

En sortant de la projection de Mickey 17, on peut avoir en tête une question lancinante : pourquoi faut-il que l’humanité trébuche sur les mêmes écueils dès qu’elle est confrontée à des situations similaires ? C’est en quelque sorte le principal propos du réalisateur coréen Bong Joon Ho. Son film suit une communauté humaine embarquée dans un vaisseau spatial géant à la découverte d’une planète habitable par l’humanité. Il rapporte surtout les événements qui entourent l’installation de cette communauté sur une exoplanète, Nilfheim.
Analyse et invraisemblance
On ne sait guère combien de temps dure le voyage de la Terre vers cette exoplanète. On sait juste que le vaisseau emporte quelques milliers d’humains et que ce même vaisseau servira de ville une fois qu’il aura été posé sur le sol de l’exoplanète. De ce qu’on aperçoit de l’engin spatial géant dans les premières minutes du film, rien n’explique la gravité à bord, 1 g. On n’aura pas plus d’information sur la manière dont il s’est posé sur la planète. On pourrait juste rappeler que la gravité, au cours d’un voyage, est essentielle pour garder les formes de vie embarquées capables, à leur arrivée, de se mouvoir sur un sol doté d’une gravité de masse. La seule solution connue à ce jour pour générer une gravité artificielle est la force centrifuge. Le vaisseau du film ne présente aucune structure assimilable de près ou de loin à un cylindre O’Neill, il reprend les éternelles architectures à la « Star Wars », « Battlestar Galactica » avec un sol et un plafond. Quelle est la taille de ce vaisseau ? Là encore : aucune information. Il est nécessairement grand : si la colonie humaine veut s’installer définitivement sur Nilfheim, les généticiens indiquent que cette population devrait se situer entre 1000 et 5000 individus afin d’assurer une diversité génétique viable sur le long terme. Alors, on saute à pied joint sur la conception du vaisseau tout comme sur la phase d’atterrissage… parce qu’envisager de faire se poser un tel vaisseau qui nécessairement se mesurerait en des centaines de mètres… c’est du délire ! Mais, ce n’est pas grave, car l’intérêt de Mickey 17 réside ailleurs.
Western et exploration spatiale : même combat ?
Cet ailleurs est dans l’incapacité de cette tranche d’humanité de penser au-delà des frontières qu’elle emporte avec elle, au-delà des étoiles. Sûr de son fait, cette communauté qui fleure bon l’Amérique tonitruante et sûre d’elle n’envisage pas que le sol sur lequel elle se pose puisse être habité par des formes de vie intelligentes et sensibles. Cette communauté qui n’a rien d’idéal dans son organisation avec son système de classes – on le verra plus loin, mais le héros du film, Mickey, joué par Robert Pattinson, est à lui seul le représentant de la plus basse de ces classes – sous la tutelle de son leader « charismatique ».
Sans évoquer ce dernier, on pourrait juste envisager que le film Mickey 17 est une transposition parodique des Western dans l’espace : aujourd’hui comme hier, d’un côté, on trouve les colons et de l’autre, les indiens. Les colons n’ont que faire des autochtones, persuadés de leur bon droit, qu’ils estiment légitimé par un acte de propriété imprimé sur un bout de papier par une administration si lointaine qu’elle en devient presque irréellee tout boosté à grand renfort de « destinée manifeste »cette idéologie, née au XIXe siècle, qui affirmait la vocation des États-Unis à s’étendre sur le continent nord-américain, en une expansion non seulement perçue comme inéluctable, mais comme une mission quasi sacrée, comme une « évidence biologique » comparable à la croissance naturelle d’un organisme. Bon… pas du meilleur goût, surtout au XXIe siècle. Mais le film, comme beaucoup des westerns tardifs, rebat les cartes entre les protagonistes. On est alors en droit de passer un bon moment surtout grâce au regard acerbe du réalisateur coréen. Cependant, dans le film, il y a un ingrédient « magique », le petit plus qui le rend unique. Il s’agit de Kenneth Marshall, l’initiateur du voyage vers Nilfheim, politicien mégalomane, autoritaire… et ridicule.
Donald, sort de ce film !
