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Quelle régulation pour le metaverse ?
Apparaissant comme un nouvel espace à conquérir digne d’un Eldorado virtuel, le metaverse nous interroge sur la manière dont il doit être régulé afin d’éviter qu’y règne la loi du plus fort.
Monde virtuel en trois dimensions où des avatars, représentant chacun un utilisateur, participent à des activités sociales (relatives aux jeux, au travail, à la culture, à l’économie, etc.), le metaverse est actuellement l’objet de diverses réflexions juridiques pour déterminer si sa régulation doit être de type bottom-up ou de type top-down.
Alors qu’une régulation de type bottom-up suppose de lui reconnaître une capacité d’autonomie juridique, une régulation de type top-down implique l’intervention des États et éventuellement des organisations supranationales dans sa structuration juridique.
Une régulation de type bottom-up ?
Le metaverse détient de facto une relative autonomie juridique. En effet, comme le dit l’adage romain, « ubi societas ibi jus » : dans toute société il y a du droit. Or, puisque le metaverse est un espace social où des avatars se rencontrent pour diverses activités, des normes y émergent nécessairement à partir du bas, conformément à la régulation de type bottom-up.
Ce serait aussi l’avis du juriste Santi Romano qui considère que toute communauté comme corps social stable, objectif et singulier doit être considérée comme étant un ordre juridique producteur de ses propres normes (Santi Romano, L’ordre juridique). Or, puisque le metaverse persiste malgré des suppressions ou ajouts d’avatars actifs ou inactifs (il est stable), englobe les diverses relations sociales s’opérant entres ces derniers (il est objectif) et se distingue des autres ordres sociaux de la vie réelle (il est singulier), il peut donc être considéré comme un véritable ordre juridique capable de produire ses propres normes.
Ainsi, puisque le metaverse détient une autonomie juridique rendant possible une régulation de type bottom-up, il serait envisageable de lui laisser la possibilité de former un statut juridique propre aux avatars, lequel serait alors indépendant de celui de leurs utilisateurs. Les avatars pourraient donc être dotés de droits et de devoirs (lesquels seraient, par exemple, acceptés dans les conditions générales d’utilisation de la plateforme qui édite l’espace virtuel) ainsi que de leur propre régime de responsabilité. Cela rendrait possible la création d’une police et de tribunaux virtuels condamnant à une peine de prison ou à une amende virtuelles l’avatar commettant des infractions aux normes de l’espace considéré comme ordre juridique dans lequel il se trouve.
De plus, une régulation de type bottom-up permettrait de ne pas diluer l’originalité du metaverse dont les règles, émanant d’un espace virtuel post-national, ne peuvent qu’être différentes de celles de la vie réelle comme le remarquent Sang-Min Park de la Korea University et Young-Gab Kim de la Sejong University. C’est pourquoi, constatant une nécessaire autonomie du metaverse vis-à-vis du monde réel, les deux chercheurs écrivent donc : « It is necessary to build a Metaverse with a worldview and ethical consciousness in which various avatars can live, rather than a Metaverse as a physical space » [Il est nécessaire de construire un metaverse avec une vision du monde et une certaine conscience éthique dans lequel les différents avatars peuvent vivre, plutôt qu’un metaverse en tant qu’espace physique] (« A Metaverse : Taxonomy, Components, Applications, and Open Challenges » in IEEE Access, 2022, vol. 10).
Enfin, un des avantages d’une telle régulation pourrait être de faire abstraction des conflits liés aux compétences territoriales des juridictions en cas de litiges opposant des avatars dont les utilisateurs sont domiciliés dans différents pays.
Une régulation de type top-down ?
Le 8 février, la vice-présidente exécutive de la Commission européenne chargée de l’ « Europe préparée à l’ère numérique » a expliqué, selon l’agence Reuters, vouloir mieux comprendre le metaverse afin de décider des mesures pour le réguler : « the metaverse is here already. So of course we start analysing what will be the role for our legislature » [Le metaverse est déjà là. Nous pouvons donc commencer à analyser le futur rôle de notre législature] a déclaré Margethe Vestager.
