ZTE, Huawei, TikTok, DeepSeek et maintenant RedNote… Les technologies chinoises déferlent sur les écrans et les réseaux du monde entier, y compris aux États-Unis. Depuis son retour, Donald Trump n’a pas de mots assez durs face à cette « invasion » chinoise, selon lui, menaçant du pire la Chine, comme des hausses de taxes douanières ou l’interdiction pure et simple de TikTok sur le sol américain. Mais en coulisse, le nouveau locataire de la Maison Blanche mise surtout sur des « deals » négociés avec les autorités chinoises, bien conscient que les États-Unis ne pourront pas se passer de Pékin dans ce domaine, et vice-versa.  

Bien sûr, la Chine observe avec attention les décisions du nouveau président américain sur les questions numériques. « Ce qui est à peu près certain, c’est qu’il n’y aura pas de « reset » (remise à zéro, NDLR) entre les États-Unis et la Chine, avance Pierre Sel, expert associé au programme Asie de l’Institut Montaigne. On va rester sur une rivalité assumée et, quelle que soit la couleur politique de l’administration américaine, elle ne sera pas plus ou moins sympathique envers eux. » N’oublions pas qu’Elon Musk, nommé employé spécial du gouvernement américain, a de nombreux intérêts en Chine. C’est par exemple dans sa gigafactory de Shanghai qu’est construite une bonne partie des Tesla et la Chine concentre à elle seule plus du tiers des ventes de ses voitures électriques à travers le monde. « En Europe, le retour de Donald Trump a provoqué un choc, observe Stéphanie Balme, directrice du CERI, le Centre de recherches internationales CNRS – Sciences Po, mais la Chine, elle, sait depuis une quinzaine d’années qu’elle évolue dans une relation structurellement conflictuelle avec les États-Unis. » Si la compétition technologique entre les deux pays ne date pas d’hier, elle s’est accélérée au cours du premier mandat de Donald Trump particulièrement en 2018 où il a lancé sa première guerre économique contre la Chine avec l’affaire Huawei, le géant chinois des télécoms, empêchant Intl et Qualcomm, les fabricants américains de semi-conducteurs, de lui vendre des composants. L’administration Biden a ensuite poursuivi ce travail de sape. 

S’affaiblir en s’isolant

Le retour à la Maison Blanche du magnat de l’immobilier pourrait ainsi conduire à une fragmentation accrue du monde numérique. La Chine va-t-elle en profiter pour renforcer son propre écosystème technologique, alors que les États-Unis pourraient s’affaiblir en s’isolant ? Sentant venir le coup, Pékin a en tout cas mis en place il y a tout juste un an son programme de « nouvelles forces productives de qualité », en association avec le programme « 1 000 talents » de recrutement de chercheurs chinois formés aux Etats-Unis ou en Europe, notamment à Paris-Saclay, programme mis en œuvre depuis 2008. « C’est un concept qui vise à investir encore davantage dans les technologies déjà avancées comme la voiture électrique ou les puces, décrypte Zhao Alexandre Huang, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Gustave Eiffel de Marne-la-Vallée et spécialiste de la diplomatie d’influence chinoise. « Pékin est pragmatique et développe ses technologies à partir de modèles existants. Leur système de gestion des batteries des voitures électriques, par exemple, est issu de la technologie de Tesla. Idem pour les trains à grande vitesse où ils ont copié puis amélioré les systèmes mis au point par Siemens et Alstom. La Chine ne pourrait pas développer seule ces technologies. »   

Cibler les big tech américains

Alors que pendantson premier mandat, ils étaient farouchement opposés à Donald Trump, tous les grands patrons de la Silicon Valley l’ont cette fois soutenu, y compris des ralliés de dernière minute comme Mark Zuckerberg, fondateur de Meta. L’entourage du président américain est aussi devenu beaucoup plus technophile. Trump n’a donc d’autre option que de défendre les géants américains de la tech, sachant aussi que le secteur est devenu économiquement incontournable. Ainsi, le plan de la Chine pourrait bien être de cibler, en représailles, ces big tech américains. « Aujourd’hui, observe Pierre Sel, les autorités chinoises commencent à utiliser les mêmes outils que les États-Unis, comme l’extraterritorialité, les sanctions ou l’embargo sur les matières critiques. » 

