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Renforcement de la position stratégique de la France dans le domaine des câbles sous-marins
Aujourd’hui, cette acquisition d’ASN par l’État français marque un virage stratégique. En investissant massivement dans cette entreprise, la France ambitionne non seulement de rattraper son retard, mais aussi de s’affirmer comme un acteur incontournable dans le domaine des infrastructures numériques. En contrôlant directement une part importante des câbles sous-marins, la France compte désormais exploiter pleinement sa position géographique pour devenir un pilier de la connectivité en Europe et sécuriser son autonomie numérique.
Pourquoi les câbles sous-marins sont-ils stratégiques ?
Les câbles sous-marins sont l’épine dorsale d’Internet, transportant plus de 95% des données mondiales. Ils permettent aux pays d’échanger des informations de manière quasi instantanée. La maîtrise de ces infrastructures devient cruciale, car elle confère non seulement une indépendance numérique, mais également une protection contre des risques géopolitiques et cybernétiques.
Avec ASN, qui détient environ un tiers du marché mondial, la France dispose désormais d’un contrôle significatif sur la chaîne de valeur : de la conception à la fabrication, en passant par l’installation et la maintenance. Cet atout est rare en Europe et confère désormais à la France un avantage majeur dans ce secteur stratégique, d’autant que le chiffre d’affaires de l’entreprise, actuellement d’un milliard d’euros, pourrait augmenter de manière significative dans les années à venir.
Les autres géants mondiaux des câbles sous-marins : un paysage dominé par les États-Unis et la Chine
Les entreprises leaders du secteur
Le secteur des câbles sous-marins est dominé par quelques grands acteurs internationaux, principalement américains et chinois, qui exercent une influence significative sur les infrastructures de télécommunication mondiale.
- SubCom (États-Unis) : Entreprise américaine, SubCom est l’un des plus grands acteurs du secteur. Elle a installé de nombreux câbles reliant l’Amérique aux autres continents. Elle est également un partenaire privilégié de géants de la tech américaine comme Google, Facebook, et Microsoft, pour lesquels elle installe des câbles destinés à sécuriser les flux de données.
- NEC Corporation (Japon) : NEC est un acteur clé pour la région Asie-Pacifique, qui réalise une part importante du trafic mondial de données. Sa filiale de câbles sous-marins est impliquée dans des projets majeurs en Asie et collabore également avec des entreprises américaines.
- HMN Tech (ex Huawei Marine Networks) (Chine) : Huawei Marine, racheté en 2020 par la société chinoise Hengtong Group à 81%, est un acteur puissant dans le secteur des câbles sous-marins. La Chine utilise ces infrastructures pour connecter l’Asie, l’Afrique et l’Europe, consolidant son influence économique et technologique à l’international. Les projets de HMN Tech, en particulier en Afrique, sont souvent perçus comme des instruments d’influence géopolitique au service des intérêts stratégiques chinois.
- Google, Facebook, Microsoft et Amazon (États-Unis) : Ces géants de la tech se sont lancés dans le secteur des câbles sous-marins pour répondre à leurs propres besoins en connectivité et garantir un contrôle direct sur les infrastructures de communication. Google a investi dans plusieurs projets, notamment le câble Dunant qui relie la France aux États-Unis, tandis que Facebook et Amazon participent activement à des projets transatlantiques et transpacifiques. En se dotant de leur propre réseau de câbles, ces entreprises limitent leur dépendance aux opérateurs traditionnels et renforcent leur pouvoir économique et technologique mondial.
La répartition de la propriété des câbles
Les câbles sous-marins sont souvent financés par des consortia, un groupement d’entreprises qui inclut des opérateurs de télécommunications, des géants de la tech, des banques et parfois des gouvernements. La propriété des câbles se divise donc entre plusieurs acteurs, en fonction de leur contribution au financement et de leur participation au projet. Prenons l’exemple du câble Marea, qui relie les États-Unis à l’Espagne, il appartient conjointement à Microsoft et Facebook. Les informations sont consultables publiquement.
Les câbles : un enjeu géopolitique majeur
Posséder ou contrôler des câbles sous-marins revêt une importance géopolitique accrue. Un de mes anciens managers me disait « Celui qui détient l’infrastructure, détient le pouvoir ». C’est le cas non seulement des infrastructures radio ou terrestres mais plus encore celles qui sillonnent nos fonds marins ou qui tournent au-dessus de nos têtes.
