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Cybermoi/s: la démocratie à l’épreuve de la désinformation


Paul Charon, directeur du domaine Renseignement, anticipation et stratégies d’influence de l’IRSEM, l’affirmait lors de la table ronde intitulée « Faire face à la désinformation et à la cybercriminalité pour protéger la démocratie », la désinformation, dont l’ampleur est croissante, est utilisée aussi bien par des acteurs étrangers, endogènes et transnationaux. « Elle se déploie essentiellement sur les réseaux sociaux et elle est considérée par les organisations internationales et les cabinets de conseil comme un risque majeur à court terme, surpassant même des menaces telles que le changement climatique », déclare-t-il. Les gouvernements la voient désormais de plus en plus souvent comme un enjeu de sécurité nationale et renforcent leurs dispositifs défensifs et offensifs ».
L’intelligence artificielle joue un rôle central dans l’évolution des techniques de désinformation avec des outils textuels et visuels toujours plus sophistiqués. « Bien qu’aucune élection n’ait basculé à cause de l’usage de deepfakes ou d’agents conversationnels, ces techniques créent une indistinction entre vérité et mensonge, sapant la confiance envers les institutions démocratiques », constate-t-il.
Ces campagnes de désinformation gagnent également en complexité et en coordination. « Si on observe ce que font les Russes et les Chinois, on voit qu’elles mettent en jeu de plus en plus d’acteurs de mieux en mieux coordonnés dans des opérations de plus en plus sophistiquées et de plus ne plus clandestines, affirme-t-il. C’est aussi une réaction aux dispositifs de protection mis en oeuvre par certains États ». Ciblant toutes les problématiques (géopolitique, santé publique, climat, migrations, droit des femmes…), elles ne se créent pas ex nihilo mais amplifient des croyances et sentiments existants. Elles servent aussi des régimes autoritaires qui les utilisent pour cibler leurs propres populations.
Évaluer la pertinence et la qualité d’une information
Selon Marc-Antoine Brillant, chef de service de Viginum, un service rattaché au Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN) et chargé de la détection et la caractérisation des ingérences étrangères, trois tendances se sont dégagées ces deux dernières années. « La manipulation ne se limite plus aux périodes électorales mais touche tous les champs du débat public : Gilets jaunes, violences lors de l’affaire Naël, Crise des agriculteurs, cérémonie d’ouverture des JO… Et je veux mettre en avant le fait qu’on voit de moins en moins de création de faux et davantage d’instrumentalisation du vrai », pointe-t-il. Sur l’impact de l’IA, il estime que le véritable défi à venir est la capacité à distinguer ce qui est authentique de ce qui est synthétique (créé par l’IA). « Cela posera un enjeu majeur pour le débat démocratique, rendant plus difficile la formation d’opinions libres sur les réseaux sociaux et autres plate-formes », souligne-t-il.
Deuxième tendance, la sophistication grandissante des manœuvres de désinformation avec des opérations mieux coordonnées. Et enfin, le recours croissant à des prestataires privés localisés à l’étranger, souvent dans des pays difficiles à appréhender, dans le but de dissimuler les véritables commanditaires des campagnes d’ingérence. Face à ce panorama on ne peut plus inquiétant, les intervenants de la table ronde ont été unanimes quant aux leviers possibles pour protéger la démocratie. Ils passent, selon eux, par la règlementation et par l’éducation aux médias et à l’information. En effet, selon Nathalie Sonnac, professeure des universités en sciences de l’information et de la communication à Paris 2, les études mondiales montrent qu’aux États-Unis, en Europe et en France, plus de 70 % des 20-35 ans s’informent sur les réseaux sociaux et quelque 61 %, sur les plate-formes en Occident.
« Cela s’accompagne d’une défiance vis-à-vis des institutions car l’information de qualité est totalement noyée dans un océan de contenus, dont de la désinformation, affirme-t-elle. Dans ce contexte, l’éducation aux médias et à l’information consiste à donner les outils pour comprendre comment une information se fabrique, comment elle se produit et comment évaluer sa pertinence et sa qualité. « Il est crucial de développer l’esprit critique dès le jeune âge en investissant massivement dans l’école, surtout face à ce flux incroyable d’informations, de désinformation, et d’infobésité. C’est important car certains se détournent de l’information, ce qui peut mener à ne plus voter et à ne plus jouer son rôle de citoyen ».
