Quelques jours auront suffit pour que DeepSeek, la nouvelle intelligence artificielle générative chinoise, provoque un séisme dans ce domaine de pointe. Avec un coût de développement ridiculement bas comparé à ses homologues américains et des performances qui rivalisent - voire surpassent - celles d’OpenAI ou Google DeepMind, ce chatbot gratuit, sobre énergétiquement et entièrement open-source est un électrochoc pour le monde de l’IA.

Une révolution dans l’approche

5,6 millions de dollars : c’est le coût annoncé du développement de DeepSeek. Un chiffre vertigineusement bas quand on sait que la mise en service de ChatGPT en 2023 avait dépassé les 100 millions de dollars et nécessité 25 000 puces électroniques NVIDIA. De son côté, la start-up chinoise a indiqué n’avoir utilisé que 2000 puces moins avancées du même fournisseur, l’administration Biden ayant imposé de fortes restrictions sur l’exportation de certaines technologies de pointe vers la Chine.

Sam Altman, créateur de ChatGPT, lui-même le reconnaît : « C’est un modèle impressionnant, notamment en raison de ce qui est offert pour le prix ». D’autres figures de la tech, à l’instar de Marc Andreessen, proche de Donald Trump, évoquent même un « Sputnik Moment », en référence au choc causé par le tout premier lancement de satellite réussi par l’URSS en 1957.

Le tempo de cette entrée fracassante de la Chine sur le marché (très fermé) de l’IA n’a rien d’un hasard. Le lancement de DeepSeek a eu lieu quelques jours seulement après que Donald Trump ait dévoilé StarGate, un projet colossal visant à injecter 500 milliards de dollars dans les infrastructures américaines d’intelligence artificielle, principalement dédiés à la construction de gigantesques datacenters.

Contrairement aux modèles américains qui misent sur la puissance brute et des jeux de données gigantesques, DeepSeek adopte une approche radicalement différente : le “renforcement” adaptatif. Plutôt que d’absorber une masse d’informations astronomique, son IA apprend à chercher, à se poser des questions, et affine ses réponses à travers un système de récompenses.

Le message est limpide : l’IA ne doit pas nécessairement s’appuyer sur des milliards pour financer des centres de données toujours plus voraces en énergie et des puces toujours plus sophistiquées. La Chine démontre qu’une approche plus efficace et frugale peut suffire à rivaliser avec les mastodontes américains.

Une claque pour l’Occident

L’onde de choc a été instantanée. En quelques heures, l’annonce du lancement de DeepSeek a fait vaciller les marchés financiers. Les actions des géants de la tech américaine, en première ligne NVIDIA, se sont effondrées. L’entreprise, fournisseur quasi-monopolistique des puces essentielles à l’IA, a vu sa valorisation boursière chuté de 17 %, soit une perte de près de 600 milliards de dollars en 24 heures. 

Pendant que les marchés s’effondrent à Wall Street, les téléchargements de l’application explosent et DeepSeek accumule des millions de téléchargements en quelques jours sur les plateformes d’Apple et Google. 

En Europe, la réaction ne se fait pas attendre : l’Italie interdit immédiatement l’application, invoquant des préoccupations liées à la protection des données. En France, la CNIL demande des clarifications à la Chine sur le traitement des informations des utilisateurs. 

Calendrier encore une fois peu hasardeux  : cette déflagration intervient à la veille du Sommet de Paris sur l’IA, où les dirigeants européens doivent débattre de la souveraineté numérique et de l’indépendance technologique vis-à-vis des États-Unis. L’ironie est criante  : alors que l’Europe peine à définir un modèle plus éthique et moins dépendant des géants américains, c’est une entreprise chinoise qui concrétise ces aspirations.

Dans un entretien au Monde, la politologue Asma Mallah résume : « DeepSeek est peu onéreux, sobre d’un point de vue énergétique, capable de fonctionner avec des jeux de données réduits par rapport aux modèles américains et, surtout, il est open-source. Exactement la promesse que les Européens revendiquent pour l’IA ! ».  

Le chatbot DeepSeek coche t-il réellement toutes les cases de l’IA revendiquée par l’Europe?  À la liberté d’expression près!

« Let’s talk about something else » : données ouvertes, idées fermées

Peut-on parler de tout ? Pas avec n’importe qui ! Sans surprise, une IA conçue en Chine s’accompagne de gardes-fous stricts. Ainsi, si vous essayez d’obtenir des informations sur Taiwan, les Ouïghours, les manifestations de place Tian’anmen… bref, tout sujet politique susceptible de contrarier les positions ou intérêts chinois, DeepSeek vous proposera tout simplement de “parler d’autre chose”. 

A contrario, ChatGPT n’aura aucun mal à affirmer que l’invasion de l’Irak reposait sur un mensonge ou que l’armée américaine a eu recours à la torture en Afghanistan.

Dans l’entretien évoqué plus haut, Asma Mallah affirme que le contraste entre les deux modèles renforce le “spliternet” : “la fracturation du cyberespace – mais en fait, aussi, symétriquement, celle du champ géopolitique – en deux énormes blocs, avec deux visions du monde radicalement différentes”, chacune par ailleurs fortement empreinte de patriotisme. 

Un patriotisme qui, lui, transparaît dans les deux modèles : interrogez DeepSeek sur la supériorité de ChatGPT, il botte en touche ; posez la question inverse à ChatGPT, il fera de même. Les machines ont appris à défendre les couleurs de leur camp, “c’est de bonne guerre”…

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