L’accès généralisé à l’intelligence artificielle générative bouleverse notre façon de travailler et de créer. Cependant, l’utilisation croissante de cette nouvelle technologie a vite fait apparaître deux défis juridiques de taille: la protection des créations de l’IA et celle des contenus qui l’ont nourrie. En réponse, la législation en Europe, en Amérique et partout ailleurs est amenée à redéfinir les contours du droit d’auteur.

Depuis 2020, OpenAI, Midjourney et d’autres géants de la tech sont lancés dans une course pour une intelligence artificielle générative toujours plus performante. Les solutions d’IA générative interprètent des commandes faites par des humains pour créer de nouveaux contenus (texte, image, vidéo, voire musique), de façon complètement autonome, à partir de données d’apprentissage souvent créées précédemment par des humains. Cette nouvelle catégorie d’IA se déploie à travers le monde, notamment avec les plateformes américaines ChatGPT, Midjourney ou encore DALL-E.

Si cette innovation ouvre des possibilités pour les entreprises et les individus, elle soulève des défis relatifs au droit de la propriété intellectuelle. Faut-il protéger, par des droits d’auteur, les données produites par l’intelligence artificielle ? Comment l’IA générative affecte les œuvres humaines protégées par ces mêmes droits ? A ce titre, des débats éclosent sur la façon de protéger les droits d’auteur sans freiner l’effervescence de l’IA.

Exemple : au printemps 2023, s’est posée la question de la légitimité d’une musique générée par l’IA et devenue virale sur le réseau social TikTok. Elle a repris la voix des artistes Drake et The Weeknd. Quelques mois plus tard, Anthropic, entreprise américaine d’IA, était poursuivie par Universal Music pour exploitation non autorisée de paroles de chansons protégées pour entraîner son chatbot.

Les créations de l’IA peuvent-elles être protégées ?

Selon la tradition juridique en Europe et en Amérique du Nord, le statut d’auteur ne peut être accordé qu’à l’humain. Le droit d’auteur protège en effet exclusivement les œuvres de l’esprit dites originales, dont l’élaboration est le produit de compétences strictement humaines, comme le talent ou le jugement.

Mais comment protéger des œuvres commandées à l’IA par l’humain en seulement quelques mots ? « How much humanity is required for copyright? », se demande David Durand, avocat au Québec et cofondateur du service « produit minimal viable ». Aux États-Unis, quand la contribution humaine et celle de la machine sont entrelacées, l’éligibilité au régime de droit d’auteur s’évalue en fonction du degré d’influence de l’humain sur le résultat.

Cependant, quand la contribution de l’humain et celle de la machine sont clairement dissociables, seul l’apport de l’individu peut bénéficier de droits d’auteur, indique Matthew Asbell, avocat américain en propriété intellectuelle. Dans le cas d’une création générée par l’IA, ce sont les mots que l’individu a utilisés dans le processus qui sont protégés par le régime de droit d’auteur. Le résultat produit par la machine en est écarté.

Matthew Asbell questionne ce fonctionnement. Il nous rappelle que l’intelligence humaine suit une démarche similaire. Quand il s’agit de créer, nous nous fondons inconsciemment sur des centaines ou milliers d’éléments vus auparavant. « En quoi la machine diffère-t-elle de l’intelligence humaine ? », se dit-il. Une œuvre créée avec l’IA ne devrait-elle pas mériter une protection au même titre que le travail de l’humain ?

Florian Martin-Bariteau, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, rappelle que la technologie accompagne depuis longtemps les créateurs, entre autres dans le domaine artistique. Pensons par exemple à Photoshop, logiciel de retouche d’images. Mais aujourd’hui, le poids que prend la technologie dans le processus créatif est d’une toute autre ampleur.

Au-delà des principes s’ajoute la complexité de l’exécution. Matthew Asbell déclare qu’aux États-Unis, toute personnes désirant des droits d’auteur sur une création réalisée par l’IA générative est censée spécifier l’implication de cette dernière. Or Matthew Asbell estime que peu de créateurs le font. Le Copyright Office étant dans l’incapacité d’enquêter sur l’origine des œuvres, rencontre des difficultés à mettre en pratique la règle.

Protéger les contenus nourrissant l’IA générative

Le résultat que fournit la machine n’est pas issu du néant. L’IA générative est entraînée sur un nombre exponentiel de données avant d’être en mesure de générer tout contenu qui lui sera demandé. Cependant, toutes ces données ne sont pas libres de droit. Certaines requièrent une autorisation en amont de leur usage.

« Historiquement, l’industrie de la musique a souvent été affectée par les problématiques de droits d’auteurs avant les autres secteurs. On l’a vu notamment avec le piratage peer-to-peer (partage de fichiers entre individus) », explique Sundeep Chauhan, président de Connect Music Licensing (Connect), représentant les détenteurs de droits d’auteur de l’industrie musicale au Canada.

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle se joint progressivement à la production musicale. Selon Sundeep Chauhan, il y a trois principes à respecter en vertu du droit d’auteur : consentement, crédit et compensation. « L’intelligence artificielle ne doit pas être utilisée pour imiter des artistes sans leur accord ».

Pourtant, depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle générative, certains contenus protégés par des droits d’auteur sont exploités sans autorisation préalable. À l’heure actuelle, l’enjeu réside dans la protection des œuvres humaines servant à l’entraînement de la machine. Quid du plan d’action ?

Camille Domange, avocat et expert du milieu numérique et de la création, revient sur la directive du Parlement européen sur le droit d’auteur et les droits voisin. Cette directive, en autorisant la fouille de données, permet l’usage de tout contenu disponible en ligne afin de nourrir les modèles d’IA.

À la législation s’est greffée une exception : le droit d’opt-out (droit d’opposition). Cette prérogative permet à tout individu de refuser que ses données soient exploitées. « L’introduction de ce droit s’avère aujourd’hui d’une grande pertinence à la vue de la présente problématique », explique Camille Domange. En revanche, l’exception sera difficile à faire suivre et entraînera sans doute de lourds contentieux, nuance-t-il.

Concernant les logiciels d’IA génératrice d’images, Florian Martin-Bariteau mentionne une solution mise à la disposition des artistes : l’outil Nightshade. La méthode offre l’option aux créateurs d’images d’injecter des pixels « poisons ». Objectif : perturber la lecture et l’exploitation de ces actifs par l’IA.

Toutefois, les auteurs d’œuvres protégées pourraient être crédités ou, du moins, bénéficier de récompenses financières, comme l’exige le droit d’auteur. Pour cela, les entreprises d’IA générative auraient à nous révéler les données qu’elles ont mobilisées. C’est le cap vers lequel l’Union européenne semble se diriger, signale Camille Domange.

Effectivement, le Parlement européen a pour ambition de requérir, de la part des fournisseurs d’IA générative, des résumés détaillés des données protégées par le droit d’auteur utilisées lors de l’entraînement des plateformes. Reste encore à savoir si la directive entrera en vigueur.

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