Cette Union européenne si attachée à la protection de la vie privée crée la polémique avec son programme de surveillance de masse. Moritz Körner, membre du Parlement européen, partage ses inquiétudes pour inCyber.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Le combat contre la pédopornographie mené par l’UE conduira-t-il à un programme de surveillance de masse ?

Moritz Körner, membre du FDP (Parti libéral-démocrate allemand), est député européen depuis 2019. Il siège à la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, au sein du comité budgétaire. Il intervint au sujet « Au-delà de Budapest : données et vie privée dans les enquêtes criminelles » lors de l’Agora du FIC à Bruxelles, le 22 mars 2023. inCyber a profité de cette occasion pour interviewer ce défenseur des libertés au sujet des menaces qui pèsent sur les droits fondamentaux au sein de l’UE.

La proposition de l’UE contre la pédopornographie est controversée car elle engendrerait une surveillance de masse des tchats en ligne. Ce projet respecte-t-il l’équilibre entre la défense des droits fondamentaux et les besoins des autorités ?

Non, absolument pas. C’est un bafouement des droits fondamentaux sans précédent. Bien entendu, tout le monde est contre la pédopornographie et veut voir ses auteurs derrière les barreaux. Néanmoins cette proposition est-elle vraiment utile ? Elle est censée servir dans la recherche de nouvelles images générées par l’IA. Or nous parvenons actuellement à repérer les contenus à caractère pédopornographique avec une marge d’erreur relativement légère.

Mais avec ce nouveau dispositif de détection, nous aurons 5 à 10% de faux positifs, sur une population d’individus analysés très importante. Ceci impliquerait la surveillance d’un très vaste nombre de personnes et d’échanges. Les autorités seraient débordées et des quantités importantes d’échanges entre citoyens innocents feraient l’objet de traitement. Je pense qu’en aucun cas cela ne nous aide dans la lutte contre la pédopornographie, et cela ne rentre pas dans le cadre de nos droits fondamentaux.

Mais alors, comment combattre la pédopornographie ?

Grâce à une meilleur coopération au niveau européen. Nous devrions arrêter de compter sur les Américains ; nous aurions peut-être pu mettre quelque chose en place avec Europol. Cela dit, c’est le cadre juridique qui est à travailler. L’article 140 sur le marché commun soutient que la différence de réglementation entre États membres est source de problèmes en ce qui concerne le marché numérique commun. Ce qui n’est pas vrai puisque nous venons de mettre en œuvre le règlement sur les services numériques (Digital Services Act). Quand vous regardez ce que contient celui-ci : le blocage des URL, qui n’est pas possible, le contrôle de l’âge partout, dans les app store et ainsi de suite, afin de restreindre l’accès aux mineurs… L’anonymat dans le monde numérique n’existe plus.

Craignez-vous un risque d’abus ?

Je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Évidemment, les entreprises doivent en faire davantage pour protéger les enfants de risques tels que le « pédopiégeage », la sollicitation et l’abus sexuel. Elles devraient disposer d’un mécanisme de traitement des plaintes pour enfants et devraient établir des comptes rendus directs. Toutefois, mettre en place un vaste système de surveillance à la chinoise n’est pas la bonne solution. Ceci ne nous aiderait pas vraiment à combattre la pédopornographie, et porterait atteinte à nos États de droit et nos libertés.

En outre, ce pouvoir étendu pourrait constituer un premier pas vers l’emploi de cette technologie de recherche d’images et de pédopiégeage contre le terrorisme, puis contre les infractions graves. Et enfin quelqu’un pourrait décider de s’en servir contre ses opposants politiques. En Europe ce n’est pas comme cela que nous devons procéder.

Le projet de portefeuille numérique européen (European Digital Wallet) pourrait être approuvé sans vote au Parlement. Quelle est votre réaction en tant que député européen ?

L’avis du Parlement a été approuvé en commission par une assez large majorité. En réalité c’est quelque chose que nous voyons régulièrement. Bien que je sois toujours favorable au passage en plénière, je n’y vois pas un scandale car il s’agit d’un procédé normal.

Ce portefeuille numérique pourrait avoir des conséquences importantes sur les droits fondamentaux.

Je ne suis pas expert en la matière mais d’après ce que je comprends, nous nous connectons à une multitude d’applications différentes avec nos identifiants Facebook et Google, qui constituent plus ou moins une identité numérique. Voulons-nous une identité européenne qui protège nos droits fondamentaux, avec la possibilité pour les citoyens de s’identifier dans l’espace numérique en protégeant leurs données ? C’est de cela que nous discutons. Bien entendu, il y a des risques et nous devons nous pencher sur les garde-fous mais à l’heure actuelle, je ne vois pas de grand danger.

Certains citoyens craignent qu’il ne s’agisse d’un premier pas vers un système de crédit social.

Ils devraient donc craindre cette proposition, car elle porte vraiment atteinte à toutes nos communications privées. Chaque communication privée sera scrutée par l’IA. C’est problématique. Ils veulent aussi trouver un moyen d’accéder aux fichiers chiffrés ou de contourner ce chiffrement. C’est réellement problématique et on n’en parle pas au sein des États membres. Évidemment les gens approuvent la lutte contre la pédopornographie mais ils ne voient pas les bouleversements qui se cachent derrière.

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