Yann Bonnet est le Directeur Général délégué du Campus Cyber. Il accompagne Michel Van Den Berghe dans la conception et la mise en œuvre du Campus Cyber depuis son origine. Yann Bonnet a été Directeur de cabinet de Guillaume Poupard, Directeur Général de l’ANSSI. Il a accompagné Cédric Villani lors de l’élaboration de son rapport sur l’intelligence artificielle et intervient régulièrement pour partager son expertise sur les enjeux d’IA et de cybersécurité auprès des médias et institutions françaises et européennes.

Yann, vous avez joué un rôle clé dans la conception du Campus Cyber, dès 2020 à l’ANSSI avec Guillaume Poupard, puis, à partir de 2021, en accompagnant Michel Van Den Berghe dans sa mission de préfiguration. Quatre années plus tard, quels sont les souvenirs et enseignements que vous tirez de ce projet ?

Effectivement, déjà quatre années que ce projet un peu dingue existe. Et quel projet ! Le Campus Cyber est incomparable par sa portée et son fonctionnement. Il faut bien se rendre compte qu’une telle entité n’existe nulle part ailleurs.

En 2020, avec Guillaume Poupard, nous avions l’intuition qu’il fallait faire levier sur l’écosystème pour mieux maîtriser le risque cyber. Avec Michel Van Den Berghe, nous sommes partis de cette feuille presque blanche avec pour seul objectif : être plus fort ensemble. Sous l’impulsion du Président de la République, nous avons concrétisé cette belle idée, qui aurait pu rester un énième vœu pieux sans lendemain, en allant convaincre, un à un, les indécis et les pessimistes du bien-fondé de cette aventure. Avec beaucoup d’audace, de conviction et de travail, l’impossible est devenu possible !

Tout n’est pas parfait, loin de là, trois ans après l’ouverture, mais nous avons accompli de grandes choses. L’existence et la pérennisation du Campus Cyber est déjà une réussite en soi. C’est celle d’un écosystème qui sait qu’il doit s’unir afin de répondre aux grands défis collectifs. Le Campus Cyber existe par et pour ses membres ! Sans Capgemini, Orange Cyberdefense, Thales, Sopra, Eviden, Wavestone, Headmind, l’ANSSI, le Cesin, le Clusif, Hexatrust ou encore l’INRIA, pour n’en citer que quelques-uns, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Trois ans après l’ouverture de nos portes, nous avons rassemblé plus de 300 organisations. C’est plus de 1000 experts qui travaillent quotidiennement au Campus Cyber.

Nous ne sommes qu’au début de l’histoire. Nous avons un potentiel énorme encore sous-exploité, une gouvernance solide, un fort soutien de nos membres, dont le principal est l’ANSSI, des espaces à Paris et dans les régions où se retrouve tout ce qui se fait de meilleur en cybersécurité.

Avec Michel Van Den Berghe, nous avons construit les fondations du Campus Cyber, il faut désormais accélérer et amplifier nos travaux au service de nos membres et de notre Nation.

Le Campus Cyber réunit une diversité d’acteurs : entreprises, institutions, et associations. Quels accomplissements ou projets collaboratifs vous semblent les plus emblématiques à ce jour ?

Depuis notre ouverture en 2022, notre accomplissement principal est le développement de ressources mutualisées par nos membres qui sont disponibles gratuitement pour l’ensemble de l’écosystème. Cela peut être contre-intuitif dans le monde cloisonné et concurrentiel qui est le nôtre mais, au Campus Cyber, les rivalités s’estompent pour collaborer et œuvrer ensemble à l’intérêt commun. Aujourd’hui, près de 750 contributeurs, regroupés en groupes de travail, ont donné de leur temps pour produire plus de trente ressources communes au sujet de l’IA, de la CTI ou de l’écoconception du numérique avec le lancement, par exemple, de la plateforme Cyber4Tomorrow.

En plus de produire des ressources mutualisées, nos groupes de travail permettent à des acteurs de l’écosystème venus de milieux très différents, des associations aux entreprises en passant par la recherche publique, de se connaître, de mieux se comprendre et d’apprendre à travailler ensemble. Sous la bannière du Campus, chacun accepte de participer à la dynamique collective et en ressort renforcé.

L’une des autres réussites du Campus Cyber est de réunir et faire échanger les producteurs et les utilisateurs de la cybersécurité, de rapprocher l’offre et la demande. Ce rapprochement a deux vertus. La première, évidente, est business. Nous sommes un eldorado pour les offreurs puisque 60 % des entreprises cotées au CAC40, qui bénéficient toutes de solutions de cybersécurité, sont de nos membres. La deuxième est de permettre aux utilisateurs des solutions de cybersécurité de rencontrer les startups, les chercheurs, les industriels pour qu’ils adaptent la cybersécurité à leurs besoins. La communauté qui a le mieux compris l’utilité du Campus Cyber est celle des banques et assurances qui comprend notamment Axa, BNP Paribas, la BPCE ou encore la Société générale. Tous les quinze jours, les RSSI de ces acteurs se réunissent au Campus pour travailler sur le renforcement de la mixité, la régionalisation de la cyber ou le soutien aux startups.

