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Focus sur la course aux constellations de satellites internet haut-débit


Les cas récents de catastrophes naturelles ou bien la guerre en Ukraine ont justement rappelé l’intérêt de ces constellations. Si Starlink se place à l’avant-garde de ce domaine, d’autres initiatives, privées ou publiques, émergent désormais. Selon les estimations, plus de 30 000 satellites de télécommunication doivent être lancés d’ici la fin de la décennie. Si ces chiffres n’évoquent rien, il faut noter qu’en septembre 2017 on comptait 1730 satellites en orbite, tandis qu’on en compte plus de 10 000 aujourd’hui, dont 6 000 appartiennent à la seule constellation Starlink.
Au regard de la hausse considérable du nombre d’objets en orbite, d’importants défis émergent, qu’ils soient environnementaux, techniques ou scientifiques. Voici un tour d’horizon des différentes constellations existantes et en cours de développement.
Starlink : le leader mondial du haut-débit spatial
Lancée par SpaceX, la société d’Elon Musk, Starlink est sans conteste la constellation de satellites la plus médiatisée. Le projet, dont l’objectif est de déployer plusieurs milliers de petits satellites en orbite basse terrestre, vise à fournir un accès Internet haute vitesse partout sur la planète, en particulier dans les zones rurales ou isolées. En outre, cela s’adresse également aux entreprises, tel que le contrat passé avec Air France en septembre 2014 pour équiper ses avions nous le rappelle. Depuis son lancement en 2019, Starlink a déjà mis en orbite plus de 6 000 satellites, avec l’objectif de 12 000 pour la phase 1.
Ce réseau, déjà opérationnel dans de nombreuses régions, se distingue par sa capacité à offrir des débits pouvant atteindre 150-200 Mbps en moyenne, avec une latence relativement faible pour des services satellitaires. Particularité industrielle de Starlink : les satellites sont produits, lancés et opérés par SpaceX. Cette verticalisation de la chaîne de valeur permet d’importantes économies d’échelle et confère aujourd’hui à Starlink une avance considérable sur ses concurrents. En effet, avec un premier prix à l’abonnement à 110 dollars par mois, Starlink propose l’offre la plus compétitive, qui aurait déjà séduit plus de 4 millions d’abonnés. En comparaison, la constellation OneWeb, seul concurrent pleinement opérationnel à ce jour, propose des abonnements à plusieurs centaines de dollars – bien que cela soit d’abord destiné à des professionnels et non à des particuliers.
Fin 2022, alors que Starlink était déployé au sein de l’armée ukrainienne, SpaceX a annoncé le développement d’une version purement militaire de la constellation. Baptisée Starshield, cette constellation sera conçue pour les applications gouvernementales et militaires et sera directement opérée par le Departement of Defense (DoD).
OneWeb : précurseur et seul concurrent de Starlink
OneWeb est une constellation composée de 648 satellites en orbite basse, s’adressant principalement aux entreprises, dont la mise en orbite a débuté dès 2019. Le programme a vu son développement ralenti par des difficultés financières. Après sa faillite en 2020, OneWeb a été reprise par un consortium dirigé par Bharti Enterprises, le français Eutelsat et l’État britannique, avant de fusionner entièrement avec Eutelsat, l’un des plus importants opérateurs de satellites en orbite géostationnaire, en septembre 2023.
Les tensions géopolitiques, notamment la guerre en Ukraine, qui a interrompu les lancements via les lanceurs russes Soyouz, a contraint OneWeb à passer un accord avec SpaceX pour terminer le déploiement de ses satellites. L’extension de la constellation à plus de 6 000 satellites est envisagée, mais la rentabilité reste incertaine au regard des investissements considérables que cela nécessite.
Guowang et Qianfan : deux constellations chinoises concurrentes ?
Il existe actuellement deux projets en cours de constellation de communication haut-débit en Chine : Guowang (« Réseau céleste »), qui doit se composer à terme de 13 000 satellites en orbite basse, et Qianfan (traduit « Milles Voies » et connue par le passé sous le nom de « G60 Starlink ») qui doit se composer de près de 12 000 satellites. Les premiers lancements ont eu lieu respectivement en décembre et août 2024.
Selon certains observateurs, ces deux constellations pourraient être concurrentes car émanant d’initiatives publiques et industrielles différentes. Guowang serait développée par une filiale de l’entreprise d’État China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC) et opérée par l’entreprise publique SatNet, tandis que le Qianfan serait mise en œuvre une entreprise soutenue par la municipalité de Shanghai, la Shanghai Spacecom Satellite Technology (SSST).
Concurrentes ou complémentaires, ces deux constellations adresseront probablement un marché national prometteur au regard des besoins gouvernementaux chinois et de l’isolement de certaines régions de l’empire du Milieu.
Sfera : une constellation russe à vocation civile et militaire
Approuvée par le gouvernement russe en avril 2022, la constellation Sfera (en russe : Сфера, Sphère) prévoit le déploiement de 264 satellites d’ici 2030-2035. Ce projet combine des satellites de télécommunication et d’observation de la Terre, avec des objectifs à la fois civils et militaires, particulièrement propices pour des régions reculées comme l’Oural, l’Arctique ou la Sibérie.
