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Metavers : la prochaine version de l’Internet est en marche et l’Europe ne semble pas s’y intéresser
Le terme Metavers est issu de la Science-Fiction des années 90 et signifie la jonction des mondes physiques et virtuels. Pour de nombreux commentateurs et ses instigateurs, c’est le futur de l’Internet. Finis les sites Web, les applications mobiles telles que nous les connaissons, bienvenue dans le Metavers.
Il y a eu l’ordinateur personnel et les premières consoles de jeu dans les années 80, l’Internet et le web dans les années 90, le mobile dans les années 2000, puis l’explosion des réseaux sociaux, du e-commerce et des outils de communication instantanée dans les années 2010, parallèlement à l’avènement et l’utilisation massive du Cloud. Toutes ces mutations ont été rendues possibles par la combinaison de capacités machines démultipliées, de plus en plus compactes, de moins en moins chères, et de capacités réseaux qui ont permis au plus grand nombre d’avoir accès à tous ces services en permanence et quel que soit le lieu. Nous sommes aujourd’hui connectés 24/7, que ce soit à titre personnel ou professionnel. Et les nouvelles constellations de satellites lancés par Elon Musk ou d’autres entrepreneurs fortunés sont là pour démontrer que l’objectif est de connecter le monde entier et chaque citoyen du monde, à haut débit.
Parallèlement, bénéficiant de ces capacités machines démultipliées, de réseaux très haut débit et d’écrans à la résolution de plus en plus haute pour un coût de plus en plus abordable (résolution de 8K aujourd’hui sachant que notre œil est à 16K…), l’industrie du jeu offre aujourd’hui aux « gamers » une qualité visuelle, une fluidité et une scénarisation quasi cinématographiques. Parallèlement, depuis quelques années, des lunettes ou casques 3D ont fait leur apparition pour que l’expérience soit complètement immersive, a minima pour ce qui concerne la vue et l’ouïe (cf. lunettes Oculus de Meta, accord Rayban/Meta, Hololens de Microsoft, etc.). Dans le futur, des solutions pour le toucher et l’odorat verront sans aucun doute le jour.
Un autre élément est venu accélérer cette nouvelle mutation : la pandémie du COVID-19 et ses conséquences avec le confinement et l’avènement du télétravail, qui est en passe de devenir une norme. La transformation digitale des entreprises s’est alors faite à marche forcée et l’utilisation des outils de vidéo-conférence est devenue l’option par défaut pour les réunions, poussant les fournisseurs de ces outils à innover toujours plus afin de rendre ces dernières les plus « réelles » possibles.
Dernières pierres à l’édifice : la Blockchain et les crypto-monnaies, ouvrant les portes d’un Internet et d’une finance décentralisés. Il n’a échappé à personne que Facebook, par son projet Libra, qui a été rejeté par les autorités américaines et depuis abandonné, souhaitait lancer sa crypto-monnaie qui aurait été la monnaie d’échange de son Metavers.
Il n’en fallait pas plus pour relancer le Metavers. Le Deuxième Monde de Canal+, lancé en 1997 et stoppé en 2001, puis SecondLife, initié par Linden Lab en 2003 qui a connu un certain succès avec plusieurs millions d’utilisateurs, ont été des laboratoires. Mais aujourd’hui, ce sont les grands acteurs mondiaux de la technologie qui annoncent des offres, à la fois destinées au grand public et aux professionnels, et se transforment pour embrasser ce nouvel eldorado. Adieu Facebook et vive Meta et ses « Horizons » : Horizon Home, Horizon Workrooms et Horizon Worlds, et son super calculateur « AI Research SuperCluster », édifice de base de cette mutation. Microsoft n’est pas en reste avec « Mesh for Teams » pour créer des salles réunions virtuelles en 3D que chacun pourrait rejoindre via son Avatar, mais aussi des offres de réalité augmentée pour les entreprises ; et très récemment, l’acquisition de l’éditeur de Jeux Activision Blizzard pour 68 milliards de dollars, société qui jusqu’en 2016, était majoritairement détenue par Vivendi qui a revendu sa participation pour un peu plus de $1,1 milliard de dollars en 2016… Autre initiative à prendre en considération, Nvidia, leader mondial des cartes graphiques, a lancé Nvidia Omniverse pour aider les entreprises à améliorer la conception collaborative via des univers/usines virtuels. Aussi, les dernières rumeurs du lancement par Apple d’un casque de réalité virtuelle et de lunettes de réalité augmentée fin 2022 ou 2023 ne rendent que plus crédible cette mutation. Il est aussi évident que Google, créateur des feu Google Glass et Elon Musk, via Neuralink et son éventuelle interface cerveau/machines, feront leur entrée dans ce marché.