Ce qu’il y a de fascinant dans ce personnage, c’est qu’il semble être un doux mélange, une hybridation entre Donald Trump, tel qu’il agit au début de son deuxième mandat, et l’Elon Musk devenu Conseiller spécial du président. Cela, en gardant bien en tête que le film a été conçu et produit avant l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump 2 aux États-Unis. Musk y apparaît comme l’inspirateur du DOGE, le fameux Department of Government Efficiency (Département de l’Efficacité Gouvernementale), chargé de couper dans les dépenses fédérales « inutiles »
Mark Ruffalo qui prête ses traits à Kenneth Marshall est sublime dans ses attitudes trumpiennes et dans l’assurance qu’il donne à son personnage quand il énonce ses convictions à l’emporte-pièce. Son personnage suscite un enthousiasme débridé chez ses aficionados, quelque chose entre les meetings du candidat Trump et les salles de contrôle de SpaceX au moment des lancements du vaisseau Starship. À propos de conquête spatiale, il faut juste se demander si Musk qui rêve tant d’aller coloniser Mars partira là-bas dès les premières missions – avec de fortes chances que ce soit un « one way ticket » ou s’il attendra que les choses soient raisonnablement installées…
Société de consommation, quand tu nous tiens !
L’intérêt du film Mickey 17 réside aussi dans les excès de la société voulue par Kenneth Marshall. Car, cette société « idéale » qu’il cherche à bâtir sur Nilfheim, au-delà d’être battue en brèche par les autochtones, les « indiens » extraterrestres, repose sur une société de consommation qui est allée jusqu’à créer le produit ultime : l’humain remplaçable ! Et c’est là que réside le sommet de la critique que porte le film de Bong Joon Ho : à bord du vaisseau, un individu est un simple produit à qui on peut faire tout subir. Souvenez-vous du titre du film : Mickey 17. Le personnage que joue Robert Pattinson avec une immense talent est la 17e version de lui-même. Divers événements l’amèneront à se trouver en présence de sa 18e version, ce qui est strictement interdit. C’est un des éléments perturbateurs de la narration du film qui la fera avancer dans une direction tout sauf souhaitée par notre cher politicien Kenneth Marshall. Mais, tout ceci est anecdotique. Ce qui compte c’est que Mickey/Robert Pattinson puisse être imprimé, encore et encore, peu importe quelle avanie il aura subi. Ce qui compte, c’est que dans ce futur la vie est devenue un procédé industriel. Ce qui compte, c’est que le vivant soit devenu un produit jetable.
Dans nos sociétés modernes, au sein desquelles n’importe quel objet est devenu un consommable, sans plus de valeur que l’attention que je vais lui porter dans la mesure où cet objet va répondre à l’attente toute moderne de la construction du soi – on peut se rappeler qu’en France, certains vêtements de fast fashion peuvent être portés seulement 7 à 10 fois avant d’être écartés –, le fait que le vivant soit devenu un consommable a quelque chose de sublime dans la dérision, dans la dissolution, dans la disparition du mystère qu’est encore la vie pour la science. Cet aspect génialement gênant sert les ambitions de Kenneth Marshall et celles de cette société dont il est lui-même issu, cette société qui part à la conquête d’un territoire sans s’interroger sur ce qu’elle va y trouver, cette société pour qui la vie n’a plus vraiment de valeur… et qui va être rattrapée et ramenée à la réalité par les « indiens » !
Partir, partir… soit ! On peut un peu réfléchir avant de partir ?
Avec une proposition radicalement inverse de celle que propose Becky Chambers dans son court roman Apprendre, si par bonheur (L’Atlante, 2020) – un sommet de prudence, voire d’effacement de l’humanité face aux mystères de l’univers, à chacun de s’interroger de cette autre proposition –, Mickey 17 nous invite à repenser la finalité de nos sociétés dont le moteur est et reste la consommation, la finalité de l’expansion humaine – que celle-ci soit spatiale ou non – ainsi que les conditions d’une éventuelle installation humaine outre-Terre. Jusqu’à preuve du contraire, il n’y aura pas d’indiens extraterrestres pour ramener l’humanité – ou ses colons – à la raison… Alors, autant prendre le temps de se poser toutes ces questions dès maintenant, pour nous-mêmes et surtout pour les femmes et les hommes qui, enthousiastes, pourraient un jour partir vers d’autres cieux…
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