Les accords de coopération quantique entre les BRICS

Sur base de leurs stratégies nationales respectives, quelles initiatives collaboratives les BRICS ont-elles mises en place ?
« En 2020, le BRICS Science, Technology, and Innovation Framework Program a donné la priorité aux technologies et à l’informatique quantiques en tant que domaines critiques pour la recherche collaborative (BRICS STI, 2020), » rappelle Kyrlynn D.

« Depuis, l’alliance des BRICS a fait des progrès significatifs dans le domaine de l’informatique quantique. Ces pays reconnaissant le potentiel de transformation de cette technologie, ont investi massivement dans la recherche et le développement quantiques ».

Plus récemment en septembre 2024, suite à une réunion des ministres des Communications des BRICS en amont du sommet de Kazan, Maksut Shadaev (ministre russe du développement numérique, des communications et des mass média) a annoncé que « Les pays des BRICS vont développer conjointement des technologies quantiques, » rapporte l’agence de presse Tass. « les pays des BRICS interagiront dans le développement des technologies quantiques ».

Aussi, la Russie et la Chine prévoient de développer et d’éduquer des modèles linguistiques. « Aucun pays ne peut être totalement indépendant et compétitif, » a ajouté le ministre cité par Tass. « Par conséquent, le principal problème est que nous devrions chercher des points d’interaction, et que les pays amis devraient poursuivre une certaine forme de coopération. Sinon, il sera très difficile de lutter contre le monopole, avec les restrictions que les pays occidentaux sont en train d’introduire ».

Partenariat sino-russe

Ces efforts de collaboration quantique de la Russie ont été axés sur le développement de partenariats stratégiques avec d’autres pays afin de faire progresser ses capacités d’informatique quantique, rappelle Quantum News, qui précise : « L’un de ces partenariats est la coopération Russie-Chine en matière d’informatique quantique, qui a été créée en 2019. 

Cette collaboration vise à promouvoir la recherche et le développement conjoints de technologies d’informatique quantique, y compris les processeurs quantiques, les logiciels quantiques et les systèmes de communication quantique. ».

Dans un contexte de sanctions occidentales, l’alliance porte également sur l’approvisionnement en technologies quantiques, par la Russie auprès de la Chine. 

« Les composants efficaces et rentables de la Chine pourraient accélérer la commercialisation des technologies quantiques et les mettre sur le marché à un prix compétitif. Cela pourrait changer le paysage économique de l’industrie technologique, avec un déplacement potentiel du pouvoir des géants technologiques traditionnels vers de nouveaux acteurs des BRICS, » estime Malak Trabelsi Loeb.

Pour cette dernière, ce virage de la Russie vers la Chine pourrait déboucher sur « une stratégie de collaboration économique à long terme qui pourrait perturber la dynamique du commerce mondial ».

Plus récemment en janvier 2024, des scientifiques russes et chinois ont réussi à établir une communication quantique sur une distance de 3.800 kilomètres, en utilisant des clés sécurisées transmises par le satellite quantique chinois, selon le South China Morning Post, qui ajoute : « cette réalisation montre qu’un réseau de communication quantique des BRICS peut être techniquement réalisable ».

Pour Ludovic Perret, le rapprochement sino-russe dans ce domaine obéit à une certaine logique : « les Chinois ont beaucoup d’argent, ils sont montés en compétence extrêmement rapidement. 

Si la Chine a déployé la communication quantique sur son territoire, elle est à la fois en recherche de compétences pour avancer sur ce sujet-là : « d’une part, la Russie a d’excellents scientifiques, en particulier en physique et en physique quantique ; d’autre part la Chine a désormais besoin de partenaires pour développer la communication quantique à l’échelle mondiale, puis pour essayer d’imposer cette solution, » explique le chercheur. 

Selon lui, il existe donc clairement un intérêt convergent entre les Chinois et les Russes, pour développer et établir des collaborations scientifiques. Le défi étant de développer cette infrastructure ensemble, puis d’y intégrer les BRICS pour avoir plus d’utilisateurs. Puis d’avoir ensuite un maillage suffisamment important au niveau mondial pour essayer ensuite d’attirer d’autres partenaires sur ce réseau ».

