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Les sept familles de la souveraineté numérique à la française (2/2)


Les hérauts du logiciel libre (4)
Au sein de l’État et de l’écosystème privé existe aussi une « chapelle » nettement favorable aux logiciels libres pour faire face à l’impossibilité de développer des solutions 100% française dans toute la chaîne du numérique. Misant sur la qualité des contributions de la communauté du logiciel libre, l’Anssi recommande, par exemple, l’usage du coffre-fort de mots de passe KeePassXC. L’agence nationale a même conçu son propre système d’exploitation pour les administrations sensibles, CLIP OS, selon une approche « security by design ». Créé sur une base Linux, il offre une sécurité renforcée grâce à une structure segmentée.
Au sein des services étatiques, les partisans du logiciel libre continuent à faire usage de Libre Office, concurrencé par Office 365. L’offre de Microsoft bénéficie en effet du « besoin de continuité des agents publics entre leur poste de travail et leur matériel personnel », nous confiait un expert de la DINUM. Cependant, les vulnérabilités d’Office 365, mis en lumière avec les récents piratages russes, pourraient apporter de nouveaux arguments au logiciel libre au sein de l’État.
Plus largement, le logiciel libre incarne pour ses promoteurs à la fois la meilleure façon de garantir la vie privée et en même temps le meilleur moyen de favoriser une souveraineté sur toute la chaîne numérique, comme le défend par exemple Gaël Duval, pionnier de Linux en France. Cette ambition passe, pour ce dernier, par « une émancipation des GAFAM. » Les réussites indéniables de Mozilla, Brave, DuckDuckGo ou encore de la messagerie Signal semblent en tout cas constituer une offre crédible, à même de concurrencer les grands champions du numérique.
Les Atlantistes, alliés de l’Oncle Sam (5)
Prenant acte des faiblesses de la France en matière numérique, au risque de céder au French Bashing, la famille des Atlantistes a pris une décision radicalement inverse de celle du logiciel libre : soutenir massivement les solutions américaines. En adoptant une vision de la souveraineté à l’échelle de l’Otan, ils ont eu longtemps le vent en poupe en défendant la performance des GAFAM, mis au service des groupes internationaux et des start-ups, au sein d’un marché occidental en voie d’unification.
Les Atlantistes souffrent aujourd’hui des limites d’un soutien parfois sans nuance des solutions américaines. L’espionnage de ses propres alliés par les USA à travers la NSA, l’usage offensif de l’extraterritorialité du droit pour fragiliser les concurrents des champions américains, ou encore menaces du désengagement de l’Otan par Donald Trump, ont en effet battu en brèche l’idéal d’une souveraineté « partagée ».
À cela s’ajoute l’ampleur de l’espionnage chinois aux États-Unis, qui constitue pour certains « le plus important transfert technologique » de l’histoire, permis par les vulnérabilités des GAFAM, et fragilisant l’image d’Épinal d’une écrasante hégémonie numérique américaine.
L’atlantisme sans nuance laisse aujourd’hui place à des partenariats plus équilibrés, à l’instar des cloud S3NS (Thalès et Google Cloud) et Bleu (Orange, Microsoft, Capgemini). Mais aussi à une série de garanties auprès des utilisateurs, comme les solutions de chiffrements proposées par AWS à ses utilisateurs pour « échapper » à l’extraterritorialité du droit américain.
Les européistes, promoteurs d’une souveraineté élargie (6)
Prenant acte du fait que la France risque de devenir « une colonie du monde numérique », pour reprendre la formule de la sénatrice Catherine Morin-Dessailly, les européistes veulent voir émerger de grands champions européens pour « maîtriser leur destinée numérique en fonction de leurs principes et de leurs intérêts », comme le résume Bernard Benhamou. À ce titre, la décision d’héberger les données de santé du Health Data Hub « risque d’affecter considérablement l’Europe. Nous allons porter le deuil de cette souveraineté numérique pendant un moment », estime Bertrand Leblanc-Barbedienne.
Ne voulant pas se restreindre à une approche uniquement règlementaire (laissant dire à certains que pendant que l’Europe régule, « l’Amérique innove et la Chine copie »), les européistes veulent réaliser à Bruxelles ce qui a fonctionné à Washington. « Il faut que la commande publique soit déversée vers les entreprises européennes. Les États-Unis ont un ‘buy american act’ : il nous faut un ‘buy european act’ », soutenait par exemple le député Philippe Latombe, lors du dernier Forum InCyber.
« Il nous faut aussi un ‘small business act’ pour favoriser les TPE, les PME et les startups », ajoutait le parlementaire. Une proposition soutenue de longue date par Bernard Benhamou, qui y voit le meilleur moyen de développer plusieurs secteurs stratégiques : la santé connectée, l’énergie, l’environnement, les transports et la fintech.
Les pragmatiques, partisans d’une approche hybride (7)
Cette dernière « chapelle » de la souveraineté numérique apparaît à la fois comme la plus œcuménique et la moins engagée en matière de souveraineté. Défendant d’abord la performance des acteurs économiques, qui s’inscrivent dans une chaîne de valeur mondialisée, plutôt qu’une politique industrielle engagée, les pragmatiques abandonnent les enjeux de la souveraineté à l’État. Pour eux, l’opportunité d’une offre « souveraine » doit en effet être évaluée en fonction des besoins des entreprises concernées, sans considération des externalités négatives du marché, au risque de sous-estimer les enjeux de géopolitique et d’intelligence économique.
« Tout est une question de cas d’usage : que veut-on protéger ? De quoi ? Pourquoi ? Il faut avoir une approche stratégique en fonction de la criticité des données et des enjeux de conformité, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et privilégier sa performance », expliquait Johan Sciard, architecte cloud chez Ionos, lors du Forum InCyber 2024.
Participant à la même table ronde, Louis Naugès, directeur général de DHASEL Innovation, appuyait cette position en citant le cas de Doctolib durant l’épidémie de Covid-19 : « C’est parce que Doctolib était présent sur AWS que l’entreprise a pu, en un temps record, multiplié par 1 000 le nombre de prises de RDV de vaccination. Idem du côté de BlaBlaCar, qui a pu réduire de 95% son utilisation du Cloud. »
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