Inspirée du jeu vidéo Cyberpunk 2077, cette série est surtout la chronique d’une catastrophe annoncée dans un monde où toutes les belles idées techno-centrées semblent avoir tourné au cauchemar.

Cette série, telle qu’elle se présente au premier abord, pourrait être trompeuse. Pour celles et ceux qui ont grandi avec Les Chevaliers du Zodiaque ou Dragonball Z, Cyberpunk: Edgerunners en reprend les codes visuels. Cependant, il ne faut pas se laisser abuser. Les thèmes abordés et les images qui leur donnent forme s’adressent bien à un public averti.

Ceci étant dit, il faut se prêter à l’exercice de décrire le monde d’Edgerunners car il est des plus instructifs. La série est censée se dérouler en 2077. On découvre là un environnement hyper urbain où l’acier ne concède aucun terrain au verre et au béton et où le végétal brille par son absence — la seule séquence qui se déroule hors de la ville laisse apparaître un désert.

De son côté, la société décrite dans la série s’est structurée autour d’un hyper libéralisme qui, même s’il permet d’espérer le meilleur, fait de chaque acquis une victoire de haute lutte contre une adversité et une concurrence sociale généralisée. Là, rien n’est jamais acquis. L’échec attend patiemment son heure afin d’entraîner quiconque se laisse aller à la moindre défaillance. Dans les bas-fonds de cette ville titanesque, les déchus sont légion. Il ne leur reste que l’alcool et la drogue pour occuper leur quotidien sordide.

Cette société futuriste présente une autre facette : quand on en a les moyens (financiers), rien ne semble inaccessible. Ceci étant d’autant plus vrai que ces mêmes moyens permettent à chacun d’augmenter son corps, d’augmenter sa nature humaine grâce à des prothèses, à des extensions biomécaniques. Il faut ajouter à cela que l’hyper libéralisme ambiant permet l’accès à ces prothèses, que celles-ci soient officielles ou non, que celles-ci soient neuves ou d’occasion. Ce même hyper libéralisme entretient des trafics en tout genre.

Augmentations biomécaniques : entre réalité et fiction

Les augmentations biomécaniques ou logicielles se trouvent au cœur de cette série. Mais, dans les faits, que sont-elles ? Elles sont moyens de communication : le smartphone a disparu au profit d’implants peut-être cochléaires (ouïe) et sclérotiques (vue) et contrôlés par la pensée. Elles sont moyens de connaissance : c’est la généralisation de l’idée d’un certain Elon Musk de mettre toutes les connaissances humaines à disposition immédiate de chacun au moyen d’une interface neurologique humain-machine (moyen informatique qui augmente les fonctions cognitives d’un individu).

Dans notre présent, les chirurgiens ont été parmi les premiers à utiliser ces augmentations de gestes (professionnels). Désormais, des personnes handicapées commencent à en bénéficier. Ces prothèses seront amenées à se généraliser dans de nombreux domaines, à plus ou moins brève échéance, sous les formes d’exosquelettes complets ou partiels ou d’autres formes. Il convient de noter que ces augmentations, approchant d’une forme de maturité, sont envisagées et admises dans un cadre de soin, c’est-à-dire la restitution ou la réparation d’une fonction organique déficiente : paralysie motrice, neurologique, amputation accidentelle, malformation congénitale etc.

Des perspectives qui bousculent l’éthique médicale

Tout ce qui vient d’être cité relève de l’ordre de l’accessible même si de nombreuses étapes, tant scientifiques que technologiques, restent à être franchies avant que ces extensions prosthétiques ne deviennent des produits fonctionnels et généralisés. Considérant ces étapes comme franchies — elles sont de l’ordre du temps, à court, moyen, ou long terme pour le plus grand plaisir des plus enthousiastes —, il demeure une étape éthique à étudier.

Il s’agit de la question du passage des notions de soin et d’augmentation professionnelle à celles de confort, de loisir, de la liberté à disposer de son corps avec, en arrière plan, la question de la réversibilité. On pourrait résumer la situation en un passage du « corps sacré » au « corps marché », parce que, en embuscade, c’est bien un marché des prothèses qui attend de se déployer, c’est en tout cas le postulat d’Edgerunners.