Au niveau international, le Campus Cyber mène un gros travail de fond pour faire rayonner l’excellence française. Nous recevons chaque année près d’une cinquantaine de délégations étrangères à qui nous présentons l’écosystème. Par ailleurs, nous inspirons l’étranger. La Lituanie a ouvert son Campus Cyber en septembre dernier et il y a également une forte volonté dans ce sens des gouvernements allemand et néerlandais. Ce sont les prémices d’un réseau européen des Campus Cyber qui permettra d’œuvrer au leadership de la France et de l’Europe dans le monde. Le Campus Cyber accélère également pour aider nos offreurs à exporter en allant chasser en meute à l’étranger. Nous nous sommes réunis avec des forces publiques et privées dans ce sens autour de la Team France Filière Confiance numérique dont la lettre d’intention sera signée le 13 janvier au Campus Cyber.

Un dernier accomplissement est CYBIAH (Cyber IA Hub), un consortium piloté par le Campus Cyber, soutenu par la Commission européenne et la région Ile-de-France, dont l’enjeu est de rendre accessible la cybersécurité aux acteurs les moins matures, en particulier les PME et les collectivités territoriales. L’idée, ici, est que le Campus joue un rôle d’interface et de tiers de confiance. D’un côté, nous rendons plus lisibles les solutions de cybersécurité pour les dirigeants des PME, nous les sensibilisons et les accompagnons dans leur démarche de cybersécurisation en nous appuyant sur un catalogue d’offres adaptées. De l’autre côté, nous aidons les offreurs à adapter leurs produits aux besoins de la diversité des PME. Nous participons à la montée en maturité du tissu socio-économique, dans la perspective de la directive NIS2, et au développement de business pour nos membres. Par ailleurs, ce projet est prometteur puisque nous entraînons en parallèle un agent IA de diagnostic cyber qui aidera nos membres à adresser le marché des PME ou contribuer à sécuriser leur supply chain.

Quels sont, selon vous, les grands défis auxquels la communauté cybersécurité devra faire face dans les prochaines années ? 

Si nous voulons faire de la France une grande puissance qui compte au niveau international, garantir notre souveraineté et notre protection, nous devons impérativement être un pays qui développe ses technologies et maîtrise sa dépendance aux technologies étrangères. Le premier grand défi est donc de favoriser l’innovation et la R&D. Le Campus peut apporter une valeur ajoutée en renforçant son rôle de catalyseur et en favorisant les interactions entre le monde de la recherche publique, les industriels, les éditeurs et les écoles. Nous accueillons dans ce sens au Campus Cyber un programme de transfert de recherche piloté par l’Inria et le dispositif Cyberbooster d’accompagnement de startups pour faire émerger les futurs champions européens de la cyber.

Les deux technologies majeures que j’identifie sont l’intelligence artificielle et l’arrivée de l’ordinateur quantique. L’IA bouleverse tous les paradigmes depuis quelques années, pour le meilleur et pour le pire. Dans notre secteur, elle permettra de mieux automatiser et intégrer les solutions. Cependant, un de mes principaux chevaux de bataille, notamment lors de mes travaux à la Commission européenne, est la cybersécurisation de l’IA qui reste à ce stade trop souvent impensée. C’est pour cela que j’ai poussé, dès l’origine du Campus Cyber, pour que l’écosystème cyber se saisisse de ce sujet et travaille beaucoup plus avec les data-scientists. L’ordinateur quantique est une technologie de rupture qui arrivera dans les prochaines années. Il est donc indispensable d’anticiper en favorisant les recherches et cas d’usage en cryptographie post-quantique. Un enjeu spécifique est de consolider les acteurs du quantique, notamment en les articulant et en pérennisant les startups sur le modèle de la plateforme OpenXDR, hébergée au Campus Cyber, qui harmonise et rend interopérables les briques technologiques apportées par des pépites comme Sekoia, HarfangLab, Glimps, Wallix ou Gatewatcher.

Notre écosystème doit ensuite répondre à deux défis davantage conjoncturels. Le principal est le passage à l’échelle, afin de rendre accessible la cyber au plus grand nombre. Aujourd’hui, les entités les plus vulnérables, comme les PME, les hôpitaux et les collectivités territoriales, éprouvent des difficultés à se protéger. Il est dangereux pour notre sécurité collective que ces entités formant le tissu socio-économique sur lequel repose la prospérité de notre pays soient désarmées face au risque cyber. Le second est la pénurie des talents. Aujourd’hui, 60 000 postes sont non-pourvus en France selon l’OCDE, les salles de classe ne sont pas remplies et les besoins des employeurs sont parfois décorrélés des formations proposées.

Le rôle du Campus Cyber est de catalyser et regrouper les meilleurs acteurs français pour répondre à ces défis technologiques, opérationnels et économiques.

