Total Recall : mémoires reprogrammées est un film qui date de 2012. C’est l’adaptation d’une nouvelle de Philip K. Dick dont toute l’œuvre aura été une exploration de la réalité telle qu’elle est perçue et qui participe à la construction de l’identité des protagonistes de ses romans. C’est bien ce qui se joue dans la nouvelle comme dans le film : dans ce monde à venir, la mémoire peut-être modifiée. Des souvenirs peuvent être implantés. Quitte à ce que la distinction entre réel et fiction s’atténue… En plus de l’exploration de cette troublante incertitude, le film Total Recall est riche en figurations d’un avenir dystopique pour la Terre comme pour les humains. Il propose aussi des thèses audacieuses qui lui ont valu le désamour de la communauté SF, en plus d’être qualifié de « pâle remake » de l’adaptation de Paul Verhoeven, 1990. Cependant, il mérite notre attention en termes de prospective ! 

Alors, commençons par oublier les comparaisons et attachons-nous à explorer les propositions de Total Recall : mémoires reprogrammées. Et commençons par un étonnement. Alors que, aujourd’hui, les milieux scientifiques s’époumonent à avertir notre présent des urgences climatiques et environnementales, avec le GIEC comme porte-parole, le film construit sa tension initiale sur un conflit au cours duquel des armes chimiques auraient rendu la planète impropre à la vie, à l’exception des territoires de Grande-Bretagne et de l’Australie devenus, dans le film, l’Union fédérale britannique (UFB) et la Colonie. On ne se privera pas de noter l’évocation d’un Commonwealth miraculé, dans lequel, pourtant, les richesses sont loin d’être partagées, la Colonie n’ayant semble-t-il que sa main-d’œuvre à offrir aux usines de l’UFB ! On ne manquera pas non plus de noter la manière quelque peu cavalière d’évacuer les questions de l’impact des activités sur l’environnement, à moins que ce ne soit un moyen d’évoquer les actuelles tensions géopolitiques — en Ukraine, au Moyen-Orient, en Mer de Chine… — qui auraient plutôt tendance à réactualiser le risque de conflit planétaire. 

La science-fiction peut être prise en défaut… pour finalement mieux connaître notre monde ! 

Descendant du global vers le particulier, il faut s’arrêter quelques instants sur un des éléments clés de la géopolitique du film… . Il s’agit de la Chute, le moyen de transport qui permet aux classes laborieuses de la Colonie de travailler, tous les jours, dans les usines situées à l’autre bout de la Terre, en UFB. Cette Chute consiste en un train tubulaire qui plonge dans un immense tunnel passant à proximité du noyau de notre planète, nous précise le film. C’est ainsi que les deux territoires sont connectés. En essayant d’être un temps soit peu réaliste, il faut imaginer un tunnel de près de 14 500 kilomètres reliant Londres à Sydney. Il traverserait la croûte terrestre ainsi que les manteaux supérieur et inférieur. Longeant la discontinuité de Gutenberg située à environ 3 000 km de profondeur, il éviterait les conditions plus qu’extrêmes de pression et de température du noyau externe. 

Malgré les défis technologiques colossaux, supposons que des ingénieurs aient réussi à construire ce tunnel et à le maintenir stable. On est en terre de science-fiction, on en a le droit. Et laissons un wagon plein d’ouvriers tomber dans ce tunnel vidé de tout air. Après environ 33 minutes de chute, à mi-chemin, le wagon atteindrait une vitesse proche de 23 800 km/h, similaire à celle d’une capsule spatiale rentrant dans l’atmosphère. Grâce à l’élan acquis, notre train de l’extrême « remonterait » vers Londres, ne nécessitant qu’un léger apport énergétique pour compenser les frottements qui persistent toujours. Ainsi, en un peu plus d’une heure d’un extraordinaire voyage, nos travailleurs n’auraient qu’à rejoindre leurs usines. Somme toute, rien de bien différent des trajets que subissent nos banlieusards… À quelques gros détails près !!!

Bien que l’effort de licence créative soit moindre que dans le cas de la Chute, il va aussi falloir passer en pertes et profits un autre élément du film : les voitures magnétiques. Elles s’accrochent à leur piste magnétique comme si, au cours de leurs nombreuses courses poursuites, un fil invisible les empêchait d’en être éjectées. On comprend bien que le principe de lévitation magnétique consiste à générer une accélération qui s’oppose à la gravité, soit une force qui pousse le véhicule du bas vers le haut. Sachant que dans notre monde, les trains maglev restent des engins de très haute technologie — ils sont bardés de sécurités et de rails de contrainte — qui demeurent loin d’être réductible à la taille d’une voiture. Il semblerait que dans le monde de Total Recall, les véhicules sachent appliquer des forces obliques qui compensent la force centrifuge subie par les véhicules quand ils tournent, même avec violence comme lors d’un accident. Sur une voiture « roulante », c’est l’adhérence au sol des pneus qui assurent cette fonction… Jusqu’à ce que la voiture dérape… 