Car en effet, ces infrastructures ne sont pas seulement des autoroutes de données, mais elles sont également stratégiques pour la défense et la sécurité nationale. Contrôler l’accès à ces câbles peut fournir un levier géopolitique et même un moyen de pression dans des contextes de tensions internationales.
L’Afrique est devenue un terrain de compétition majeur pour le contrôle des infrastructures numériques, y compris les câbles sous-marins. Le continent, désormais relié à une soixantaine de câbles, voit cette connectivité comme un enjeu crucial de développement économique et démocratique.
Des acteurs internationaux, notamment les géants américains du numérique comme Google et Meta, investissent massivement dans de nouveaux projets de câbles sous-marins autour du continent. Par exemple, le câble Equiano de Google, reliant le Portugal à l’Afrique du Sud en passant par le Nigeria et la Namibie, ou encore le câble 2Africa de Meta, qui fait le tour du continent africain.
Ces investissements reflètent non seulement des intérêts économiques, mais aussi une volonté de ces entreprises d’étendre leur influence géopolitique sur le continent. Cette course aux câbles sous-marins en Afrique illustre parfaitement comment ces infrastructures sont devenues un levier de soft power et un outil d’influence dans la géopolitique mondiale du numérique.
Contexte géopolitique : tensions et risques croissants
L’opération de rachat intervient alors que la sécurité des infrastructures sous-marines est de plus en plus mise en péril. Plusieurs incidents récents, tels que le sabotage du gazoduc Nord Stream en mer Baltique, ont souligné la vulnérabilité de ces réseaux. Des activités suspectes, notamment celles de navires russes proches de câbles sous-marins, suscitent également des inquiétudes. La France et ses partenaires européens et américains sont donc de plus en plus mobilisés pour protéger ces infrastructures critiques.
Les câbles sous-marins sont exposés à diverses menaces, allant des sabotages aux cyberattaques. Contrôler ce secteur permet non seulement d’assurer la sécurité de ces infrastructures, mais également de renforcer la résilience numérique de la France et de l’Europe.
Les tensions entre grandes puissances
Les câbles sous-marins sont régulièrement au centre des tensions internationales, devenant un enjeu géopolitique majeur. Les États-Unis et l’Europe s’inquiètent de la montée en puissance de la Chine dans ce domaine, en particulier des activités de Huawei Marine et des câbles reliant la Chine à l’Afrique et l’Amérique latine. Certains gouvernements occidentaux redoutent que ces infrastructures puissent être utilisées pour des opérations d’espionnage, de sabotage ou de cyber-influence.
Les récentes activités de navires russes à proximité des câbles sous-marins en mer Baltique ont également ravivé les craintes d’interruptions délibérées. Ces mouvements suspects ont conduit à une surveillance accrue et à des mesures de protection renforcées de la part des pays occidentaux. La France, avec le soutien de l’Union européenne, cherche à protéger ces infrastructures contre les sabotages et les intrusions étrangères.
Ces infrastructures sont également devenues un levier de négociation diplomatique. La capacité d’un pays à contrôler ou à menacer ces réseaux de communication peut être utilisée comme un outil de pression dans les relations internationales. Par exemple, la Chine a utilisé son influence sur les câbles sous-marins comme argument dans ses négociations commerciales et diplomatiques avec d’autres nations.
Les opérations de sabotage, réelles ou potentielles, sont une préoccupation majeure. L’incident des gazoducs Nord Stream en 2022 a montré la vulnérabilité des infrastructures sous-marines et a accru la vigilance autour des câbles de communication. Les pays développent des stratégies de résilience, incluant la diversification des routes de câbles et la création de systèmes de communication alternatifs, comme les réseaux satellitaires, pour assurer une résilience nécessaire.
Les initiatives de protection en Europe
Face à ces menaces, l’Europe, sous l’impulsion de la France, multiplie les initiatives pour protéger ses infrastructures sous-marines. En 2022, l’Union européenne a lancé un projet de sécurisation des câbles sous-marins, visant à surveiller de manière proactive ces infrastructures à l’aide de drones et d’autres technologies de surveillance maritime. La Commission européenne appelle également à une collaboration accrue avec les États-Unis pour renforcer la sécurité des câbles.
