Le 30 octobre, Bruxelles a attribué au consortium SpaceRISE la concession du projet de la constellation européenne de connectivité par satellite Iris2. La constellation Iris2, qui signifie "Infrastructure de Radiocommunications Innovantes et de Services", est conçue pour répondre à la demande croissante de services de connectivité haut débit en Europe.

Un tel projet, qui vise à renforcer la souveraineté numérique de l’Europe à l’heure où la course aux constellations de satellites de télécommunications bat son plein, ouvre d’importantes perspectives pour les applications civiles et gouvernementales. Néanmoins, de nombreux défis techniques, politiques et industriels demeurent pour que la constellation puisse livrer son plein potentiel. 

Quels sont les acteurs associés à la constellation Iris2 ? 

Annoncée par le Commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton le 24 janvier 2022 lors de la 14ème European Space Conference de Bruxelles, la constellation Iris2 doit se composer à terme de 290 satellites interconnectés placés sur les trois orbites (basse, moyenne, géostationnaire). Ce programme, dont le coût est évalué à 10,6 milliards d’euros, dont 2,6 milliards sur des fonds uniquement européens, sera déployé le consortium SpaceRISE, constitué d’un ensemble d’industriels et d’acteurs du spatial : le français Eutelsat, le luxembourgeois SES, l’espagnol Hispasat en ce qui concerne les opérateurs des satellites. La fabrication des satellites sera quant à elle assurée par le franco-italien Thales Alenia Space, l’allemand OHB, le français Airbus Defence and Space. Enfin, les groupes télécoms impliqués sont Telespazio, Deutsche Telekom, Orange, Hidesat et Thales SIX. La signature du contrat est prévue d’ici à la fin de l’année 2024.

Dans le cadre d’un accord d’une durée de 12 ans avec la Commission européenne, l’agence spatiale européenne apportera son appui opérationnel pour valider en orbite la constellation. 

Une constellation au profit des européens   

Les applications de la constellation Iris2 sont divisées en deux périmètres : l’un dédié aux activités grand-public, l’autre aux communications gouvernementales sécurisées. 

Le premier périmètre doit combler les lacunes dans les zones rurales où l’accès à Internet à haut débit est insuffisant. Iris2 permettra ainsi de réduire la fracture numérique et pourrait par exemple être utilisée à des fins d’éducation à distance. De plus, la constellation pourra répondre à la demande du marché de l’IoT (Internet of Things), que ce soit pour un usage particulier avec les voitures connectées, ou un usage B2B. Iris2 pourrait par exemple faciliter le pilotage d’une chaîne logistique, dont les composants pourraient communiquer en temps-réel sur leur état.  

Le second périmètre, dédié à un usage gouvernemental, comprend un volet sécuritaire et un volet défense. Si le premier volet est relativement connu – par exemple lors de l’endommagement d’infrastructures terrestres suite à un sinistre, la constellation pourrait prendre la relève – les applications de défense resteront à la discrétion des états-majors européens. 

Dans ce domaine, Iris2 pourrait apporter une connexion haut-débit permanente et à faible latence aux forces, permettant d’interconnecter les effecteurs dans une démarche de combat collaboratif. L’avion de combat, la frégate, le drone, le satellite de renseignement, les troupes au sol et le poste de commandement pourraient communiquer en temps-réel, sans contraintes de distance. Ainsi, Iris2 pourrait s’imposer comme la pierre angulaire de programmes majeurs tels que le SCAF (Système de combat aérien du futur) qui doit associer un chasseur de nouvelle génération, des drones d’appui et un cloud de combat. Mais l’intérêt d’une telle constellation ne s’arrête pas là. Les 290 satellites d’Iris2, par leur caractère défilant et permanent, pourraient agir comme des « relais de données » pour d’autres satellites. Par exemple, un satellite d’observation, s’il n’est pas à proximité de l’une de ses stations-sol pour décharger ses prises de vue, pourrait utiliser Iris2 pour transmettre ses données. L’interconnexion des 290 satellites Iris2, permettra alors de transmettre l’image du satellite d’observation à l’autre bout du monde si nécessaire, jusqu’à aboutir à une station-sol en mesure de récupérer l’imagerie. 