Une dystopie peut-être peu éloignée d’une réalité en train de se construire

De la Colonie, la pauvre, à l’UFB, la riche, — mais que veulent dire ces deux notions dans un monde dont seules 5 % des terres émergées restent viables ? — ces moyens de transports de science-fiction nous permettent néanmoins de découvrir des urbanismes aussi bien hallucinés que hallucinants. Du côté de la Colonie, la ville tient du bidonville à perte de vue quand à l’autre bout de la planète, le Londres que l’on connaît se trouve envahi par des construction high-tech au milieu desquelles slaloment et s’enchevêtrent des autoroutes sur lesquelles filent une nuée de véhicules à propulsion magnétique. Ces deux cauchemars urbains ont le mérite de nous montrer deux orientations que pourraient prendre les villes de demain si on n’en maîtrisait pas la croissance ; l’une et l’autre de ces visions tiennent du cancer urbain… 

Dans cette dystopie plus ou moins lointaine — l’explorer aura au moins été l’occasion de (re)découverte de quelques réalités physiques de notre monde — qui croule sous les défis géopolitiques, environnementaux, sociaux et urbains, les innovations accessibles ne manquent pas. Et c’est l’occasion de s’approcher un peu plus du particulier, de l’individu. 

On peut alors penser à ces robots anthropomorphes qui accompagnent et assistent les forces armées humaines. Quand on voit les progrès réalisés par des machines, aujourd’hui toujours en voie de développement, pas besoin d’être Madame Irma pour annoncer que le temps qui verra les machines côtoyer les humains au quotidien n’est pas loin. Ces machines étant les corps des IA, elles leur permettent d’agir dans le monde tangible. L’année 2025 est d’ailleurs annoncée comme celle qui verra émerger et se généraliser cette nouvelle fonction des IA. Après être devenues génératives, elles seront désormais agents, c’est-à-dire qu’elles agiront dans l’environnement et l’influenceront à leur avantage — à commencer par nos ordinateurs. Tant que ça n’est pas au détriment des humains, soit ! En tout cas, pour que nos robots rejoignent définitivement ceux du film, ce qui finalement ne semble plus si lointain que cela, restera une évolution à leur appliquer : celle de l’action létale autonome qui, pour le moment, demeure une décision qui reste entre les mains des humains. Mais pour combien de temps encore ? Sachant qu’il existe déjà des systèmes d’armement capables de tirs mortels automatiques. 

Vers une expérience du réel challengée par la technologie

À propos d’innovation accessible, on peut aussi penser à cet étrange téléphone implanté dans la paume de la main de l’usager. Cette tendance est une réalité : depuis que l’humain communique, depuis qu’il a commencé à développer des outils de communication, ce que Marshall McLuhan appelle les « extensions électromécaniques du corps de l’homme », on a constaté une incessante tendance à la réduction de la distance entre le médium et le corps de l’humain, que l’on parle de distance physique ou psychologique. Nos rapports « intimes » avec nos smartphones en sont une démonstration. Et les prochaines générations d’appareils qui sont en préparation continueront sur cette lancée. Les développeurs d’extensions neuronales, Neuralink d’Elon Musk en tête de liste, attendent en embuscade que le marché des implants de confort s’ouvrent à eux une fois la réussite des implants de soin confirmée. On aura encore réduit la distance puisque cette fois, le dispositif technique sera dans le corps de l’usager ! Et là, on touche au cœur de l’œuvre de Philip K. Dick : que restera-t-il du réel quand sa perception pourra être modifiée par un dispositif technique ? Parce que c’est bien ce qui se joue dans Total Recall : mémoires reprogrammées.

Douglas Quaid, le héros interprété par Colin Farrell, jouant avec sa mémoire, ne sait plus s’il est dans son rêve ou dans la réalité. Et, pire encore, les antagonistes, connaissant le trouble qui a été instillé dans l’esprit de Quaid, cherchent à le manipuler en jouant la réalité comme si elle était la fiction. Aujourd’hui, des expériences ont montré que l’on pouvait implanter un faux souvenir dans des souris. On leur a appris à avoir peur d’un lieu dans lequel elles n’avaient jamais rien expérimenté de désagréable. Donc, Total Recall n’est plus de l’ordre de la fiction, même si le chemin est sûrement encore long avant d’implanter une histoire, une expérience dans un humain ! Néanmoins, avec les implants neurologiques et leur maîtrise des interfaces humain-machine et avec celle de la création de faux souvenirs, de nouvelles questions émergent dans notre modernité, questions autant éthiques que stratégiques : comment protéger un individu du risque de piratage de sa mémoire, de son esprit ? Comment m’assurer que ce dont je me souviens a bien été une expérience vécue ? Comment m’assurer que ce que je vis à cet instant est bien la réalité ? Un autre film a exploré cette question abyssale : c’était Inception, le film de Christopher Nolan. Là, le procédé de piratage était biochimique et analogique.  Total Recall : mémoires reprogrammées nous dit que ces piratages pourront prendre des voies technologiques et sont peut-être plus proches qu’on ne veut bien l’admettre. Alors, demain, qui croire ?  

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