C’est le cas notamment quand des licenciements sont fondés sur ces contenus. Deux récentes décisions de la Cour de cassation nous éclairent à ce sujet.

Dans la première affaire (Cour de cassation, chambre sociale, pourvoi n° Z 21-25.452, 4 octobre 2023), une infirmière, travaillant au service d’urgence des accueils de nuit, est licenciée pour faute grave par son hôpital. Elle conteste devant la Cour de cassation la décision de la cour d’appel de Versailles du 14 octobre 2021 qui a rejeté, comme la juridiction des prud’hommes, ses demandes tendant à déclarer irrecevables des pièces produites par son employeur.

La cour d’appel a estimé établi le fait que l’intéressée ait introduit de l’alcool au sein de l’hôpital, en se fondant sur des messages issus de réseaux sociaux, et que la production de ces éléments par l’employeur était justifiée au regard des fonctions de la salariée et proportionnée à l’objectif de protection de l’employeur au titre de ses obligations à l’égard des patients.

Elle a notamment fondé sa décision sur des photographies issues d’un groupe Messenger. Ces dernières ont montré la participation de la demanderesse à une séance photo en maillot de bain, au temps et sur le lieu de son travail. La cour a considéré que, dans la mesure où ces photos avaient été prises sur le lieu de travail et à destination d’une ancienne collègue de travail, elles relevaient bien de la sphère professionnelle et étaient légitimement produites aux débats. Elles révélaient un comportement contraire aux obligations professionnelles de la salariée.

La demanderesse, dans ses moyens, a contesté l’arrêt de la cour d’appel en soutenant qu’il s’agissait de photographies privées dont elle n’avait pas autorisé la diffusion. Les photographies litigieuses étant issues d’un réseau privé, leur production porte une atteinte à sa vie privée. Selon elle, la cour d’appel n’a pas recherché si cette atteinte était indispensable à l’exercice du droit à la défense de l’employeur et proportionnée au but recherché, notamment en considération des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et 9 du Code civil.

Pour la Cour de cassation, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Il doit mettre en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié. Et ce à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La cour d’appel a fait ressortir que la production des photographies extraites du compte Messenger, portant atteinte à la vie privée de la salariée, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la protection des patients, confiés aux soins des infirmières employées dans son établissement.

Dans la mesure où ces photos ont été prises sur le lieu de travail et à destination d’une ancienne collègue de travail, elles relèvent de la sphère professionnelle et sont légitimement produites aux débats, révélant un comportement contraire aux obligations professionnelles de la salariée. Les échanges sur les réseaux sociaux auxquels a participé la demanderesse démontrent sa participation à des soirées alcoolisées. La Cour d’appel a donc légalement justifié sa décision.

Porosité entre vie privée et professionnelle

Dans une deuxième affaire (Cour de cassation, Assemblée plénière, pourvoi n°21-11.330, 22 décembre 2023), un salarié en congé laisse ouvert son compte Facebook sur son ordinateur professionnel. L’intérimaire qui le remplace accède au contenu et découvre un échange qui le concerne. La conversation sous-entend que la promotion de l’intérimaire serait liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique.

L’employé est licencié pour faute grave. Pour la Cour de cassation, un licenciement de cette nature, pour un motif en lien avec la vie personnelle de l’employé, ne peut s’appuyer que sur des manquements aux obligations professionnelles (obligation de loyauté, de confidentialité, etc.). Dans le cas d’espèce, faute de rapporter de tels faits, les juges d’appel n’avaient pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie Facebook.

Ces deux décisions de la Cour de cassation soulignent la porosité entre la vie privée et la vie professionnelle sous l’influence de l’usage de moyens numériques. Dans les deux cas d’espèce, il s’agit de prouver la faute de l’employé commise au sein de l’entreprise. Il y a quelques années, la Cour de cassation (Cass. soc. 30-09-2020, n° 19-12.058) avait déjà tranché en ce sens, en estimant que le droit à la preuve pouvait justifier une atteinte à la vie privée d’un salarié par la production en justice d’extraits de sa page Facebook où il avait publié une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015, exclusivement réservée aux commerciaux de l’entreprise Petit Bateau, violant ainsi son obligation contractuelle de confidentialité.

La Cour avait soumis cette atteinte à la vie privée à la triple condition que cette production soit indispensable à l’exercice de la preuve, que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi et que la production des éléments soit indispensable à l’exercice du droit de la preuve. Si l’on se réfère à une jurisprudence antérieure (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 12 septembre 2018, 16-11.690), le compte doit être accessible au public.

Ainsi, n’est pas constitutif d’une faute grave la diffusion d’insultes à l’égard de l’employeur sur le compte ouvert par une salariée sur Facebook, exclusivement accessibles à un groupe fermé de quatorze personnes, agréées par l’auteur des propos, de sorte que ceux-ci relèvent d’une conversation de nature privée. Dans le second cas d’espèce, la violation de la vie privée ne peut être admise si l’on ne dispose pas d’éléments mettant en exergue un manquement à une obligation professionnelle.

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