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Comment restaurer la confiance dans un monde troublé


La confiance est partie pour être le mot de l’année 2025. Il a été prononcé plus de vingt fois lors de la plénière d’ouverture de la 17ème édition du Forum InCyber, placée justement sous le signe de la confiance. Une confiance érodée dans le contexte géopolitique actuel. Depuis deux mois et demi qu’il est revenu au pouvoir, Donald Trump a créé un véritable tsunami par ses prises de position protectionnistes et unilatéralistes, rompant la relation confiance entretenue de longue date entre les Etats-Unis et ses alliés historiques.
Pour Gérard Araud, ancien ambassadeur de France à l’ONU et aux Etats-Unis, la nouvelle donne politique remet en cause un modèle vieux de 80 ans. « Se satisfaisant d’être sous la protection américaine, les Européens ne pensaient jamais être dissociés des États Unis. Il y avait un attachement existentiel et même sentimental à un espace de sécurité euro-atlantiste qui allait de Vancouver à Varsovie. »

« Durant des siècles, l’Europe décidait du monde, là c’est aujourd’hui le monde qui décide pour l’Europe », s’alarme, de son côté, Yves Leterme, ancien Premier ministre belge. L’histoire récente le rend toutefois optimiste. « À chaque moment de crise, qu’il s’agisse de la crise monétaire ou la crise sanitaire, les dirigeants européens ont réussi à s’entendre et à trouver des solutions ».
Ancien ambassadeur américain auprès des Nations Unies, Jonathan Cohen s’est, lui aussi, montré rassurant. « L’administration actuelle ne représente pas tous les Américains. Il n’y a pas de consensus au sein de la population américaine pour s’éloigner de l’Europe ou d’avoir une attitude antagoniste. » Il rappelle, par ailleurs, que dans moins de deux ans se tiendront les prochaines élections législatives. « Les choses peuvent changer ».
Le numérique ne peut plus ignorer la géopolitique
En attendant, les bouleversements géopolitiques ne sont pas sans incidence dans le secteur de la tech et mettent en exergue notre extrême dépendance au marché américain. Évoquant la possibilité de devenir « des colonies numériques des États-Unis ou de la Chine », François-Noël Buffet, Ministre auprès du Ministre de l’Intérieur, rappelle que 75 % du cloud français et 80 % des logiciels métiers sont contrôlés par des acteurs américains.
« Où sont l’Alphabet et le Meta européens ? Qui est le concurrent du chinois DeepSeek ? Qui est l’équivalent continental du projet Stargate ? », interroge François-Noël Buffet. À tout malheur, quelque chose est bon et la nouvelle donne géopolitique peut être l’occasion, selon lui, « d’asseoir une souveraineté retrouvée ou, à tout le moins, mieux maîtrisée. » « Retrouver notre liberté, c’est aujourd’hui reconstruire notre souveraineté », avance le ministre.

Président d’Hexatrust, association regroupant des champions français et européens de la cybersécurité et du cloud de confiance, Jean-Noël de Galzain appelle également à un sursaut pour recouvrir notre souveraineté. « Alors que nos dirigeants parlent d’efforts de guerre,il convient de flécher les achats et les investissements vers les acteurs français et européens. »
À commencer par les financements publics. Alors qu’il existe des alternatives souveraines ou des logiciels libres équivalents, Jean-Noël de Galzain se dit offusqué par les contrats récemment passés auprès de Microsoft par l’Éducation nationale – pour un montant allant jusqu’à 152 millions euros -, et plus récemment par Polytechnique.

« La guerre économique existe »
Dans le secteur privé, les solutions souveraines ne répondent toutefois pas toujours aux besoins des industriels. Evoquant le cas de son entreprise, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, déplore l’absence de champions européens dans les domaines de l’IA et du cloud. « Quand je dois faire des choix entre Amazon, Microsoft ou Google, je ne suis pas très à l’aise ».
Faute de mieux, le patron de l’énergéticien français a dû recourir à une approche hybride afin de protéger les données sismiques et géophysiques de son groupe, particulièrement sensibles. « J’ai dit à mes services : il n’est pas question que je mette ces données dans un cloud américain. » « La guerre économique existe », rappelle-t-il.
Dans ce contexte, la solution pour Patrick Pouyanné, c’est plus d’Europe. « Il faut penser Europe puissance ». Pour faire émerger un cloud européen, il convient, selon lui, d’achever l’union des marchés afin de créer, enfin, un marché unique de 447 millions d’habitants. Il propose, par ailleurs, de n’avoir qu’un seul régulateur pour les 27 États-membres.