Dans ce cadre et en dépit de leurs limites technologiques, « les autres pays participants pourraient alors mettre à disposition un satellite ou une station au sol, afin d’étendre le champ d’application, » entrevoit Ludovic Perret

Pour Valentin Weber, ce lien de communication quantique entre la Chine et la Russie « sert de preuve de concept pour un réseau plus large à l’échelle des BRICS. Et cette collaboration sino-russe sur les technologies quantiques, marque une intensification de la course internationale à la supériorité dans ce domaine. 

L’Inde entre BRICS et Occident

Pour sa part, l’Inde représente dans le domaine de la recherche quantique un partenaire essentiel pour l’écosystème BRICS. Selon Parth Satam en effet, elle a été invitée à rejoindre le projet de communication quantique sino-russe. « Lors du forum des technologies du futur le 13 juillet 2023, le président russe Vladimir Poutine a déclaré qu’il prévoyait de discuter avec ‘des partenaires indiens, en particulier dans les technologies informatiques de pointe, le traitement des données, le stockage et les technologies de transmission,’ indique le journaliste de The Eurasian Times.

Cependant, en raison de « tensions géopolitiques accrues », les perspectives restent « incertaines », ajoute l’auteur. « Des responsables du gouvernement indien ont signalé que plusieurs délégations russes avaient visité divers instituts indiens et départements affiliés au gouvernement depuis janvier 2023, mais qu’aucun accord concret n’avait été conclu ».

« Les BRICS revendiquent l’Inde comme l’une des leurs, mais le pays semble réticent à s’enraciner durablement dans l’écosystème quantique des BRICS, » note Matt Swayne, journaliste et analyste de Quantum Insider.

A contrario, selon lui, une collaboration quantique indo-occidentale aurait plus de sens : « car elle fait correspondre les forces et les opportunités. Le talent indien et le sens aigu de la recherche quantique renforceraient l’écosystème quantique occidental, tout en offrant de nouveaux marchés robustes à l’Inde. Et une alliance quantique indo-occidentale favoriserait un paysage quantique mondial plus diversifié et équilibré, réduisant ainsi le risque d’un monopole d’une seule nation dans ce domaine critique ».

Pour Sudhanshu Kumar et Monojit Das, le sommet de Kazan place l’Inde à un tournant critique de l’ère numérique, en particulier dans le domaine de l’informatique quantique.

« Alors que la Chine et la Russie établissent un réseau de communication quantique, elle est confrontée au défi de suivre le rythme tout en défendant ses valeurs et son autonomie, » écrivent les deux chercheurs.

Et selon eux, au lieu de fusionner entièrement avec la Chine et la Russie, l’Inde peut se concentrer sur la création d’un réseau de communication quantique sécurisé et indépendant pour la collaboration avec les BRICS. 

« Car tout en maintenant des liens étroits avec la Russie, l’Inde doit naviguer prudemment dans ses relations avec la Chine, en particulier à la lumière des récents différends frontaliers. L’ouverture de l’Internet indien par rapport aux politiques de censure de la Chine présentant également un point de discorde important ».

Une collaboration non sans défis

Pour Kyrlynn D, la coopération quantique des BRICS pourrait être entravée par deux grands défis. 

Tout d’abord, le coût élevé de la recherche et du développement. « Les ordinateurs quantiques ont besoin d’un environnement hautement contrôlé pour fonctionner, y compris des températures proches du zéro absolu et une isolation de toutes les formes de rayonnement, » précise la rédactrice du Quantum Zeitgeist. « Cela nécessite d’importants investissements dans des infrastructures et des équipements spécialisés, ce qui peut être prohibitif pour certains pays des BRICS ».

L’autre grand défi est le besoin d’expertise qualifiée, l’informatique quantique nécessitant une compréhension approfondie de l’informatique et de la physique quantique. « Les pays BRICS, bien qu’ils disposent d’un grand nombre de diplômés en STIM, pourraient avoir besoin de plus de spécialistes dans ce domaine. Cela pourrait ralentir le développement et la mise en œuvre des technologies d’informatique quantique, » ajoute-t-elle.

Toutefois, selon cette dernière, en mettant leurs ressources en commun, les BRICS ont là une occasion unique de surmonter les défis associés à l’informatique quantique. « Ces pays pourraient accélérer le développement des technologies d’informatique quantique grâce à des initiatives de recherche conjointes et à des infrastructures partagées. Cela pourrait également contribuer à atténuer le besoin de personnel plus qualifié, car les chercheurs et les scientifiques de différents pays pourraient apprendre les uns des autres, » conclut-elle.

