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La Réunion face aux défis de la cybersécurité : une dynamique en marche


Au sud de l’océan Indien, l’île de La Réunion, département français d’outre-mer, se caractérise de plus en plus par ses actions de consolidation de sa cybersécurité. La Réunion a pris conscience de sa vulnérabilité et s’est engagée dans une véritable course à la cyber-résilience.
Par des actions de sensibilisation, la réalisation de parcours cyber financés par l’ANSSI, un tissu associatif cyber vigoureux, mais aussi par l’occurrence régulière de cyberattaques, La Réunion a pris conscience qu’évoluer dans l’espace numérique comporte des risques alors que « La transformation numérique constitue un levier essentiel pour accompagner le développement de l’île. Elle ouvre également des potentielles perspectives de développement économique dans toute la région océan Indien. », explique Matthieu Druilhe, directeur adjoint à la cybersécurité chez Réunion THD.
L’île, avec une population de plus de 860 000 habitants (plus grand département d’Outre-mer), est un territoire dynamique où les jeunes de moins de 25 ans, très friands de numérique, représentent près de 20 % de la population. Son économie repose en grande partie sur les TPE et les PME et l’île compte également de nombreuses collectivités territoriales et administrations, qui figurent parmi les cibles privilégiées des pirates informatiques.
Une prise de conscience progressive
Pendant longtemps, la cybersécurité n’était pas perçue comme une priorité à La Réunion, car l’île semblait épargnée par les cyberattaques, jusqu’alors peu visibles. « Nous devons rompre avec cette perception d’un risque lointain, qui a longtemps freiné la prise en compte de la menace”, selon les mots de Matthieu Druilhe. La multiplication des cyberattaques à travers le monde, et notamment la recrudescence des attaques visant les collectivités et les entreprises françaises, a sonné l’alarme. La Réunion ne fait pas exception.
Toutefois, la cybersécurité peine encore à s’imposer comme une priorité, non par manque de vigilance, mais parce que son impact reste difficile à évaluer concrètement pour les décideurs. « Un dirigeant a besoin de comprendre l’investissement nécessaire et les bénéfices à en tirer. Tant que les risques ne se traduisent pas par des impacts évaluables, mesurables, il est naturel que d’autres urgences prennent le dessus. Un effort de pédagogie doit être fait par les experts cyber pour être compréhensible par les décideurs« , souligne Sully BARBE.
Face à cette réalité, l’ANSSI, entre autres, a joué un rôle clé dans la structuration d’un véritable écosystème cyber à La Réunion. En accompagnant la montée en compétence des acteurs locaux et en renforçant la sensibilisation des entreprises et des collectivités, elle contribue à ancrer la cybersécurité comme un enjeu stratégique pour le territoire. Elle est également à l’origine de la création d’un CSIRT territorial en partenariat avec La Région Réunion, visant à renforcer la capacité de réponse aux incidents de sécurité et à favoriser une coopération accrue entre les acteurs publics et privés de l’île.
Des actions concrètes, mais des obstacles persistants
L’objectif est de donner aux acteurs économiques les outils et les connaissances nécessaires pour se protéger face aux cybermenaces. Face à ces enjeux, plusieurs dispositifs de soutien ont été mis en place pour accompagner la transition numérique locale.
Parmi eux, le programme Kap Numérik, cofinancé par l’Union européenne et la Région Réunion, offre une aide financière pouvant atteindre 3 200 euros pour soutenir les TPE dans leurs projets digitaux, notamment en matière de sécurisation des données et d’audits de cybersécurité. Un levier supplémentaire pour améliorer la résilience des entreprises face aux cybermenaces.
Les défis majeurs : gouvernance, coopération, infra, compétences.
Ayant participé à la montée en cyber dans les armées, le général (2S) œuvre dans son île natale pour y faire émerger une filière cybersécurité, aux côtés d’acteurs locaux. Il constate que « les opérateurs privés ont consolidé leur cybersécurité et celle de leurs clients. Les administrations, bénéficiant des parcours de cybersécurité de l’ANSSI, ont fait des efforts pour durcir leurs systèmes d’information.