La France : un hub stratégique pour les câbles sous-marins
Grâce à cette acquisition, la France se positionne davantage comme un hub de connectivité en Europe. Le pays est déjà un point de convergence important pour les câbles sous-marins, notamment grâce à Marseille.
Marseille s’est imposée comme un hub numérique majeur à l’échelle mondiale, capitalisant sur sa position géostratégique unique en Méditerranée et de choix stratégiques pris lors de la rénovation de son port Marseille-Fos. La cité phocéenne est passée en une décennie du 44e au 7e rang mondial des hubs numériques, et se dirige vers la 5e place. Actuellement, 18 câbles sous-marins sont raccordés à Marseille, faisant de la ville un point névralgique pour le trafic Internet mondial.
Cette infrastructure critique relie l’Europe à l’Afrique, au Moyen-Orient et à l’Asie, transportant 99% des données internet intercontinentales.
La présence de ces câbles a attiré de nombreux centres de données, notamment autour du port de Marseille-Fos, renforçant encore davantage l’importance stratégique de la ville. Parmi les câbles majeurs arrivant à Marseille, on peut citer 2Africa évoqué précédemment, Peace, le premier câble chinois de la Route de la Soie numérique, et plus récemment Sea-Me-We-6, reliant directement la France à Singapour.
Cette concentration d’infrastructures numériques fait de Marseille un point d’entrée crucial pour les données en Europe, offrant une connectivité à très haut débit et un temps de latence minimal, essentiels pour les technologies émergentes comme l’intelligence artificielle et l’Internet des objets assurant à la ville une attractivité numérique stratégique.
Ainsi et avec ASN, désormais sous contrôle français, l’entreprise s’associe à d’autres acteurs industriels tels qu’Orange Marine, et contribue à consolider le rôle central de la France dans le domaine numérique mondial. En s’imposant ainsi dans le secteur des câbles sous-marins, la France aspire à devenir un acteur incontournable de l’économie numérique mondiale. En contrôlant ASN, elle peut assurer un meilleur suivi des projets de câbles sous-marins qui desservent l’Europe, offrant ainsi une alternative fiable face aux infrastructures contrôlées par les États-Unis et la Chine.
Les défis à relever pour la France
Malgré cet avantage stratégique, plusieurs défis demeurent pour la France :
- Sécurisation physique et cybernétique : Renforcer la protection des câbles et des stations d’atterrissement reste une priorité, nécessitant des investissements en cybersécurité et en infrastructures physiques pour prévenir toute tentative d’espionnage ou de sabotage.
- Concurrence avec les géants technologiques : Les géants américains et chinois continueront à investir dans leurs propres câbles, augmentant la compétition. La France devra développer des partenariats et des alliances en Europe pour soutenir son industrie et rivaliser avec ces acteurs.
- Enjeux environnementaux : Les fonds marins sont des écosystèmes sensibles, et la construction de nouveaux câbles doit se faire dans le respect des normes environnementales. La France devra veiller à minimiser l’impact écologique de ses projets sous-marins.
- Maintenir l’innovation : Pour rester compétitive, ASN doit innover en matière de capacité et de résilience des câbles, notamment en développant des câbles à très haute capacité pour répondre à la demande croissante de bande passante.
Pour conclure
Le rachat d’Alcatel Submarine Networks par l’État français s’inscrit dans une stratégie de souveraineté numérique et de protection des infrastructures critiques. En renforçant son contrôle sur les câbles sous-marins, la France souhaite assoir sa stratégie d’indépendance stratégique sur le numérique et se positionne comme un acteur incontournable de ce domaine. Ce mouvement stratégique, malgré son arrivée tardivem vise à transformer cet atout industriel en un véritable levier de puissance et d’influence pour la France sur la scène internationale, et à préparer le pays aux défis géopolitiques et environnementaux du futur. Il n’est jamais trop tard pour s’y mettre.
Sources et article original : https://www.linkedin.com/pulse/renforcement-de-la-position-stratégique-france-dans-le-ghorra-7zole/?trackingId=XFrUPtdgS3WgcoqN%2Bj6mlQ%3D%3D
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