Le 3 août 2023, le New York Times a modifié les mentions légales de son site internet. Le quotidien américain exige désormais un consentement écrit de sa part pour qu’une IA puisse s’entraîner sur ses données. C’est le signe que les IA génératives provoquent une peur chez les créateurs : celle du réemploi de leurs œuvres gratuitement et sans crédit. Peur légitime tant elles créent un vide juridique qui ne sera comblé que progressivement.

Aux États-Unis, le Copyright Review Board a rendu une décision importante le 5 septembre 2023. Cette commission devait se prononcer sur le refus du Copyright Office de protéger, par le copyright, une œuvre dont une grande partie a été générée par l’IA du laboratoire de recherche Midjourney. Nommée « Théâtre d’opéra spatial », cette œuvre sous forme de tableau a remporté le premier prix de la catégorie numérique du concours d’art de la Colorado State Fair, ce qui a provoqué un tollé dans la communauté artistique.

Bien qu’initialement générée par l’IA, l’image a subi de nombreuses modifications effectuées par son auteur, Jason Allen. En effet, en plus d’avoir saisi 624 prompts, l’artiste a utilisé le logiciel Adobe Photoshop pour ajouter et retirer de nombreux éléments. Malgré cet apport créatif à l’image sous-jacente générée par Midjourney, le Copyright Review Board a confirmé le refus de protection du Copyright Office.

Cette décision plutôt stricte démontre l’extrême prudence des autorités chargées de la propriété intellectuelle face aux IA génératives tant leur fonctionnement met à mal le droit d’auteur. Et pour cause, les données alimentant l’IA peuvent être des œuvres. Se pose alors la question de la légalité de leur utilisation. Quant à ce qui est généré par l’IA, le flou demeure encore concernant les critères leur permettant d’accéder au statut d’œuvres protégées.

Vers une meilleure protection des œuvres exploitées par l’IA générative ?

Aux États-Unis, la jurisprudence concernant la violation du copyright par les IA génératives est en train de se structurer grâce à plusieurs affaires en cours. Parmi celles-ci demeure l’action de groupe menée par des artistes contre Stability AI, Midjourney et DeviantArt. Selon eux, les IA de ces sociétés génèrent des images grâce à des données contenant des œuvres protégées par le copyright : ils assimilent donc ces images générées à des « images dérivées ».

Le juge du tribunal du district nord de Californie a rendu sa décision le 30 octobre 2023. Battant en brèche l’application de cette théorie de la dérivation au cas d’espèce, il motive son jugement en utilisant le principe du « fair use » (utilisation équitable) permettant une exception au droit d’auteur quand l’œuvre litigieuse « contient des éléments transformateurs significatifs » selon une ancienne jurisprudence de la Cour suprême de Californie.

Selon lui, puisque l’IA générative utilise des œuvres d’artistes différents et nombreux, il est peu probable qu’elle produise une contrefaçon d’une œuvre originale sauf s’il est prouvé que l’image générée présente « une certaine similitude avec l’œuvre originale » ou contient « les éléments protégés de l’œuvre originale ».

Ainsi, le juge a autorisé les artistes à modifier leur plainte pour que celle-ci indique clairement les images dont les droits d’auteur ont été violés au sens des conditions qu’il a précisées. Il sera intéressant de suivre le dénouement de cette affaire, tout comme celui de celle opposant Stability AI à Getty Images qui accuse la société d’avoir utilisé, pour son IA Stable Diffusion, douze millions d’images issues de sa base de données sans son autorisation.

En France, une proposition de loi « visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur », présentée le 12 septembre 2023 et renvoyée à la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, a pour ambition de mieux protéger les artistes face au développement des IA génératives. Comme elle l’explique, il faut « contrôler […] l’exploitation des œuvres générées par l’IA » grâce à « la traçabilité en rendant identifiables les […] artistes qui auraient dû bénéficier d’une demande d’autorisation avant que leurs créations […] ne soient avalées par un algorithme qui s’en sert ».

Ainsi, son article 1 propose de prescrire l’obligation d’avoir l’autorisation des auteurs ou ayants droit pour intégrer et exploiter leurs œuvres par une IA. Son article 3 préconise « d’insérer le nom des auteurs des œuvres ayant permis d’aboutir » au résultat généré par une IA. Quant à son article 4, il permettrait d’instaurer « une taxation destinée à la valorisation de la création » sur toute œuvre générée par une IA « à partir d’œuvres dont l’origine ne peut être déterminée ».

Au-delà des difficultés techniques pour pouvoir appliquer ces mesures (en plus de l’opacité des IA génératives, il est très difficile de remonter de telles chaînes algorithmiques), cette proposition de loi est quelque peu prématurée. Et pour cause, le règlement européen sur l’IA (AI Act), en cours de formation, sera doté de dispositions renforçant la protection du droit d’auteur des œuvres exploitées par les IA génératives.

En effet, le 14 juin 2023, le Parlement européen a adopté l’article 28b de l’AI Act prévoyant l’obligation pour les développeurs d’IA génératives de mettre « à la disposition du public un résumé suffisamment détaillé de l’utilisation des données d’entraînement protégées par la législation sur le droit d’auteur ». Cette disposition renforce la directive européenne 2019/790 selon laquelle le data mining de données protégées par un droit d’auteur n’est licite que si l’auteur n’exerce pas son droit d’opt-out.

Les œuvres générées par l’IA peuvent-elles être protégées par le droit d’auteur ?

Contrairement au Royaume-Uni qui pourrait être susceptible de protéger très facilement les créations générées par l’IA en vertu de l’article 9 du Copyright, Designs and Patents Act de 1988 disposant que « dans le cas d’une œuvre […] artistique créée par ordinateur, l’auteur est la personne qui prend les dispositions nécessaires à la création de l’œuvre », les États-Unis exigent un minimum d’intervention humaine dans le processus créatif.

En effet, le 18 août 2023, alors que le créateur d’une IA ayant généré « de son propre chef » une œuvre souhaitait la protection de celle-ci, le juge fédéral du district de Columbia (États-Unis) a décidé que c’était impossible car « l’œuvre est dépourvue de la paternité humaine nécessaire à la revendication d’un droit d’auteur ».

En revanche, même quand l’IA surpasse le rôle de simple outil dans le processus créatif, le Copyright Review Board a admis, dans sa décision précitée du 5 septembre 2023, de distinguer l’image sous-jacente produite par l’IA qui ne peut être protégée par le copyright des ajouts créatifs humains qui eux peuvent l’être. Solution que l’auteur du « Théâtre d’opéra spatial » a refusée, souhaitant la protection de la totalité de l’œuvre.

En outre, quand l’œuvre contient un contenu généré par une IA qui ne dépasse pas un seuil dit « de minimis », alors sa protection par le copyright peut être entière, précise le Copyright Review Board. La jurisprudence française va dans le même sens puisque, comme l’explique un arrêt du 5 juillet 2000 du TGI de Paris, « la composition musicale assistée par ordinateur, dès lors qu’elle implique une intervention humaine, du choix de l’auteur […] conduit à la création d’œuvres originales ». Cela peut être étendu à l’IA.

Mais que faire, en France, quand l’IA dépasse son statut d’outil à tel point que l’intervention humaine, condition nécessaire pour faire bénéficier l’œuvre du droit d’auteur, devient plus que secondaire ? Actuellement, la doctrine s’écharpe sur la question. Peut-être que la décision du Copyright Review Board, distinguant le contenu généré par l’IA des ajouts créatifs humains, sera source d’inspiration.

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