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Alliance quantique des BRICS : vers une nouvelle donne mondiale ? 1/2
Le 16ème sommet des BRICS 2024 s’est tenu du 22 au 24 octobre 2024 à Kazan, en Russie.
Forte aujourd’hui de dix membres, l’organisation comptait à sa création en juin 2009 le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Les quatre pays s’étaient donné pour objectif de promouvoir la coopération économique, politique et culturelle, et de renforcer leur influence sur la scène internationale.
Ses fondateurs avaient à l’époque adopté l’acronyme « BRIC » lancé en 2001 par l’économiste de Goldman Sachs Jim O’Neill pour décrire ces grandes économies nationales émergentes.
En avril 2011, le groupe intégrait l’Afrique du Sud pour désormais s’appeler « BRICS ». En janvier 2024, il intègre ensuite l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis en son sein.
Depuis, les BRICS+ comptent renforcer leur influence en tant que force économique et politique mondiale, et faire contrepoids au G7 et à d’autres institutions occidentales. Ils affirment aussi promouvoir un monde plus multipolaire face à la domination des États-Unis et de leurs alliés.
Selon Statista, ils représentent « 3,3 milliards de personnes, environ 45 % de la population mondiale et 35 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat. Et en 2023, ils représentaient 22 % des exportations mondiales de marchandises, les deux tiers étant toutefois assumés par la Chine ».
Avec l’adhésion de l’Iran et des Émirats arabes unis, « le bloc a ainsi augmenté sa production combinée de pétrole de près de 50 % et représente désormais près de 30 % de la production pétrolière mondiale, » relève Polytechnique Insights.
Un OPNI ?
Pourtant, pour Frédéric Encel, le groupe demeure un OPNI, « Objet Politique Non Identifié, qui n’a rien à voir sur le plan économique avec l’Union européenne et l’ALENA ou même le groupe de Shanghaï. Il n’y a pas de cohésion économique globale entre ces pays. »
L’essayiste et géopolitologue ajoute : « Sur le plan stratégique et militaire, l’Inde et la Chine sont en guerre dans le Kashmir. Si vous ajoutez l’Égypte qui a des dettes absolument abyssales, l’Éthiopie qui vient d’achever un conflit interne qui la renvoie 20-30 ans en arrière, l’Iran sous sanctions internationales depuis janvier 2007 sur le dossier nucléaire et sous sanctions de la plupart des pays membres des BRICS…. Bref, on a quelque chose qui existe avant tout en termes visuels face aux Etats-Unis. Les BRICS ne correspondent pas aujourd’hui à un pôle de puissances cohérent, » relativise-t-il.
L’essayiste et romancière Diana Filipova relève pour sa part que le mouvement « est en train d’acquérir aux yeux de Poutine une potentialité politique voire géopolitique. Tandis que les autres pays ont une diplomatie opportuniste qui recherche en ce moment la possibilité de se lancer ou de se relancer dans le concert mondial des nations ».
Dans les années à venir, les BRICS+ comptent renforcer leur coopération économique et géopolitique, indique le journaliste Luc Jose Adjinacou. Et ce, « en misant sur des objectifs à long terme comme la promotion du commerce intra-BRICS+, le développement de mécanismes financiers alternatifs, et l’adoption de technologies émergentes telles que la blockchain et l’intelligence artificielle pour soutenir une transition vers une économie numérique et verte ».
Quelles sont toutefois leur implication dans le secteur des technologies quantiques ? Quelles perspectives de domination technologique et économique présentent-elles dans ce domaine ? Quelles seront les répercussions d’une collaboration quantique entre BRICS en matière de cybersécurité et de politique industrielle ?
Les capacités des technologies quantiques
Les technologies quantiques sont « basées sur les principes de la mécanique quantique pour le calcul et le traitement de l’information, » rappelle Valentin Weber (Senior Research Fellow at the German Council on Foreign Relation Center for Geopolitics, Geoeconomics, and Technology.).
« Elles couvrent trois domaines principaux : l’informatique quantique, la communication quantique et la détection quantique. »
Leur potentielle avancée est particulièrement pertinente dans les domaines de la découverte de médicaments, de la cryptographie, de la finance et de la logistique. La croissance du marché et les investissements dans l’informatique quantique sont importants.
L’industrie, évaluée à 10,13 milliards de dollars en 2022, devrait atteindre environ 125 milliards de dollars d’ici 2030. Cette croissance est alimentée par la demande de calcul haute performance et l’applicabilité de la technologie dans des secteurs tels que le pétrole, les services financiers et l’aviation.
Les ordinateurs quantiques peuvent effectuer de nombreux calculs simultanément, ce qui pourrait leur permettre d’être infiniment plus efficaces que les ordinateurs classiques. « Les ordinateurs quantiques révolutionneront le traitement d’un certain nombre d’applications, » promet le consultant stratégique Michiel van Amerongen dans la Revue de l’OTAN.
« On pense qu’un ordinateur quantique suffisamment puissant pourra attaquer les communications et casser les systèmes de sécurité à l’horizon 2030-2035, » note Ludovic Perret, Professeur associé à Sorbonne Université. Aujourd’hui, c’est la course au premier qui aura le plus gros calculateur quantique ».