Pour Malak Trabelsi Loeb, ces collaborations quantiques pourraient « potentiellement perturber le paysage technologique mondial ». Et les implications d’une telle alliance « pourraient être importantes et d’une portée considérable ».

Toujours selon cette dernière, la mise en commun des ressources intellectuelles et des réalisations scientifiques de ces pays « pourrait créer un effet de synergie », dont les percées technologiques quantiques, pourraient faire émerger les BRICS comme ‘influenceurs technologiques’ majeurs sur la scène mondiale ».

Vers un nouveau bloc économique ?

D’autant que leurs économies en croissance et leurs capacités technologiques pourraient significativement renforcer leur position mondiale. 
Dans la finance notamment, où l’informatique quantique pourrait leur offrir un avantage concurrentiel. « Les algorithmes quantiques peuvent factoriser de grands nombres plus efficacement que les ordinateurs classiques, ce qui pourrait perturber les systèmes cryptographiques actuels qui sous-tendent une grande partie de la finance mondiale, » précise Kyrlynn D. « Et si les BRICS peuvent développer et exploiter cette technologie avant les autres, ils pourraient dicter de nouvelles normes en matière de finance mondiale, renforçant ainsi leur influence ».

Dans le domaine de la santé également. Selon la journaliste de Quantum Zeitgeist, les ordinateurs quantiques permettront de faire des progrès significatifs dans la découverte de médicaments et la médecine personnalisée : « Si les pays BRICS peuvent exploiter cette capacité, ils pourraient devenir des leaders de l’industrie pharmaceutique mondiale, améliorant ainsi leurs économies et leur position mondiale, » précise-t-elle. 

Pour Malak Trabelsi Loeb, cette alliance quantique pourrait aussi conduire à la création d’un nouveau bloc économique dans le commerce des technologies de pointe, qui pourrait alors contourner les marchés technologiques traditionnels dirigés par l’Occident.

« Ce qui pourrait ainsi perturber les équilibres économiques existants, créer de nouvelles opportunités de création de richesse et influencer considérablement la chaîne d’approvisionnement technologique mondiale, » estime la juriste en Droit international.

Toutefois, au-delà de ses objectifs initiaux de l’alliance – promouvoir la coopération économique, politique et culturelle, et renforcer leur influence sur la scène internationale, cette dernière ajoute que la coopération quantique pourrait également précipiter d’importantes répercussions géopolitiques, « en particulier si le contrôle de la technologie transformatrice devient un déterminant crucial du pouvoir ».

« Le monde se divise donc en deux dans cette course technologique. » 

Ludovic Perret, Professor@EPITA | Post-quantum cryptographer

Conséquences pour la défense et la sécurité

Dans le domaine de la défense et de la sécurité, les développements des technologies quantiques pourraient avoir à court et moyen terme des conséquences particulièrement importantes, reconnaît par ailleurs Michiel van Amerongen.

« Les capteurs quantiques pourraient, par exemple être utilisés pour détecter les sous-marins et les avions furtifs, ou pour le positionnement, la navigation et la datation, précise-t-il. Tandis que le calcul quantique génère une menace imminente pour la société en général, mais plus particulièrement pour les militaires, étant donné l’importance des communications et des informations sécurisées pour la défense et la sécurité. 

« Tout le monde a bien pris en compte cette menace. Et tout le monde est d’accord, qu’il faut faire quelque chose, qu’il faut renouveler la sécurité des systèmes de communication avec de nouvelles technologies, » analyse Ludovic Perret.

Pour Michiel van Amerongen, la meilleure solution consisterait à déployer la cryptographie post-quantique (PQC). Basée sur des algorithmes de cryptographie classique (non quantique), elle rendrait tout déchiffrement impossible, même à l’aide d’un ordinateur quantique. 

« Pour se protéger, l’Europe, le Japon et les États-Unis ont fait le choix d’aller vers cette solution. Alors que la communication quantique – avec ses limites technologiques et la nécessité de réseaux spécifiques – est plus compliquée à développer, la PQC est considérée aujourd’hui comme la plus pratique ; elle commence à se déployer à grande échelle, » explique Ludovic Perret. « Le monde se divise donc en deux dans cette course technologique. » 

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