Quand l’Europe savait innover…
Le PDG de TotalEnergies fustige l’excès de régulation qui, au-delà du manque de capitaux, ferait fuir les startups européennes vers les États-Unis. Il estime que le principe de précaution est difficilement applicable au monde de l’innovation. François-Noël Buffet abonde dans son sens. Pour le ministre, la multiplication des normes européennes et nationales dans le domaine numérique ne nuisent pas seulement à la compétitivité de nos entreprises mais viennent « étouffer notre sens de l’innovation. »
De son côté, Tariq Krim a rappelé le passé glorieux du Vieux Continent quand il savait innover. « Le Web et Linux ont été fondés en Europe et il fut un temps où un mobile sur trois en circulation dans le monde était de marque européenne (avec Nokia, NDR) », se souvient le serial-entrepreneur français. Les États-Unis et l’Europe ont ensuite pris des chemins différents. Le Nouveau Monde a emprunté les autoroutes de l’information au début des années 90 quand l’ancien s’intéressait au… diesel propre.
Pour Tariq Krim, « l’Europe a le bon discours et un marché conséquent, mais elle ne sait pas développer des produits à l’échelle. » À ses yeux, le Vieux Continent peut néanmoins être une force de stabilité dans un monde de chaos et jouer un rôle de médiateur. « Nous savons d’où nous venons à défaut de savoir où nous allons. »
Menaces d’embargo et risques juridiques
Ministre de la Justice et de la Sécurité des Pays-Bas, David van Weel a appelé, lui, à la solidarité européenne sur le front de la cybersécurité. Les tensions géopolitiques conduisent à une multiplication des cyberattaques observe-t-il, pointant du doigt des États comme la Russie et la Chine. Dans ce contexte, il juge particulièrement essentiel l’échange d’informations entre membres de l’UE. Le retour d’expérience de la France dans la sécurisation des Jeux Olympiques l’été dernier « aide maintenant les Pays-Bas à prendre des mesures pour accueillir et sécuriser le prochain sommet de l’OTAN ».

Executive Director d’Europol, Catherine de Bolle invite également à la coopération internationale alors que le crime organisé investit massivement le terrain cyber. Elle note que les cybercriminels recourent à l’IA pour industrialiser leurs attaques et créer de nouvelles menaces à base de deepfakes vidéo voire vocaux dans le cas de la fraude au président.
Fondateur de noyb.eu, l’activiste autrichien Max Schrems a, pour sa part, pointé d’autres risques liés au retour aux affaires de Donald Trump. Alors qu’elle a émis des menaces d’embargo sur le Danemark, dans ses velléités d’annexer le Groenland, son administration pourrait demander à un fournisseur américain de suspendre ses services numériques. Proche du président, Elon Musk a récemment menacé de couper Starlink en Ukraine.
L’autre risque est juridique. À l’origine du Cloud Act lors de son premier mandat, Donald Trump pourrait renforcer la portée des lois extraterritoriales et notamment la fameuse section 702 du FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) qui permet aux services de renseignements fédéraux de collecter les données relatives à des citoyens situés en dehors du territoire étatsunien.
Se pose, enfin, la question du transfert des données entre l’Europe et les Etats-Unis. Le cadre actuel, le Data Privacy Framework, pourrait être remis en cause par la nouvelle administration créant un vide juridique comme cela fut le cas lors de l’invalidation du Safe Harbor, puis du Privacy Shield. Max Schremsrévèle une autre menace : « un simple décret pourrait mettre fin au transfert de données sur lequel reposent les services Google, Microsoft, AWS, rendant illégale leur utilisation ». Sachant que Donald Trump a pris l’habitude de signer les décrets à la chaîne, le pire n’est jamais sûr.
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