« Les grandes entreprises technologiques comme IBM, Google et Microsoft se sont lancées dans la course à la « suprématie quantique », stade auquel un ordinateur quantique permettra de résoudre un problème qu’aucun ordinateur classique ne pourrait résoudre en un temps humainement raisonnable, » ajoute M. van Amerongen.
Et si en octobre 2019, Google a déclaré avoir atteint la suprématie quantique avec son ordinateur quantique de 53 qubits, « les critiques estiment que le problème résolu au cours de l’expérience menée par Google est sans intérêt pratique, et que la course à la suprématie quantique n’est donc pas terminée, » rappelle ce dernier.
La communication quantique quant à elle n’est autre que « le transfert de l’information quantique sur des longues distances, » explique la physicienne et spécialiste de physique quantique Eleni Diamanti. « On transfère l’information, codée dans des propriétés des particules quantiques (en l’occurrence des photons – parce qu’invariablement pour la communication quantique, on se base sur la lumière là où les ordinateurs quantiques peuvent utiliser d’autres porteurs d’informations) ».
« L’intérêt des communications quantiques réside dans le fait qu’elles pourraient permettre de communiquer des données de manière ultra-sécurisée, voire totalement impossible à pirater, précise Michiel van Amerongen.
Les capteurs quantiques enfin, « permettent de mesurer une ou plusieurs grandeurs physiques. Ils peuvent contenir différents types de particules (photons ou électrons), ou des atomes, que les physiciens sont capables de placer dans un état quantique donné, qui a la particularité d’être extrêmement sensible à la moindre perturbation dans l’environnement qui l’entoure peut l’altérer, » rappelle Preden Roulleau, directeur de recherche au CEA-Iramis. « D’où la précision et la sensibilité inégalée de ces capteurs ».
« Les capteurs quantiques pourraient révolutionner nos technologies de mesure et de détection. Non seulement ils améliorent grandement la précision et la sensibilité des mesures, mais ils pourraient permettre de réaliser des mesures qui ne sont pas actuellement du domaine du possible, » poursuit Michiel van Amerongen.
Dans ces trois domaines, Preden Roulleau note que la course internationale à la supériorité s’est intensifiée depuis quelques années. Et que « de nombreux États, reconnaissant l’impact significatif sur la sécurité internationale, forgent donc des collaborations internationales pour faire progresser la technologie quantique ».
Pour Malak Trabelsi Loeb, les ordinateurs quantiques pourraient potentiellement craquer les méthodes de cryptage existantes, créant ainsi un nouvel ensemble de vulnérabilités. De même, les méthodes de cryptage quantique pourraient révolutionner la cybersécurité, en renforçant les réseaux contre les intrusions. « La nation ou l’alliance à la pointe de la technologie quantique disposerait inévitablement d’un avantage stratégique significatif, » conclut la juriste en Droit international et de l’espace.
Selon le site Quantum Resources and Careers (qureca.com), les investissements mondiaux de recherche et d’innovation dans les sciences et technologies quantiques atteindraient actuellement plus de 40 milliards de dollars (36,4 milliards d’euros). Ils devraient se monter à 106 milliards de dollars(96,46 milliards d’euros) d’ici 2040.
Les BRICS et la recherche quantique
Dans ce contexte, quels rôles les BRICS pourraient-ils jouer en matière de recherche en informatique quantique ? Et plus précisément, quelles ont été les principales initiatives nationales majeures lancées ces dernières années par ces pays, dans ce domaine ?
Brésil : une approche par compétences
À l’exemple du gouvernement brésilien, qui en décembre 2022 a annoncé son intention de financer une initiative d’informatique quantique par le biais de l’EMBRAPII (Empresa Brasileira de Pesquisa e Inovação Industrial).
Avec à la clé « environ 11 millions de dollars pour établir un centre de compétences en technologies quantiques au Brésil. L’initiative vise également à aider les entreprises à accéder plus rapidement à des produits de pointe dans l’espace quantique, » relève le journaliste technologique John Potter dans The Quantum Insider. « Et ce notamment à travers des ressources pour améliorer leurs connaissances, leur éducation et leurs ressources humaines en informatique quantique ».
Avec « l’intention de créer un grand écosystème d’innovation autour de ce sujet extrêmement stratégique pour le Brésil, » confirme Carlos Eduardo Pereira, son Chief Operating Officer.
Le Brésil dispose donc « de plusieurs groupes de recherche travaillant sur l’information et le calcul quantiques, » indique Kyrlynn D. « Des chercheurs brésiliens ont exploré l’utilisation de points quantiques dans l‘informatique quantique, ce qui pourrait conduire à des ordinateurs quantiques plus efficaces. »
Afrique du Sud : en quête de masse critique
En octobre 2022 l’université sud-africaine Wits a lancé l’Initiative sud-africaine pour les technologies quantiques (SA QuTI). « Ce projet national sur les technologies quantiques vise à développer une masse critique bien établie dans la communauté quantique nationale, » indique l’institution de Johannesburg.