Cependant, s’il est compréhensible que chaque acteur avance de son côté selon ses objectifs ou missions, il estime que la coopération entre tous les acteurs publics et privés, est vitale pour faire face à une crise majeure, dans ce territoire très éloigné de la Métropole. Elle est aussi essentielle, pour saisir les opportunités de développement que la situation singulière (qu’elle partage avec Mayotte), d’être la France et l’Europe, alliant ainsi le développement d’une cybersécurité « équilibrée » et régulée, ie, qui respecte la vie privée, renforce la sécurité, développe le social et l’économie ; dans cette partie du monde, qui comprend des pays dont les objectifs en la matière ne répondent pas aux mêmes standards européens.
Il plaide ainsi pour une stratégie ancrée dans l’écosystème local réunionnais, voire régional. Pour lui, il est essentiel de penser la cybersécurité autour des chantiers de gouvernance, de coopération, de développement des infrastructures et des compétences, ie, former et retenir les jeunes talents afin de répondre aux besoins des entreprises locales.
Il appelle ainsi à un modèle de développement adapté aux réalités socioéconomiques du territoire, combinant une coopération renforcée entre les acteurs locaux et des investissements ciblés dans les infrastructures et la formation. Dans un cadre national et régional, La Réunion doit aussi étudier des pistes de coopération, notamment avec Maurice désigné pilote de la formation pour toute l’Afrique, pour développer un écosystème régional, de confiance, propice aux échanges économiques.
Si plusieurs initiatives ont été mises en place pour renforcer la sécurité numérique et moderniser l’écosystème de l’île, la mise en œuvre doit désormais produire des résultats concrets sur le terrain.
Dans cette optique, le programme FEDER 2021-2027 porté par La Région Réunion soutient la transformation numérique sécurisée des services publics à La Réunion. Ce dispositif vise à moderniser les administrations, renforcer la cybersécurité des infrastructures critiques et encourager le développement de services en ligne pour les citoyens et les entreprises. Mais au-delà des annonces, il est essentiel que ces efforts se traduisent en actions visibles et mesurables.
La gouvernance de la cybersécurité se structure progressivement avec l’EDIH, qui réunit opérateurs privés et publics dans une logique de coopération. Il ne s’agit plus d’opposer prescripteurs et opérateurs, mais de bâtir une approche collective où chaque acteur agit dans son domaine d’expertise pour une cybersécurité efficace et cohérente.
Par ailleurs, l’autonomie numérique de l’île reste un enjeu stratégique. « Il faudrait davantage de centres de données sur l’île pour assurer une certaine résilience et réduire notre vulnérabilité en cas d’attaques majeures ou de coupure des câbles sous-marins », explique Sully Barbe.
L’enjeu est désormais de passer d’une vision “projets” qui était nécessaire pour incarner la volonté d’avancer sur ce sujet de cybersécurité, à une véritable stratégie durable, ancrée dans la réalité du territoire et adaptée à ses spécificités économiques et géopolitiques.
Des atouts à valoriser : positionnement, infrastructures et inclusion
La Réunion dispose d’atouts considérables pour relever ces défis. « Avec des infrastructures modernes comme nos câbles sous-marins et un réseau de fibre optique qui couvre 93 % des foyers, nous avons transformé cette île en un hub numérique essentiel pour l’océan Indien« , souligne Matthieu Druilhe. Un atout majeur pour le développement du numérique et de la cybersécurité.
Par ailleurs, La Réunion a pris conscience de la nécessité d’inclure les zones rurales dans sa stratégie de cybersécurité. Des efforts sont déployés pour étendre la connectivité et les outils de protection aux micro-régions les moins favorisées, afin de ne pas créer de fracture numérique.
