En mars 2023, une vidéo montrant une violente altercation à la frontière russo-ukrainienne entre une famille russophone et des soldats ukrainiens interpelle sur les réseaux sociaux. La vidéo est-elle authentique ? Éléments de réponse grâce à l’OSINT

Publiée par des personnalités pro-russes et rapidement relayée par leurs partisans, la vidéo récolte rapidement des millions de vues sur les réseaux sociaux et provoque la colère des internautes. On y voit des militaires insulter une mère de famille avant de tirer des coups de feu à proximité d’une voiture et de quitter la scène, laissant derrière eux la famille en état de choc.

Toutefois, quelques voix s’élèvent pour soulever des éléments suspects : les soldats dans la vidéo arborent des brassards jaunes, alors que ceux habituellement portés par les militaires ukrainiens sont verts.

De plus, les caméras dashcam, comme celle ayant capté les images de l’altercation, sont interdites en Ukraine depuis un an. Une mesure mise en place pour éviter que l’armée russe ne mette la main sur des informations visuelles pouvant leur donner un avantage stratégique sur le terrain.

Circonspects, des chercheurs en sources ouvertes des collectifs Bellingcat et Geoconfirmed scrutent la vidéo image par image. Dans la première seconde de la vidéo, on peut y voir un pylône parallèle à la route.

 

Quelques secondes plus tard, un second pylône perpendiculaire au premier indique que l’altercation a pris place à un carrefour.

En se concentrant sur les territoires séparatistes de l’Ukraine – ceux-ci ne prohibant pas les dashcams – et en associant plusieurs données spatiales, tels que les arbres et les buissons, entre les images satellites et celles de la vidéo, les chercheurs arrivent à géolocaliser avec un haut degré de confiance l’endroit exact où cette dernière aurait été tournée.

Des volontaires se rendent en voiture et à pied pour photographier l’endroit déterminé, et la comparaison avec les images de la vidéo appuient de surcroît la véritable localisation de l’incident : celui-ci ne s’est non pas déroulé à la frontière entre la Russie et l’Ukraine, mais plutôt au sein du territoire séparatiste de Donetsk, à 30 kilomètres de la frontière.

La découverte de l’emplacement réel de l’incident est révélatrice : il est hautement improbable, voire impossible, qu’une telle agression de la part de soldats ukrainiens se soit déroulée dans cette zone, occupée sans interruption par des forces russes depuis près de dix ans. Dénoncée comme une mise en scène, la vidéo est rapidement démentie par les internautes. Le mensonge destiné à diaboliser les soldats ukrainiens aux yeux du public est ainsi tué dans l’œuf.

« OSINTer » pour mieux réfuter

Cette enquête, réalisée en quelques heures seulement, a été menée par une poignée de « détectives du net » issus de la communauté OSINT. Composée d’amateurs et de professionnels, cette communauté rassemble des individus passionnés par la fouille et l’analyse de sources accessibles gratuitement et légalement au public. Leurs compétences, particulièrement mises à profit depuis le début de la guerre en Ukraine, réussissent à freiner l’avalanche de désinformation russe souvent beaucoup plus rapidement que les journalistes et les fact-checkers.

C’est que la désinformation russe, en temps de guerre, ne s’infiltre pas sur les réseaux au compte-gouttes : bien que la désinformation ne soit pas l’apanage de la Russie, ses opérations d’influence sont abondantes et particulièrement tentaculaires, visant de plus en plus les pays historiquement non-alignés, en Amérique latine notamment.

En suivant de près les leaders d’opinion pro-russe sur les réseaux sociaux, comme Twitter ou les applications comme Telegram, les analystes OSINT arrivent à réfuter rapidement une tonne d’affirmations fallacieuses et de mises en scène avant que celles-ci n’atteignent le grand public.

L’OSINT ne sert pas uniquement à démystifier la désinformation sur la guerre en Ukraine. Il permet également de documenter les pertes d’équipement, les mouvements des troupes russes et les crimes de guerre commis contre des Ukrainiens, comme les assassinats de civils. La carte interactive Eyes on Russia, du Centre for Information Resilience (CIR), un organisme de lutte contre les violations des droits de l’homme et la désinformation, permet aux internautes de découvrir les différents incidents commis par l’armée russe en Ukraine. Et ce en associant chaque événement à des preuves visuelles téléchargées sur les réseaux sociaux.

L’IA, la nouvelle frontière de la désinformation

Malgré les efforts conjoints des journalistes, des fact-checkers et des « OSINTers », la désinformation russe continue de proliférer sur les réseaux. Un phénomène qui pourrait rapidement prendre une ampleur inégalée grâce à l’intelligence artificielle. Peu onéreux et accessibles à tous, ces outils permettent de créer des images, des textes et des vidéos fabriquées de toutes pièces pour appuyer des narratifs trompeurs. De plus, l’IA facilite la propagation des contenus fallacieux sur les réseaux sociaux en rendant les opérations d’influence plus difficiles à détecter par les plateformes.

À l’avant-garde des tendances désinformationnelles, les analystes OSINT partagent déjà des conseils pour mieux identifier la désinformation générée et propulsée par l’IA. Par exemple, en cherchant la phrase « en tant que modèle linguistique d’IA » sur les réseaux sociaux et sur les moteurs de recherche, il est possible d’identifier plusieurs sites web et comptes d’utilisateur faisant usage de robots conversationnels, comme ChatGPT, pour rédiger leur contenu.

En se penchant sur les détails, en partageant leurs trouvailles et en identifiant rapidement les contenus trompeurs sur la guerre en Ukraine, les OSINTers agissent comme un pare-feu face aux multiples opérations russes d’influence.

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