En octobre 2022, l’Agence européenne de police criminelle (Europol) et l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) ont chacune publié leur propre rapport sur le Métavers. La raison ? Elles souhaitent investir ce monde virtuel pour l’expérimenter afin de mieux comprendre les manières dont il peut être régulé et utilisé par la police.

Le 18 octobre dernier, Interpol a dévoilé son propre métavers lors d’une session de son Assemblée générale à New Delhi (Inde). Chanceux, les délégués présents ont pu s’y introduire afin de visiter une version virtuelle du siège de l’organisation située à Lyon. Bien qu’insolite, cet événement est loin d’être un simple coup de communication. En réalité, il s’agit d’une grande étape au service de la nouvelle ambition de la police internationale : celle d’expérimenter le Métavers.

En effet, Interpol est persuadée que ce monde virtuel en 3D est non seulement « la prochaine étape dans le développement d’Internet » mais aussi qu’il « impactera inévitablement les menaces criminelles existantes » et « générera de nouvelles formes de criminalité », comme on peut lire dans le rapport intitulé « Interpol Technology Assessment Report on Metaverse ».

Ainsi pour l’organisation, investir le Métavers est une nécessité afin de mieux comprendre ses potentielles conséquences. Comme l’a expliqué Madan Oberoi, le directeur général des technologies et de l’innovation d’Interpol, « la compréhension du métavers par la police passe nécessairement par l’expérimentation ». C’est aussi la conviction d’Europol.

Le rapport de l’agence européenne de police criminelle explique que « les forces de l’ordre doivent acquérir de l’expérience dans le métavers et trouver un moyen d’utiliser [les] expériences privées, car celles-ci fournissent des informations précieuses pour comprendre ce qui se passe et évaluer précisément les nouveaux développements ».

Malgré leurs différences, les deux organisations de police criminelle détiennent donc, au même moment, la volonté commune de comprendre le Métavers grâce à une méthode semblable : celle de l’investir pour l’expérimenter. A la lecture de leurs rapports, cette volonté commune semble dirigée par la même finalité : anticiper les différents crimes pouvant être commis au sein de cet espace virtuel, afin de prévoir une réponse adaptée, et comprendre les manières dont il peut être utilisé comme un outil pour la police.

Anticiper les crimes pour mieux les combattre

« Si nous gardons à l’esprit qu’historiquement les forces de l’ordre ont généralement été lentes à développer des réponses aux crimes commis par voie digitale, nous devrions dès que possible commencer à nous préparer à l’émergence du métavers d’un point de vue policier », expliquent les auteurs du rapport d’Europol. Et pour cause, les crimes (dits métacrimes) pouvant être commis dans ce monde virtuel sont si nombreux que les services de police se doivent de les anticiper pour mieux les combattre.

Blanchiment d’argent, escroqueries, usurpation d’identité, harcèlement sexuel, pédophilie, développement du terrorisme, désinformation, contrefaçon, vol de données, etc. Autant de crimes que les rapports relèvent afin d’analyser les manières dont ils pourraient être commis au sein du Métavers. Par exemple, le rapport d’Europol affirme que ce monde virtuel risque de créer de « nouvelles opportunités pour les organisations terroristes » dans leurs méthodes de recrutement et d’influence grâce aux technologies immersives qu’il emploie.

Il précise même qu’il est possible que certaines d’entre elles soient tentées de créer leur propre État virtuel comme un « Califat virtuel ou un État suprémaciste blanc » permettant à leurs membres de « vivre leur vie virtuelle selon des règles » contredisant celles « de la société dans laquelle ils vivent dans le monde physique ». De plus, il explique aussi que les terroristes utiliseront sans doute le Métavers pour former leurs nouvelles recrues au sein d’environnements immersifs avec des scénarios élaborés pour l’occasion.