Si l’île se dote progressivement d’infrastructures solides, les entreprises, elles, peinent encore à structurer leur cybersécurité. »Elles avancent avec les moyens dont elles disposent, mais manquent souvent d’une approche structurée et de compétences spécialisées« , observe Sully Barbe. « Beaucoup sollicitent des experts, dont l’accompagnement peut parfois rester partiel, faute d’une vision globale intégrant gouvernance, protection, détection et résilience, pourtant accessible sans nécessairement engendrer des coûts plus élevés. »
Ce constat souligne l’importance de dispositifs d’accompagnement structurés, capables d’aider les entreprises à mieux intégrer la cybersécurité dans leur fonctionnement quotidien.
Cyber Réunion : un acteur clé pour une stratégie ambitieuse
Face à ces défis, la structuration d’un écosystème local solide est devenue une priorité. Pour coordonner les actions et renforcer la cyber-résilience de l’île, La Réunion s’est dotée en 2024 d’une structure dédiée : Cyber Réunion, marque régionale ombrelle de cybersécurité portée par Réunion THD un établissement public de la Région Réunion « Nous avons construit Cyber Réunion avec l’ambition d’élever la cyber-résilience de tout le territoire », explique Matthieu Druilhe. Soutenue par la Région Réunion et l’Anssi, cette plateforme a pour vocation de fédérer les acteurs publics et privés, de mutualiser les compétences et de développer une stratégie de cybersécurité ambitieuse pour l’ensemble du territoire.
Pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises et des collectivités, Cyber Réunion s’articule autour de trois piliers essentiels :
Informer sur les risques et cybermenaces avec le CSIRT La Réunion,
Sécuriser les entreprises avec l’EDIH La Réunion
Répondre aux incidents d’origine cyber avec le CSIRT La Réunion.
Celui-ci a pour vocation de renforcer la cybersécurité sur l’île. Véritable point d’appui de proximité, il offre un accompagnement personnalisé en cas de crise, en apportant des solutions adaptées aux besoins spécifiques des acteurs locaux. Grâce à une connaissance fine des enjeux régionaux, le CSIRT joue un rôle clé dans la résilience numérique du territoire. En complément, l’EDIH (European Digital Innovation Hub) La Réunion, piloté par Réunion THD, agit en tant que levier d’innovation pour sécuriser les systèmes d’information des TPE, PME et organismes publics de l’île. Ce programme européen permet de financer des solutions technologiques et de mutualiser les compétences au sein d’un écosystème collaboratif. Six partenaires unissent leurs forces dans ce projet : Réunion THD, DIGITAL REUNION, la CCIR (Chambre de Commerce et d’Industrie de La Réunion), le CLUSIR ROI (Club de la Sécurité de l’Information en Réseau – Réunion Océan Indien), La Réunion Développement, et la Technopole de La Réunion.
La Réunion : un modèle en devenir pour les Outre-mer ?
Grâce à ces efforts, La Réunion avance dans le renforcement de sa cybersécurité et pourrait inspirer d’autres territoires ultramarins. Elle développe une approche adaptée à ses spécificités, en tenant compte des enjeux économiques, sociaux et géographiques.
Cependant, “nous sommes au début du chemin, voire de l’autoroute car dans le numérique, les évolutions sont extrêmement rapides”. Comme le souligne Sully Barbe, les attentes sont fortes. Au-delà des effets d’annonce, il est essentiel que les projets produisent rapidement des résultats perceptibles par les entreprises et que ces dernières en profitent pour consolider les efforts réalisés par leur équipe informatique (quand elles en ont) faisant ce qui est en leur pouvoir. Elles ne disposent pas toujours des méthodes et compétences nécessaires en cybersécurité et font parfois appel à des experts dont l’approche reste partielle, sans vision globale alliant organisation, protection, détection et résilience. Pourtant, une sécurisation complète et cohérente ne signifie pas forcément des coûts plus élevés.
La réussite de la cybersécurité à La Réunion dépendra de la capacité de l’île à construire une vision commune, à mobiliser les énergies et à faire preuve d’innovation dans le développement de son propre modèle. Un défi passionnant, que la Réunion est en mesure de relever qui doit lui permettre de devenir un territoire numérique sûr et prospère,
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