Vous évoquez le défi des talents. La formation est un pilier central du Campus. Quelles sont vos actions en la matière ?

Nous mettons en visibilité et nous promouvons l’excellence des organismes de formation membres du Campus, comme l’EPITA, l’ESILV, HS2 ou Galileo Education. Notre double objectif est de rapprocher les étudiants et les entreprises et de rendre plus attractives les formations.

À ce titre, le Campus Cyber pilote le consortium Talents Cyber, financé par France2030, composé de partenaires publics, dont Radio France, l’ONISEP, Pix, le CNED ou encore des Universités. L’objectif est de faire face à la pénurie de professionnels de la cybersécurité que j’évoquais en travaillant sur l’attractivité, l’orientation et la formation des étudiants et enseignants.

Après une grosse année de travail, nous commençons à sortir nos premières réalisations comme notre plateforme Evolution, qui est une plateforme d’intermédiation entre les employeurs, les formateurs et les étudiants. Nous avons également organisé avec l’association le CEFCYS (Cercle des Femmes de la Cyber Sécurité) un job dating fin novembre 2024. Parmi les plus de 700 inscrits, 35 % étaient des femmes et 27 % des personnes en reconversion, ce qui démontre que nos efforts pour promouvoir la diversité commencent à porter leurs fruits. Nous accueillons également des classes de collégiens et de lycéens au Campus un vendredi par mois en lien notamment avec l’association Women4Cyber. À date, c’est plus de 2000 personnes qui ont été formées et 8000 sensibilisées grâce à ces actions.

En 2025 et 2026, nous sortirons nos principales réalisations : des podcasts fictionnés activant des influenceurs sur les réseaux sociaux, des CTF, des fiches et films métiers, des parcours de formation, des référentiels de compétences ou des serious games… Il reste encore beaucoup à faire pour montrer tout le sens de nos métiers, casser les biais en travaillant l’imaginaire et attirer de nouveaux talents !

Quelle est votre vision à long terme pour le Campus Cyber ? Quelles ambitions souhaitez-vous porter pour renforcer son rôle en tant que lieu totem de la cybersécurité ?

D’abord, comme vous le savez, notre président Michel Van Den Berghe a remis sa démission au Conseil d’administration. Nous sommes dans une période de transition, avec un processus en cours de nomination d’une future présidence.

Avant de clôturer le premier chapitre de notre jeune histoire, il est important de souligner que l’aventure Campus Cyber n’existerait pas sans Michel. Nous héritons de lui non seulement ce lieu-totem de la cybersécurité, qui est une réussite unanimement saluée, mais également les solides fondations d’un écosystème fertile qui apportera de plus en plus de valeur.

À titre personnel, je mesure la chance d’avoir pu travailler et apprendre aux côtés de Michel pendant ses quatre années de compagnonnage. Une certaine alchimie s’est créée entre lui, qui venait d’un champion du privé, et moi, de la direction de l’ANSSI. Grâce à lui, je me suis transformé en entrepreneur qui connaît les rouages de la gestion d’une entreprise, qui sait défendre les intérêts de ses actionnaires ainsi que recruter et animer une équipe donnant vie et sens à une intuition.

Je tiens à rassurer tous vos lecteurs, l’aventure du Campus ne s’arrête pas avec le départ de Michel. Nous poursuivons des travaux de fond à moyen et long-terme malgré cette période de transition. La machine continue à tourner et continuera avec la nouvelle présidence.

Ma vision du Campus Cyber reste la même. Nous sommes un catalyseur pour nos membres, privés comme publics, qui aligne les intérêts de chacun pour être plus forts individuellement et collectivement. Nous sommes un facilitateur, un tiers de confiance, un catalyseur. Un de nos nombreux atouts est de pouvoir compter sur un maillage territorial dense dans les régions, avec l’ouverture de cinq campus, notamment en Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine, qui agissent concrètement au plus près du terrain.

Sous l’impulsion de Vincent Strubel, directeur général de l’ANSSI, nous avons mené pendant six mois une grande consultation auprès de tous nos membres pour définir nos actions prioritaires pour les mois à venir. Cette consultation, et les axes stratégiques présentés en conseil d’administration, sont la preuve que le Campus Cyber et ses membres souhaitent désormais passer à l’étape supérieure. L’État ne peut pas tout, l’écosystème est prêt à s’engager positivement pour contribuer aux grands défis qui se présentent à nous.

Avec la nouvelle présidence et le conseil d’administration, nous allons concentrer nos efforts sur quelques actions prioritaires : promouvoir l’expertise et l’excellence de nos membres, notamment à l’international, contribuer à l’autonomie stratégique de la France en favorisant le développement d’offres souveraines, œuvrer à faire de la cyber un enjeu grand public.

Notre objectif demeure : faire de la France une grande nation cyber !

Pour en savoir plus sur Cyber4tomorrow : https://incyber.org/article/cyber4tomorrow-plateforme-innovante-pour-numerique-confiance/

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