Aussi, en plus d’anticiper les métacrimes, les rapports prévoient certaines solutions (souvent abstraites) pour les réprimer. Afin d’éviter l’usurpation d’identité aboutissant à ce qu’un avatar soit dirigé par une autre personne que celle qu’il représente (ce qui peut être problématique s’il commet un métacrime), l’étude d’Europol recommande aux plateformes de mettre en œuvre « une procédure d’identification très forte ». Cela permettrait aussi « d’assurer la confiance entre les utilisateurs et de fournir aux forces de l’ordre les moyens d’enquêter sur les crimes commis » dans le métavers.

Quant aux actes apparentés à des agressions sexuelles entre avatars, l’agence européenne reste prudente. Étant donné qu’en l’absence d’actes physiques il ne s’agit pas d’abus sexuel au sens pénal, elle explique que la société civile devra s’emparer du sujet pour décider de ce qui doit être considéré comme déviant en la matière. Cela rejoint la position d’Interpol expliquant qu’il y a « un besoin urgent de lois qui criminalisent » les actes ne pouvant être condamnés avec l’arsenal juridique fait pour le monde physique et qui, pourtant, « causent préjudice dans ou à travers le Métavers ». Ainsi, l’organisation internationale recommande de « combler les lacunes législatives et réglementaires pour permettre la criminalisation ».

D’importantes limites demeurent cependant concernant les possibilités de réprimer les métacrimes comme l’explique Europol. D’abord, puisque les mondes virtuels se multiplieront sans doute, il sera difficile de tous les contrôler comme peut le faire la police dans le monde physique en « patrouillant dans les rues ». Ensuite, il faudra surveiller non pas des contenus écrits comme sur les réseaux sociaux actuels mais des comportements d’avatars qui sont non seulement plus éphémères que des écrits mais aussi plus dépendants de leur contexte.

Enfin, ce caractère éphémère des interactions entre les avatars rendra plus difficile le recueil de preuves en cas de commission de métacrimes ainsi que la détermination de « la réalité vécue par toutes les parties concernées ». Mais heureusement, le métavers apporte aussi son lot « d’avantages » pour la police.

Un outil au service de la police criminelle

Quand Interpol a dévoilé son Métavers, des experts de l’organisation ont appris à des participants à contrôler des passagers dans un aéroport virtuel. Cela démontre à quel point l’univers virtuel peut être un outil efficace pour former les policiers, en les confrontant à des situations qu’ils peuvent connaître dans le cadre de leurs fonctions. Les rapports préconisent en effet de l’utiliser pour reconstituer des scènes de crimes commis dans le monde physique afin de former les agents de police aux techniques d’identification criminelle et aider la justice.

En effet, cela permettrait aux juges et jurés, grâce à la « création d’un environnement immersif pour le système judiciaire pénal », de revivre la scène de crime qu’ils doivent analyser lors d’un procès afin de mieux la comprendre. Aussi, une fois condamnés, les criminels pourraient faire l’objet de mesures visant à les mettre à la place de leur victime dans le Métavers pour développer leur empathie grâce aux technologies immersives.

Le métavers pourrait de surcroît aussi être utilisé comme un outil de formation immersive aux enquêtes médico-légales, comme le permet déjà le Métavers d’Interpol. Mais aussi à la gestion de crises grâce à des mises en situation simulées. Malgré toutes ces possibilités, la prudence reste de mise : « A l’origine des découvertes, il y a toujours un eldorado, une route des Indes, une pierre philosophale, une question trop grande, un mythe dont seuls des illuminés osent parler sans sourire », comme le disait le physicien Roland Omnès.

Restez informés en temps réel
S'inscrire à
la newsletter
En fournissant votre email vous acceptez de recevoir la newsletter de Incyber et vous avez pris connaissance de notre politique de confidentialité. Vous pourrez vous désinscrire à tout moment en cliquant sur le lien de désabonnement présent dans tous nos emails.
Restez informés en temps réel
S'inscrire à
la newsletter
En fournissant votre email vous acceptez de recevoir la newsletter de Incyber et vous avez pris connaissance de notre politique de confidentialité. Vous pourrez vous désinscrire à tout moment en cliquant sur le lien de désabonnement présent dans tous nos emails.