Enfin, si on raisonne uniquement sous le prisme de la défense spatiale, les 290 satellites Iris2 seront facteur de résilience pour l’Europe. En effet, une telle architecture est moins sensible aux menaces antisatellites. Par exemple, le tir d’un missile antisatellite, dont le dernier essai par la Russie remonte à novembre 2021, perdrait sa pertinence puisque la constellation serait en mesure de combler immédiatement la perte de l’un de ses satellites. Il lui en resterait 289 en état de fonctionnement. 

Sécurité des transmissions

La Commission européenne ayant insisté sur le caractère « souverain » de la constellation, une importance particulière semble être accordée à la sécurisation des infrastructures. Ainsi, Iris2 doit s’appuyer à terme sur l’infrastructure européenne de communication quantique (EuroQCI — European Quantum Communication Infrastructure). Lancée en juin 2019 et réunissant les 27 pays de l’UE, cette initiative vise à développer une infrastructure de communication quantique sécurisée à l’échelle européenne.

Outre ces orientations techniques, il conviendra de sécuriser l’ensemble de la chaîne de valeur de la constellation, de la conception, en passant par le lancement et les opérations en orbite. Ainsi, le choix du lanceur sera déterminant. S’orienter vers un lanceur européen, tel qu’Ariane 6, mis en œuvre depuis le sol européen, garantira les opérations de chiffrement qui se font généralement lorsque les satellites sont placés dans la coiffe du lanceur. 

Interopérabilité et compatibilité  

L’équipement de récepteurs compatibles sur les terminaux utilisateurs est un point d’attention crucial pour que la constellation puisse délivrer son plein potentiel.  Il s’agira donc d’une montée en puissance progressive, à l’instar de ce qui s’est opéré pour la constellation GNSS européenne Galileo, qui ne délivre ses services de positionnement à des téléphones mobiles que depuis 2022. À terme, pour les applications civiles, il serait même idéal d’aboutir à la définition de récepteurs multimodes compatibles avec plusieurs constellations (Starlink, OneWeb, Kuiper, etc), à l’instar de ce qui s’opère pour les constellations GNSS. Les défis dans ce domaine restent encore nombreux au regard du caractère compétitif du marché de la télécommunication par satellite. 

Des enjeux de durabilité 

Iris2 arrive dans un contexte de multiplication des programmes de constellation. Pour rappel, la constellation Starlink d’Elon Musk doit se composer à terme de 12 000 satellites ; sa concurrente Kuiper d’Amazon, 3200 satellites ; GW en Chine, ambitionne de lancer 13 000 satellites. En résumé, c’est plus de 30 000 satellites qui doivent être envoyés d’ici 2030. Pour mesurer cette rupture, rappelons qu’en 2018 on ne comptait « que » 1700 satellites actifs en orbite. On en compte plus de 10 000 en 2024. 

Cette prolifération du nombre de satellites en orbite pose des défis en matière de gestion du trafic spatial. Désormais, les risques de collision en orbite sont réguliers. En 2009,un accident a marqué les esprits , alors que la population en orbite était dix fois moins importante qu’aujourd’hui.. Le 10 février 2009, les satellites russe et américain, Kosmos-2251 et Iridium-33, se percutent en orbite basse, occasionnant la création de plus de 2 000 débris. L’altitude qui sera choisie pour la constellation Iris2 dimensionnera donc l’architecture des satellites. En effet, plus un satellite est haut, plus sa retombée naturelle dans l’atmosphère est longue (300 années pour un objet à 800 kilomètres d’altitude). Pour répondre à ce défi, des solutions existent : 

  • utiliser des orbites plus basses qui garantissent un rentrée atmosphérique naturelle sous quelques mois ; 
  • à défaut de cette première option, doter les satellites d’une capacité de propulsion pour amorcer une opération de désorbitation ; 
  • prévoir des attaches sur les satellites pour assurer leur désorbitation à l’aide d’un remorqueur en cas d’échec de l’option précédente. 

Une chose est sûre : le contenu de la loi spatiale européenne, attendue en 2025, déterminera le niveau d’exigence qui sera imposé à la constellation Iris2 en matière de durabilité. 

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