Un arsenal juridique au service de la lutte contre la désinformation
Côté juridiction, la récente Section J3 du Parquet de Paris (Junalco) est dédiée à la lutte contre la cybercriminalité. « Cette section a une compétence nationale pour toutes les infractions cyber, explique Johanna Brousse, vice-procureur en charge de la cybercriminalité au Tribunal judiciaire de Paris. Dans un premier temps, nous avons appréhendé ces modes opératoires nouveaux par le vecteur cyber car nous nous sommes rendus compte que ces acteurs utilisaient souvent les mêmes vecteurs d’attaques pour faire de la désinformation ».
Pour lutter contre ce phénomène, la Junalco n’avait pas vraiment de cadre juridique jusqu’à l’adoption en juillet dernier de la loi contre les ingérences étrangères, initiée par le député Sacha Houlié. Elle confère de nouvelles compétences au Parquet de Paris, notamment pour traiter des infractions cyber visant à créer des ingérences dans le but de déstabiliser les institutions françaises.
« Les dossiers sont complexes et vont nécessiter une coopération internationale, estime-t-elle par ailleurs. Cela se traduit notamment par des équipes communes d’enquête grâce à des accords entre plusieurs pays pour traiter ensemble des dossiers ». Elle cite également, parmi l’arsenal juridique, la loi LOPMI (Loi d’Orientation et de Programmation du Ministère de l’Intérieur). Cette dernière permet de sanctionner les administrateurs de plate-formes en ligne qui laisseraient faire toutes sortes d’abus. « C’est grâce à elle que la plate-forme Coco a été fermée.Un procès assez symbolique est en cours », précise-t-elle.
Tout cet arsenal juridique vient renforcer le règlement européen DSA (Digital Services Act), qui encadre les activités des plate-formes, et en particulier celles des GAFAM. À cet égard, Marc-Antoine Brillant pointe « l’immense responsabilité » des plate-formes . « Elles sont un des maillons d’une campagne de désinformation car elles hébergent le débat et, parce que le débat y est hébergé, c’est une fabrique de l’opinion par l’algorithmie », affirme-t-il. Je suis un fervent croyant que le DSA, par sa mise en œuvre, devait changer la donne ».
Favoriser la transparence
Il met également en avant l’importance de la transparence dans la lutte de l’État contre les campagnes de désinformation en citant l’exemple des étoiles de David, opération qui s’est déroulée sur le territoire national, avec un volet physique et un volet numérique. Le contexte en est la guerre au Proche Orient. En juin 2023, Viginum publie un premier rapport sur le réseau russe Recent Reliable News (RRN/Doppelgänger). Puis, début novembre, il détecte l’activation d’un réseau de 1095 bots sur la plate-forme X, qui va amplifier la visibilité de deux photos de tags représentant des étoiles de David dans le 10ème arrondissement de Paris.
« Ça nous a interpellé car cette volonté d’amplification totalement artificielle arrivait à un moment où il n’y avait pas de sujet sur l’étoile de David dans les médias, explique-t-il. La temporalité et l’activation de ces 1095 bots, qu’on avait reliés au dispositif RNN, étaient un marqueur fort d’une opération d’ingérence étrangère. Compte-tenu de la sensibilité du contexte, nous avons choisi avec le Quai d’Orsay de dénoncer cette opération très en amont, assez rapidement ». Ce qui a été acté dans les 72 heures avec la publication d’un communiqué de presse. « Dénoncer est maintenant une ligne très forte de nos autorités politiques. Ce qui nous anime est de mettre de la lumière sur des gens qui veulent rester cachés. Quand on est une démocratie et qu’on fonctionne comme un État de droit, le meilleur levier est la transparence parce qu’on rend des comptes aux citoyens », conclue-t-il.

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