Indispensables au fonctionnement des téléphones portables, des voitures ou encore des satellites et des missiles, ces puces électroniques sont omniprésentes dans notre vie quotidienne. Elles constituent un enjeu d’indépendance industrielle majeur. Au moment de la crise de covid-19, la pénurie provoquée par l’augmentation de la demande en objets connectés a mis en lumière la dépendance de l’industrie vis-à-vis de l’Asie.

Les semi-conducteurs sont le « pétrole du XXIe siècle », des composants électroniques dont « tout le reste dépend ». Ces mots ont été prononcés par le chancelier allemand Olaf Scholz lors de l’inauguration d’une nouvelle usine construite par le fabricant de semi-conducteurs du même pays, Infineon, début mai 2023.

Dans le cadre du « Chips Act » – un vaste plan d’investissement de l’Union européenne d’une hauteur de 43 milliards d’euros, signé en avril 2023, avec l’objectif d’occuper 20 % de ce marché stratégique – l’Europe prévoit de multiplier sa production par quatre. Ils ne sont cependant pas les seuls à investir dans ce secteur critique.

Preuve que l’UE tente de trouver une place entre les géants asiatiques, qui disposent d’une large avance dans le domaine, et entre les États-Unis et la Chine qui investissent massivement dans le secteur pour atteindre eux-mêmes une autonomie stratégique.

L’évolution rapide des technologies telles que l’IoT, l’IA et la 5G alimente la demande exponentielle en semi-conducteurs. D’après une étude du cabinet McKinsey, le marché des semi-conducteurs devrait atteindre 1 000 milliards de dollars d’ici 2030, le double du chiffre actuel en moins d’une dizaine d’années. La production européenne devra donc être multipliée par quatre dans un contexte fortement concurrentiel.

De la conception à l’assemblage, un rouage international interdépendant

Rendus indispensables à l’économie mondiale, les semi-conducteurs sont le fruit d’un processus complexe décomposé en trois phases distinctes : la conception, la fonderie et l’assemblage. Chaque étape joue un rôle crucial dans la chaîne de production, et différents pays sont acteurs de ces différentes phases.

La première phase, la conception, est le point de départ du développement des semi-conducteurs. Elle implique la conception de circuits intégrés, la création de schémas et de modèles et le design. Cette phase est dominée par des acteurs tels que les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud. Ces pays abritent de grandes entreprises de conception de semi-conducteurs et disposent d’une expertise technique avancée.

Vient ensuite la fonderie des puces, qui, par la complexité et la sophistication de son processus de fabrication, est la partie la plus technique. L’innovation est un domaine clé pour la fabrication de machines capables de puces toujours plus fines, plus puissantes et plus résistantes. Taïwan, avec des entreprises comme TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), se place en tant que leader incontesté dans ce domaine. La Corée du Sud est également l’un des acteurs majeurs dans la fonderie, avec des entreprises comme Samsung.

Si la Chine a également su se positionner dans le secteur, la construction des puces les plus high-tech – qu’on retrouve dans le domaine militaire, avec les intelligences artificielles, mais aussi dans le dernier iPhone – est aux seules mains de la Corée du Sud et de Taïwan. Les deux pays asiatiques sont à ce jour les seuls capables de produire des puces haut de gamme avec une épaisseur de 3 nanomètres (50 000 fois plus fin qu’un cheveu).

Une large avance sur la concurrence chinoise, américaine et européenne qui peine à produire des semi-conducteurs de 7 nanomètres. Au-delà de la capacité technique, Taïwan affiche une domination écrasante dans cette technologie de pointe. Le géant TSMC détient à lui seul plus de 90% de la fabrication des puces les plus avancées.

Enfin, la dernière phase est l’assemblage, où les semi-conducteurs sont intégrés dans des dispositifs électroniques finaux. En tant qu’acteur majeur de l’industrie électronique grand public, la Chine se positionne comme un leader et comme premier importateur de semi-conducteurs. C’est également son principal poste d’importation, devant le pétrole.

Dans un contexte géopolitique tendu, où Taïwan fait face à la menace constante d’une invasion chinoise, la place centrale de TSMC dans la production de semi-conducteurs est considérée comme un « bouclier de silicium » pour la petite île. Une guerre ou une interruption de la production taïwanaise de semi-conducteurs, même temporaire, aurait des conséquences catastrophiques pour l’économie mondiale, et en particulier pour la Chine elle-même. Le pays dépend en effet à 70% de Taïwan pour ses importations.

La course à l’indépendance stratégique

Dans cette course effrénée pour sécuriser l’approvisionnement en semi-conducteurs, les enjeux géopolitiques sont nombreux. Le contrôle des technologies clés, la protection de la propriété intellectuelle et la sécurité des chaînes d’approvisionnement sont autant de préoccupations majeures pour les acteurs internationaux.

Dans un discours en octobre dernier, à l’occasion du 20e congrès du Parti, le président chinois Xi Jinping alerte sur les « goulots d’étranglement » qui freine la Chine dans sa « capacité à innover sur les plans scientifiques et technologiques ». Et de conclure que son pays « remportera à tout prix la bataille décisive visant à réaliser des percées autant dans les technologies de pointe que les technologies de base ». Ici, c’est la politique des États-Unis visant à freiner la montée en puissance de la Chine dans le domaine technologique et à protéger leur leadership dans les industries de pointe qui est visé.

La diminution considérable de la part des États-Unis dans la production mondiale de semi-conducteurs, qui est passée de 37% en 1990 à seulement 12% en 2020, est désormais perçue comme un risque majeur pour le pays. Avec l’interdiction d’exporter des puces haute-technologie vers la Chine, dans la poursuite judiciaire de Huawei ou encore quand le Sénat a dissuadé Apple de se fournir auprès de la fonderie chinoise Yangtze Memory Technologies Corp (YMTC), c’est l’argument de la sécurité nationale américaine qui a été dressé. Les deux pays se livrent ainsi à une guerre économique effrénée dans le domaine, entre investissements massifs dans les fleurons technologiques de leurs pays respectifs et condamnations de l’adversaire.

« L’Europe prend son destin en main » avait annoncé Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, à l’occasion de la conclusion du Chips Act, en avril 2023. Mais avec le double objectif d’atteindre une indépendance vis-à-vis des États-Unis pour la conception d’une part, et de l’Asie pour la fonderie d’autre part, l’accord entre les États membres sera-t-il suffisant pour atteindre l’objectif des 20% ? La plupart des experts s’accordent à dire que le retard technologique, le montant de l’investissement de 43 milliards d’euros considéré trop bas, ainsi que le manque de main-d’œuvre qualifiée dans le domaine ne feront pas le poids face à la concurrence étrangère.

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