Protectionnisme déguisé

À ce titre, l’affaire TikTok est emblématique de ces relations en mode « je t’aime moi non plus » entre les États-Unis et la Chine. D’abord purement et simplement bannie du sol américain par Joe Biden, deux jours seulement avant l’investiture de Donald Trump, le nouveau locataire de la Maison Blanche a finalement annoncé le maintien du réseau social chinois controversé et la mise en place d’un moratoire jusqu’à mi-avril. « Des rapprochements entre les États-Unis et la Chine sont à prévoir, assure Stéphanie Balme. Et les modalités de règlement de l’affaire TikTok donneront le ton de la suite. Pékin peut se sentir assez à l’aise avec cette approche transactionnelle, impitoyable, dans un sens apolitique en ce qu’elle ne fixe aucune alliance durable, qui est au cœur de sa propre gestion des affaires internationales. » La Chine considère de son côté ces actions comme une forme de protectionnisme déguisé. « C’est surtout un calcul politique, ajoute M. Huang. Donald Trump a vu tout l’intérêt de TikTok durant sa campagne électorale. Il a d’ailleurs invité Shou Zi Chew, son PDG, à son investiture le 20 janvier à Washington. » Le chercheur admet par ailleurs qu’il y a bien un risque de vol des données des utilisateurs de TikTok par la Chine, notamment à travers les « gold backdoors », ces accès de « super utilisateur » réservés au Parti communiste chinois . Ce procédé est utilisé notamment pour espionner des protestataires hongkongais. En raison des menaces de blocage, des milliers d’utilisateurs étrangers de TikTok, en particulier américains, se sont rabattus sur le réseau social chinois RedNote (petit livre rouge), créé au départ uniquement pour être utilisé en Chine. Le hashtag #TikTokRefugie a même été créé. Le succès a été fulgurant : le 13 janvier au soir, la plateforme se hissait à la première place du classement américain de l’App Store. Cet afflux de nouveaux abonnés a poussé RedNote à recruter en urgence des agents de vérification et de censure et à modifier ses algorithmes afin de séparer les contenus publiés par les utilisateurs vivant en Chine de ceux publiés à l’étranger, afin d’éviter que des informations sensibles ne soient consultées par les Chinois.

DeepSeek et le bull market

L’autre événement a été la sortie surprise dans le monde entier de DeepSeek, l’assistant d’intelligence artificielle générative chinois bien moins cher à mettre au point car développé à partir de la technologie de l’américain Chat GPT. « Le timing de l’annonce de DeepSeek ne doit rien au hasard, affirme Pierre Sel. Elle intervient pile au moment du retour de Donald Trump à la Maison Blanche et alors que la première séquence de l’industrie de l’intelligence artificielle touche à sa fin. » La percée de DeepSeek a d’ailleurs créé un « bull market », une progression ininterrompue pendant plusieurs semaines de l’ensemble des actions de la tech en Chine. L’indice Hang Seng Tech, qui suit les 30 plus grands groupes technologiques cotés à Hong Kong, a lui bondi de 25 % sur cette période faste. 

Joutes technologiques

Voilà des années que Washington se tient à sa ligne très conservatrice face à la Chine dans leurs joutes technologiques. À force de sanctions contre la tech chinoise, les États-Unis pensaient freiner son essor. Ils n’ont fait en réalité que la renforcer. Selon Pierre Sel, si les réseaux sociaux américains et chinois évoluent dans deux mondes séparés, il existe beaucoup d’interactions entre eux. « Cela nous montre qu’il y aura toujours des passerelles, ajoute-t-il. Et dans le numérique au sens large, incluant les composants et les développeurs, il y a énormément de mouvements entre ces deux écosystèmes. On sait que les GAFAM encaissent aujourd’hui encore plusieurs milliards de dollars de revenus chaque année grâce à la Chine. Les entreprises chinoises ont, elles, besoin du numérique occidental ne serait-ce que pour vendre leurs produits sur internet. Imaginer une rupture nette entre deux mondes qui ne se parleraient plus comme pendant la guerre froide n’est pas très réaliste. » 

Rendre coup pour coup

En revanche, et davantage encore après la crise du Covid-19, Pékin et Washington affichent tous deux leur volonté de disposer chacun de leur propre chaîne d’approvisionnement en particulier pour leur industrie de défense et le secteur stratégique des semi-conducteurs. « Les deux pays veulent la même chose, promet Pierre Sel. Chacun se montre du doigt et s’accuse du « decoupling », mais tous les deux en sont responsables en vérité ! ». Pékin pourrait répondre en accélérant ses efforts pour atteindre l’autosuffisance dans ce secteur stratégique, tout en cherchant à diversifier ses sources d’approvisionnement. Xi Jinping s’apprête en tout cas à rendre coup pour coup. Quelques jours après la menace de surtaxes douanières sur les produits chinois entrant aux États-Unis, la Chine lançait une enquête antimonopole sur Google, deux mois après une précédente enquête visant Nvidia, soupçonnant le géant américain des puces d’avoir violé ses lois antitrust en Chine. Le gouvernement chinois préparerait également des mesures contre Apple, mais aucune sanction n’a pour l’heure été annoncée, ce qui laisse penser que Pékin y voit un moyen visant à dissuader Washington de se lancer dans une guerre commerciale qui pourrait avoir des conséquences désastreuses.

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