À la tête d’un consortium national, elle a obtenu un financement de 54 millions de rands (3 millions de dollars US) du ministère des Sciences et de l’Innovation (DSI) pour coordonner une initiative nationale de technologies quantiques.
L’objectif est notamment d’établir des nœuds quantiques dans cinq centres – l’Université de Wits, l’Université de Zululand (UniZulu), l’Université de Stellenbosch, l’Université du Kwa-Zulu Natal (UKZN) et l’Université de technologie de la péninsule du Cap (CPUT).
Le consortium compte ensuite augmenter le nombre de centres actifs à travers le pays en trouvant et en soutenant de nouveaux leaders quantiques émergents.
« Le projet prévoit notamment de financer le développement des communications quantiques, de la détection quantique et de la métrologie quantique par le biais de start-ups, » précise l’analyste Joel Nwankwo. « Les chercheurs ont pour mission de se concentrer sur l’écriture de logiciels et le développement d’applications pour les ordinateurs quantiques ».
Suite à sa décision en 2019 d’étendre ses activités d’informatique quantique en Afrique, IBM avait conclu un partenariat avec Wits. Cette dernière est devenue depuis le premier partenaire africain du réseau IBM Q.
Russie : entre progrès et incertitudes
Le pays est actif depuis les années 1980 dans la recherche en informatique quantique, lorsque des physiciens soviétiques ont commencé à explorer le concept de l’informatique quantique.
En 2010, le Centre quantique russe (RQC) avait été créé, pour mener des recherches dans les technologies quantiques, y compris l’informatique quantique. « Il a été à l’avant-garde du développement de la technologie quantique en Russie et a travaillé sur les réseaux de communication quantiques, les capteurs et les matériaux, » relève Kyrlynn D.
D’importants investissements ont donc été alloués à la recherche et au développement de l’informatique quantique. « Comme en 2019, quand le gouvernement a annoncé son intention d’investir 50 milliards de roubles (environ 790 millions de dollars US) pendant cinq ans dans la recherche en informatique quantique, » révèle Nature, citant le ministère russe des Sciences et de l’Enseignement supérieur.
« La feuille de route russe pour l’informatique quantique se concentre sur le développement de nouveaux algorithmes, matériaux et technologies quantiques, y compris les qubits supraconducteurs ». Aujourd’hui, l’état actuel de l’ordinateur quantique russe reste incertain. « Si des rapports suggèrent que les chercheurs russes ont fait des progrès significatifs dans le développement d’un ordinateur quantique fonctionnel (Korotkov, 2022), d’autres indiquent que le pays est toujours à la traîne par rapport à ses concurrents internationaux (Gershenson, 2022), » relativise le site Quantum News.
« Cependant, les partenariats stratégiques et les investissements du pays dans la recherche et le développement nationaux devraient contribuer à combler cet écart dans les années à venir. »
Chine : une force technologique quantique
Considérée comme l’un des principaux pays en science de l’information quantique, elle a en effet commencé à investir dans la recherche et le développement quantiques dès la fin des années 90.
« Au cours des 15 dernières années, Le gouvernement chinois a systématiquement fait de la technologie quantique une priorité nationale, ce qui a abouti à des progrès substantiels dans les capacités scientifiques et technologiques avancées, et lui a permis de s’imposer dans le domaine de la technologie quantique,» rappelle Malak Trabelsi Loeb.
Selon qureca.com, « le pays vise d’ici 2030 à étendre son infrastructure nationale de communications quantiques, à développer un prototype d’ordinateur quantique général et à construire un simulateur quantique pratique. On estime que le gouvernement chinois a investi environ 15 milliards de dollars dans les technologies quantiques, mais ce chiffre n’a pas été officiellement confirmé ».
Inde : en positionnement stratégique
L’Inde a également montré un vif intérêt pour l’informatique quantique. « En 2020, le gouvernement indien a annoncé une mission nationale sur les technologies et les applications quantiques (NQM), dotée d’un budget de 8000 crores INR (environ 1,12 milliard USD) sur cinq ans (Gouvernement indien, 2020), » relève Quantum News.
Pour Sudhanshu Kumar et Monojit Das (The Daily Guardian), cette initiative stratégique vise à positionner l’Inde comme un leader mondial de l’informatique, de la communication, de la détection, des matériaux, de la métrologie et des dispositifs quantiques. Elle s’aligne ainsi sur les objectifs plus larges de l’Inde visant à favoriser l’innovation, l’autonomie et la transformation numérique dans divers secteurs ».
Sudhanshu Kumar est chercheur principal à l’École d’études internationales de la JNU. Monojit Das est quant à lui chercheur indépendant sur la gouvernance de l’Internet.
Les deux chercheurs précisent qu’en renforçant sa mission quantique nationale, en adoptant des collaborations stratégiques et en préservant son engagement en faveur d’un Internet ouvert, « l’Inde peut se positionner comme une puissance quantique, contribuant au progrès collectif de l’alliance des BRICS tout en préservant sa souveraineté numérique ».
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