Aujourd’hui, en France, le corps médical applique un principe qui s’entend sous la forme d’une locution latine « Primum non nocere » : « en premier lieu, ne pas nuire » (au patient). Par extension, on peut admettre que cette injonction inclut la notion de réversibilité. Hors de toute indication médicale, toute action doit demeurer réversible.

Dans Cyberpunk: Edgerunners, le réel se situe bien au-delà de toutes ces prudences. On pourrait même dire qu’une étape supplémentaire a été franchie. Là, le corps biologique ne semble plus avoir d’essence propre. Il est devenu un objet comme un autre qui peut être amputé — presque tout ou partie — au profit d’une prothèse qui apporte une fonction supplémentaire ou supérieure à l’organe remplacé.

Chronique de la catastrophe annoncée

Le tableau de cette société futuriste esquissé, ne reste plus qu’à suivre le destin de David, le héros de cette série. Issu d’une classe moyenne laborieuse, sa mère enchaîne les heures de travail pour lui assurer un avenir. Cela passe par un enseignement, payant, en institution privée. Les fins de mois sont difficiles. Parfois, il faut faire le choix entre payer le loyer et payer les mises à jour des logiciels scolaires.

Le garçon, débrouillard, s’arrange alors en se tournant vers le marché noir des logiciels. C’est d’autant plus une nécessité qu’il côtoie des élèves dont les familles sont riches et puissantes. Cela leur donne accès à tout un échantillon d’améliorations ou d’augmentations qui, du point de vue de notre époque, rompent l’égalité dans les études au sein même des classes.

La bascule dans le drame survient rapidement. Et notre héros se retrouve dans des situations où les augmentations qu’il juge nécessaires à sa survie ne tiennent plus que du logiciel. Il passe aux augmentations corporelles. Entre fascination morbide pour la nouveauté et étrange évolution du paradoxe de Jevons appliqué aux prothèses, la portion de son corps biologique ne cesse de diminuer au profit de prothèses biomécaniques.

Mais il n’est pas le seul à se prêter à cette étrange pratique. Parmi ses amis, certains sont majoritairement artificiels. De leur nature humaine il ne reste, pour ainsi dire, que leur cerveau. Ces pratiques comportent un risque : la « cyberpsychose ». Elle est la conséquence de la lutte psychique entre la nature biologique et la portion artificielle, l’esprit ne sachant plus à quelle réalité se rattacher.

Peu importe que cette cyberpsychose soit un trouble objectif ou non. On est dans la fiction. On peut néanmoins s’interroger : quand je remplace 5, puis 10, puis 20… puis 40 ou même 80% de mon corps par des prothèses, suis-je toujours moi-même ? Existe-t-il un moment où le « moi » augmenté s’avère différent du « moi » biologique ?

Humanité et cybernétique

Face à cette problématique, deux points de vue existent. Le premier consiste à réduire la personne humaine au 1,4 kilogramme de matière grise inclus dans la boîte crânienne. À ce moment-là, le corps n’est que le véhicule de la personnalité. Peu importe la proportion artificielle que comporte un corps biologique. Ce qui compte c’est le cerveau – qu’on pourra un jour numériser, selon les transhumanistes.

L’autre point de vue tient compte du complexe et des dernières recherches révélant que la présence des neurones ne s’arrête pas à la seule boîte crânienne. On en trouve dans la moelle épinière, dans le cœur et autour des intestins. La personnalité d’un individu semble alors issue d’une interaction fine et complexe entre un « moi » intérieur et l’expérience du monde extérieur que l’individu fait au moyen de son corps. Modifier ce même corps revient à modifier le « moi expérienciel ».

Toutes ces nuances permettent au spectateur d’être peiné quand il assiste à l’inéluctable descente aux enfers de David. Ce même spectateur est aussi en droit de se révolter contre l’hyper libéralisme du monde d’Edgerunners qui broie les individus au nom du profit. Il peut même verser une larme quand les amours de David se heurtent aux murs du réel cybernétique. Mais on doit surtout se tourner vers notre présent pour interroger les usages qui se préparent pour des technologies qui, si elles représentent des miracles pour certains, doivent encore répondre à des questions avant de sortir des cercles médicaux ou professionnels.

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