît excessif et produit immédiatement un effet de sécurisation. »

Ainsi, l’objectif de ce livre semble être de dépasser certains clivages théoriques afin d’essayer de saisir ce qui fait la singularité du cyberespace. Pour ce, il ambitionne de « se tenir à distance des multiples discours des acteurs » du cyber qu’il juge trop « bavards et doctrinaires ». Et c’est réussi !

Une approche « globale » et « originale » du cyberespace

« Les auteurs réunis ici, qu’ils soient juristes ou politistes, adhèrent […] à la perspective d’étudier l’objet cyberespace comme un système sociotechnique, c’est-à-dire comme un ensemble d’unités sociales en interactions dynamiques, organisées autour des technologies de l’information et de la communication ». C’est grâce à cette définition neutre et globale qu’ils ont alors pu mettre en exergue des aspects originaux du cyberespace en faisant fi de concepts qu’ils jugent usés au profit d’autres notions permettant une meilleure compréhension du cyber.

Ainsi, dans un chapitre intitulé « La frontière entre la cybercriminalité et la cyberguerre : un no man’s land incertain », le Général Marc Watin-Augouard met en valeur l’aspect particulier du cyberespace en expliquant que, comme espace « construit ex nihilo », il diffère des espaces naturels préexistant à l’homme. Cela a des conséquences : puisqu’il est « construit par l’être humain, sans véritable plan, sans limite spatiotemporelle », toute innovation qui y émerge « affecte ses fondations, modifie son architecture, bouleverse ses équilibres ». Il crée de multiples vulnérabilités inexistantes jusqu’alors pour rejoindre l’idée de Mark Corcoral qui, dans le chapitre qu’il a écrit sur « la puissance américaine contre Huawei à l’heure de la 5G », cite Paul Virilio : « Inventer un objet technique, c’est inaugurer un accident spécifique ».

Par conséquent, ceux souhaitant saisir l’essence du cyberespace se doivent d’opérer un renouvellement de leurs instruments conceptuels pour mieux appréhender ses dynamiques toujours mouvantes. C’est pourquoi pour Frédérick Gagnon et Alexis Rapin, rédacteurs d’un chapitre sur « l’appareil de sécurité nationale étatsunien face à la gestion de la cyberconflictualité », il ne faut pas « adapter, voire recycler, d’anciennes notions, essentiellement héritées de la Guerre froide » (du moins en ce qui concerne leur objet d’étude) car cela oblitère « certaines dynamiques sous-jacentes importantes à la compréhension de la cyberconflictualité. » De même, comme l’explique Sébastien-Yves Laurent dans l’introduction, il faut s’extraire des « repères habituels que les sciences sociales emploient pour étudier le monde social » étant donné le « caractère hybride » du cyberespace (doté à la fois d’ « une composante technologique » et d’ « une composante sociale »). Partant, grâce à cette exigence de renouvellement conceptuel, les auteurs de l’ouvrage détiennent une grande liberté pour critiquer certaines stratégies de cyberdéfense comme le fait Alix Desforges à propos de la séparation entre les pôles défensif et offensif caractérisant le modèle de cyberdéfense française.

Une « perspective internationaliste »

De plus, comme l’écrit Sébastien-Yves Laurent, « ce livre s’inscrit clairement dans une perspective internationaliste : ses auteurs pensent que l’étude du cyberespace ne peut être circonscrite aux seules limites d’un pays, en raison de la nature distribuée du système structurant le cyberespace et de la mobilité constante des données. » En effet, tous les chapitres adoptent un point de vue international mais souvent, tout de même, à partir d’une approche comparative où les États-Unis et la France détiennent une place privilégiée (comme dans le chapitre « Les États-Unis, les États et les faux-semblants de la fin de l’Internet mondial » par Sébastien-Yves Laurent, le chapitre « Cyberdéfense et politiques de régulation aux États-Unis : de l’échec de la politique globale au succès de l’approche sectorielle » par Adrien Manniez ou encore le chapitre « Séparation des fonctions offensive et défensive : l’originalité du modèle de cyberdéfense française remis en cause ? » par Alix Desforges).

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