Si une telle régulation de type top-down est envisagée, laquelle proviendrait à la fois des États et de l’Union européenne en ce qui concerne une partie de l’Europe, alors nous pouvons imaginer deux possibilités concernant le régime juridique approprié aux activités des avatars.
Premièrement, ces derniers pourraient être assimilés à un statut juridique sui generis propre au concept de « personne virtuelle » théorisé par le Conseil d’État dans son étude « Internet et les réseaux numériques » de 1998, lequel se demandait alors s’il fallait « reconnaître l’existence d’une personne virtuelle dotée de droits distincts de ceux de la personne physique ». Ainsi, ils auraient donc une véritable personnalité juridique et seraient responsables juridiquement de leurs activités au sein du metaverse (tout comme les sociétés sont responsables juridiquement de leurs actes même si elles ne sont pas des personnes physiques).
Deuxièmement, il pourrait être possible de considérer l’avatar comme une simple prolongation virtuelle de son utilisateur. Ce dernier serait donc responsable juridiquement de l’activité de son avatar dans le metaverse. Mais cette solution pose des problèmes. En effet, si un avatar « viole » un autre avatar, faudrait-il déclarer coupable de viol son utilisateur comme s’il s’agissait d’un viol dans la vie réelle ? Si un avatar « vole » un autre avatar, devra-t-on rendre coupable l’utilisateur de l’avatar voleur sur la base du régime juridique adapté aux vols dans la vie réelle ? Aussi, si un espace du metaverse se dote de voitures, devra-t-on condamner l’utilisateur de l’avatar commettant des infractions au code de la route ? Et si oui, sur la base du code de la route de quel pays ? Etc. Cette solution se heurte donc à de nombreuses limites et semble être compliquée à envisager.
De la nécessité d’une régulation de type top-down
Néanmoins, nous pensons qu’il est nécessaire qu’une régulation de type top-down s’ajoute à celle de type bottom-up pour au moins trois raisons relatives à la cybersécurité, à la cybercriminalité et à l’obligation qu’ont les Etats de garantir un minimum de cohésion juridique.
D’abord, les données collectées des utilisateurs du metaverse sont bien plus fournies et détaillées que celles relatives à une simple activité sur internet puisqu’elles émanent du comportement global de l’utilisateur (sa voix et ses gestes sont impliqués). Les États et l’Union européenne doivent donc adapter rapidement leurs règles relatives à la protection de la vie privée pour ne pas que les plateformes éditrices de mondes virtuels ainsi que des hackers s’emparent de ces données au profit d’objectifs illégaux et malveillants.
Ensuite, comme l’a très bien analysé la chercheuse Audrey Hérisson, tout espace virtuel récemment découvert devient nécessairement l’objet des conflits déterminant ceux qui s’opèreront dans la vie réelle (« Le cyberespace, cet espace de confrontation à part entière » dans Stratégique, Institut de Stratégie Comparée, 2017, n°117). On peut très bien imaginer, par exemple, que des terroristes profitent du metaverse afin de mener des opérations de recrutement pour de futurs crimes dans la vie réelle. Les États doivent donc commencer à structurer des processus de déploiement de certaines de leurs fonctions régaliennes dans le metaverse.
Enfin, parce que nous nous situons dans une époque où la pluralité juridique a pris le pas sur une quête d’unité et de cohésion juridiques (voir mon article « Avant la loi ? » in Grief, Dalloz, 2018, n°5), il est préférable de ne pas accentuer ce phénomène en accordant une trop grande autonomie juridique au metaverse. En effet, si l’investissement de cet espace virtuel devient important à l’avenir, il sera nécessaire que chacun des États veille à ce que ce qu’il interdit dans la vie réelle ne soit pas permis dans le metaverse pour que la cohésion sociale dont il est le garant ne soit pas fragmentée à cause d’une sorte de schizophrénie juridique.
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