À côté de ces grands acteurs, ce sont des centaines de startups qui ont émergé ces 5 dernières années en lançant des Metavers « verticaux » comme des salles de concerts virtuelles, des mondes où l’on peut jouer, rencontrer d’autres personnes/avatars, faire du sport, visiter des musées, acquérir des terrains, bâtir, faire du commerce, etc. Ainsi, une parcelle de terrain a récemment été acquise pour la somme équivalente de $2,4M sur la plateforme Decentraland (achat effectué en Ethereum, crypto-monnaie de référence sur ces nouvelles plateformes). Dans le même temps, Carrefour a acheté une parcelle de terrain sur Sandbox et va collaborer avec Meta pour développer une application rassemblant l’ensemble de ses services. Idem pour Balenciaga qui a signé un partenariat avec Epic Games et son jeu Fortnite, ou encore Gucci avec Roblox, etc. ; Faisant rentrer le monde du luxe et de la mode dans les jeux et Metavers. L’art n’est pas en reste, avec l’explosion des NFT (Non Fongible Token) et des œuvres d’art numériques qui s’échangent à prix d’or sur des plateformes comme Opensea ou Rarible (pour ne citer qu’elles).
Cependant, cette nouvelle mutation, comme de nombreuses avant elle, dont celle de l’Internet dans les années 2000, s’accompagne d’excès, d’une spéculation qui ressemble à une bulle, ou encore d’innovations pas encore éprouvées ou approximatives (un NFT ne vous donne pas réellement un droit de propriété sur l’œuvre mais sur une URL qui est inscrite dans la blockchain, sic).
Aussi, on peut aisément envisager des impacts très significatifs sur la vie privée et par voie de conséquence sur la cybersécurité : la collecte de données, y compris sensibles, va littéralement exploser dans ces mondes virtuels car chacun de nos faits et gestes sera collecté et exploité, que ce soit dans la sphère privée ou dans l’univers professionnel, ce qui va soulever de nombreuses questions sur la confidentialité et la protection de chacun et attiser assurément la convoitise des hackers. En s’appuyant sur la Blockchain, ces mondes seront une opportunité unique de créer des avatars qui ne seront pas identifiables et traçables dans le monde réel et pourront donc commette des forfaits sans crainte. Dès lors, on peut donc s’attendre à une explosion de l’Ingénierie sociale, du Phishing, et autres techniques de hacking dans ces mondes virtuels et très certainement une explosion des fraudes, déjà très présentes sur les plateformes de NFT (piratage des œuvres, usurpation d’identité, …).
Malgré tous ces enjeux et ces dérives spéculatives, il ne fait aucun doute que les Metavers vont s’inviter dans nos vies dans les prochaines années, et ce de manière très significative. Malheureusement, je n’entends pas beaucoup de voix françaises et européennes qui portent ce sujet haut et fort et ai même l’impression dans certains discours de nos hommes politiques et leaders d’opinion, qu’ils ne prennent pas au sérieux cette mutation, comme ils ne prenaient pas au sérieux l’Internet à la fin des années 90, l’émergence des réseaux sociaux au milieu des années 2000 ainsi que du mobile en tant que nouveau prolongement de notre personne. Aujourd’hui, nous en subissons les conséquences : l’Europe ne contrôle aucun des éléments stratégiques de ce nouveau monde (Système d’exploitation, Moteur de recherche, Magasins d’application, Réseaux sociaux, Navigateur Internet, Assistants vocaux, etc…) : nous sommes entièrement dépendants des GAFAM américain et/ou des BATX chinois. Cela pose de sérieux enjeux de souveraineté et de contrôle de la donnée, nerf de la guerre. Mais point de sociétés européennes en mesure de rivaliser.
La question est donc de savoir si l’Europe et la France ne souhaitent rien tirer de l’histoire récente et ne deviendront qu’un espace de consommation de technologies américaines ou chinoises, en ne répondant que par la régulation ou des amendes à d’éventuels excès ; ou au contraire, nous considérons qu’il est impératif de bâtir et financer des sociétés européennes, fortes de génies créatifs et entreprenants, qui reflètent nos différences, protègent mieux nos concitoyens et entreprises, et garantissent notre souveraineté sur l’information et les technologies. Dans ce dernier cas – et c’est bien entendu mon souhait – il faut agir vite et financer avec ambition des projets qui seront des alternatives crédibles et potentiellement des leaders du Metavers dans les dix, vingt ou trente prochaines années. Dans la campagne présidentielle française actuelle, point de vision sur ce sujet, point d’ambition, ce qui est bien dommage car les puissants d’aujourd’hui ne sont malheureusement plus les politiques mais les géants de l’Internet qui imaginent et façonnent le monde de demain, nous réduisant à l’état de consommateurs et spectateurs. A bon entendeur !
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