Les dispositions des articles 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale opèrent une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée. Ne méconnaissant pas les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, les articles doivent être déclarés conformes à la Constitution.

La saisine

La Cour de cassation, saisie par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, a transmis par arrêt de la chambre criminelle du 20 avril une question prioritaire de constitutionnalité relative aux réquisitions informatiques opérées dans le cadre d’une information judiciaire.

La question prioritaire de constitutionnalité était ainsi rédigée :

« Les dispositions combinées des articles 60-1, alinéa 2, 60-2, alinéas 1, 3 et 4, 99-3 et 99-4 alinéa 1er du code de procédure pénale, qui permettent aux officiers de police judiciaire sur commission rogatoire d’un magistrat instructeur dans le cadre d’une information judiciaire d’accéder à des données de connexion par le biais de réquisitions faites aux opérateurs de télécommunication, sont-elles inconstitutionnelles en ce qu’elles violeraient le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? ».

La question vise les articles 99-3 et 99-4, alinéa 1er, du code de procédure pénale, issu, pour le premier, de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 et, pour le second, de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004. En effet, par décision n° 2022-993 QPC du 20 mai 2022, le Conseil constitutionnel a déjà répondu à l’occasion d’une autre affaire sur les dispositions de l’article 60-1 du code de procédure pénale et de l’article 60-2 du même code, relatives aux réquisitions de données informatiques, lors d’une enquête de flagrance, en les déclarant conformes à la Constitution.

Article 99-3

Version en vigueur jusqu’au 01 mars 2022 sur laquelle porte la QPC

Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire par lui commis peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l’instruction, y compris ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3 et à l’article 56-5, la remise des documents ne peut intervenir qu’avec leur accord.En l’absence de réponse de la personne aux réquisitions, les dispositions du deuxième alinéa de l’article 60-1 sont applicables.Le dernier alinéa de l’article 60-1 est également applicable. Version modifiée (italique) par la loi n°2022-299 du 2 mars 2022 (art.12) Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire par lui commis peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l’instruction, y compris, sous réserve de l’article 60-1-2, ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3 et à l’article 56-5, la remise des documents ne peut intervenir qu’avec leur accord.En l’absence de réponse de la personne aux réquisitions, les dispositions du deuxième alinéa de l’article 60-1 sont applicables.Le dernier alinéa de l’article 60-1 est également applicable.Lorsque les réquisitions portent sur des données mentionnées à l’article 60-1-1 et émises par un avocat, elles ne peuvent être faites que sur ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le juge d’instruction, et les trois derniers alinéas du même article 60-1-1 sont applicables.Article 99-4

Version en vigueur depuis le 10 mars 2004

Pour les nécessités de l’exécution de la commission rogatoire, l’officier de police judiciaire peut procéder aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l’article 60-2.Avec l’autorisation expresse du juge d’instruction, l’officier de police peut procéder aux réquisitions prévues par le deuxième alinéa de l’article 60-2.Les organismes ou personnes concernés mettent à disposition les informations requises par voie télématique ou informatique dans les meilleurs délais.Le fait de refuser de répondre sans motif légitime à ces réquisitions est puni conformément aux dispositions du quatrième alinéa de l’article 60-2.

La position du requérant

Le requérant contestait les dispositions permettant au juge d’instruction, ou à un officier de police judiciaire commis par lui, de requérir la communication de données de connexion alors qu’une instruction pourrait porter sur tout type d’infraction et qu’elle n’est pas justifiée par l’urgence ni limitée dans le temps. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée. Il ajoutait que les articles permettent au juge d’instruction, ou à l’officier de police judiciaire commis par lui, de requérir des données de connexion alors que ce magistrat ne constitue pas une juridiction indépendante. Il en résulterait une méconnaissance, d’une part, des exigences du droit de l’Union européenne, et, d’autre part, des droits de la défense ainsi que du droit à un recours juridictionnel effectif.

La décision des Sages

Le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame le droit au respect de la vie privée. Il revient au législateur, sur le fondement de l’article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques en assurant la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infraction et le droit au respect de la vie privée.

Les données de connexion, mises en avant par le requérant, comportent notamment les données relatives à l’identification des personnes, à leur localisation et à leurs contacts téléphoniques et numériques ainsi qu’aux services de communication au public en ligne qu’elles consultent. Elles fournissent donc sur les personnes en cause ainsi que, le cas échéant, sur des tiers, des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée. Mais le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions. Il a investi le juge d’instruction, magistrat dont l’indépendance est garantie par la Constitution. Par ailleurs, l’ouverture d’une information, obligatoire en cas de crime, est limitée à certains délits ou au dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile. Enfin, l’action de l’officier de police judiciaire est encadrée dans son périmètre et dans des délais et contrôlée dans son exécution par le juge d’instruction.

De ces éléments réunis, le Conseil constitutionnel tire la conclusion que les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée. Ne méconnaissant pas les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, les articles doivent être déclarés conformes à la Constitution.

La décision du Conseil constitutionnel achève l’examen de constitutionnalité des articles du code de procédure pénale relatifs aux réquisitions de données informatiques. S’il a déclaré conforme à la constitution les articles autorisant cet acte d’enquête dans le cadre des enquêtes liées à une information ou conduite selon la procédure de flagrant délit, il a, par la décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021 (M. Omar Y), censuré les articles 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, autorisant les réquisitions de données informatiques dans le cadre d’une enquête préliminaire.

Pour censurer ces deux articles, le Conseil constitutionnel avait considéré que l’enquête préliminaire peut porter sur tout type d’infraction et n’est pas justifiée par l’urgence ni limitée dans le temps. L’autorisation du procureur de la République n’est pas une garantie suffisante encadrant le recours aux réquisitions de données de connexion. Tout en rappelant que le procureur de la République, magistrat de l’ordre judiciaire, est chargé par l’article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, les Sages estiment ce dispositif insuffisant.

Le législateur n’a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions. Le Conseil constitutionnel déclare en conséquence les dispositions contestées contraires à la Constitution. La censure des articles a été cependant différée au 31 décembre 2022.

La loi n°2022-299 du 2 mars 2022 (art.12) est venue corriger les griefs relatifs à ces articles en y introduisant la référence à l’article 60-1-2 qui encadre les réquisitions informatiques en limitant les possibilités à la gravité des crimes et délits (ceux passibles d’une peine de 3 ans d’emprisonnement ou de 1 an pour les délits commis par l’utilisation d’un réseau de communications électroniques). On notera que cette loi a introduit la référence à l’article 60-1-2 dans l’article 99-3, objet de la présente QPC.

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