La constellation Sfera doit inclure 12 satellites Skif en orbite polaire pour fournir Internet haut débit dans l’Arctique russe ; 132 satellites Marathon pour l’Internet des objets (IoT) ; 4 satellites de télécommunications Express-RV en orbite elliptique, pour une couverture étendue ; 84 satellites Berkout (optique et radar) pour l’observation de la Terre.
Ce projet, qui bénéficie d’un budget initial de 370 millions USD, doit incarner le renouveau de l’industrie spatiale russe. En octobre 2023, Vladimir Poutine a demandé à l’agence spatiale russe Roscosmos de réduire radicalement le coût de production des satellites et de passer d’une construction en faible série à une fabrication industrielle à grande échelle.
Iris² : un projet européen pour la connectivité de demain
Annoncée par le Commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton le 24 janvier 2022 lors de la 14ème European Space Conference de Bruxelles, la constellation Iris2 doit se composer à terme de 290 satellites interconnectés placés sur les trois orbites (basse, moyenne, géostationnaire). Ce programme, évalué à 10,6 milliards d’euros, dont 2,6 milliards financés exclusivement par des fonds européens, sera déployé par le consortium SpaceRISE. Celui-ci réunit plusieurs industriels et acteurs du spatial, parmi lesquels les opérateurs satellitaires Eutelsat (France), SES (Luxembourg) et Hispasat (Espagne).. La fabrication des satellites sera quant à elle assurée par le franco-italien Thales Alenia Space, l’allemand OHB, le français Airbus Defence and Space. Enfin, les groupes télécoms impliqués sont Telespazio, Deutsche Telekom, Orange, Hidesat et Thales SIX.
Pour aller plus loin : Applications et enjeux pour la future constellation européenne Iris2
Kuiper : le projet Amazon pour l’Internet mondial
Kuiper d’Amazon, annoncé en 2019, vise à fournir un accès Internet haut débit via une constellation en orbite basse de 3 236 satellites, avec une extension à 7 774 sous réserve d’approbation des agences de régulation des radiofréquences. À l’instar des satellites Starlink, fabriqués directement par SpaceX, les satellites Kuiper seront directement fabriqués par la firme de Jeff Bezos. Néanmoins, le lancement des satellites s’appuiera sur des lanceurs tiers, notamment Atlas V de l’alliance entre Boeing et Northrop Grumman, et l’européenne Ariane 6. Le lanceur New Glenn de Blue Origin, entreprise spatiale de Jeff Bezos, n’étant pas encore pleinement opérationnel malgré son premier vol en janvier 2025.
Dès lors, en étant dépendant de lanceurs tiers, dont le coût de mise en œuvre est réputé beaucoup plus important que ceux de SpaceX, Kuiper part avec un handicap face à Starlink, soulevant des questions quant à sa capacité à proposer une solution compétitive.
Externalités négatives : des défis à ne pas négliger
Telle une ruée vers l’or, de nombreux acteurs s’engagent dans la course à la connectivité par satellite en orbite basse. Cet élan est facilité par le caractère permissif du droit spatial, laissant émerger un « Far West » dans lequel les constellations les plus importantes imposent leurs règles, en dépit de considérations extérieures. Le cas le plus frappant mis en avant jusqu’ici est celui des perturbations astronomiques. Les premières générations de satellites Starlink ont créé d’importantes traînées lumineuses visibles dans les télescopes, altérant ainsi la qualité des recherches sur l’univers. Plus récemment, une étude de la revue scientifique « Astronomy & astrophysics », de l’Institut néerlandais de radioastronomie (ASTRON) a tiré la sonnette d’alarme, déplorant que les satellites Starlink de deuxième génération émettent jusqu’à 32 fois plus d’ondes radio non intentionnelles que les satellites de première génération, causant des troubles pour les observations astronomiques par radiotélescope. En outre, la gestion des fréquences fait également l’objet d’une compétition entre opérateurs, conscients qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde, imposant de fait une course à la demande de fréquence auprès des régulateurs.
Nombre d’objets en orbite terrestre – une rupture significative s’opère à partir de 2017-2018, année des premiers lancements de Starlink – sources : NASA
Au regard des dizaines de milliers de satellites attendus d’ici la fin de la décennie, les externalités négatives de ces constellations pourraient s’accentuer. Outre l’impact sur le climat des lancements de fusée, qui reste encore à affiner, l’une des préoccupations majeures est le risque de collision. Avec 1700 satellites actifs en 2017 contre près de 10 000 aujourd’hui, le risque de collision s’accroît durablement, ouvrant la voie à l’enclenchement d’un potentiel syndrome de Kessler, dont le principe est simple : plus il y a de débris en orbite, plus ils vont heurter des objets ou d’autres débris, provoquant une réaction en chaîne qui devient incontrôlable. D’importantes mesures de gestion du trafic spatial doivent donc être mises en œuvre et le concours des opérateurs de ces satellites est dès lors indispensable.
Par conséquent, même si les constellations internet haut-débit laissent entrevoir des opportunités économiques, d’importants défis ne doivent pas être négligés.es problématiques environnementales ou scientifiques ne doivent pas être ignorées au risque de susciter au sein des opinions publiques un désaveu croissant.
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