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L’assistant numérique : nouveau membre d’équipage des vols habités
Par définition, le spatial est certainement le secteur le plus technologique qui soit. Si les engins des débuts de l’ère spatiale, dont les premières capsules habitées, ne disposaient même pas d’ordinateur de bord, les possibilités aujourd’hui fournies par les assistants numériques semblent illimitées.
Comme évoqué dans un précédent article, la réussite du premier alunissage piloté de l’histoire, celui d’Apollo 11 avec Neil Armstrong et Buzz Aldrin le 20 juillet 1969, fut une prouesse qui tient majoritairement aux compétences de pilotage des deux astronautes qu’à la précision des instruments avioniques embarqués sur le vaisseau. Est-il besoin de rappeler les performances des ordinateurs de bord du module lunaire (LM) conçu par la vénérable firme Grumman ?
Développé par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) et construit par l’entreprise Raytheon, l’Apollo Guidance Computer (AGC) avait une capacité de quatre petits kilo-octets de mémoire vive (et 72 de mémoire morte). Déployé pour la première fois le 25 août 1966 lors de l’essai suborbital AS-202 de la capsule Apollo, il pesait 32 kilos, ce qui fait aujourd’hui sourire au regard des dimensions et performances de nos ordinateurs de bureau actuels. Deux exemplaires étaient installés : l’un dans le vaisseau Apollo et l’autre dans le LM. L’AGC, qui fut le premier assistant numérique de l’histoire des vols spatiaux, est arrivé au bord de la saturation pendant la phase finale de descente vers la surface sélène.
Deux alarmes retentiront dans l’étroite cabine lunaire : les « 1202 » et « 1201 » respectivement à 1 830 mètres et 600 mètres d’altitude. Elles indiquaient que l’ordinateur de bord absorbait trop de données mais qu’il restait malgré tout dans des limites acceptables.
Nouvelles bases
Le retour sur la Lune, que nous allons vivre avec le programme Artemis, s’envisage dans des conditions différentes des années 1960. A bien y regarder, il n’est finalement pas si éloigné de la vision de Stanley Kubrick et d’Arthur C.Clarke dans « 2001, l’Odyssée de l’Espace », sorti en 1968. Une vision de la conquête spatiale où les outils numériques de toutes sortes se sont massivement imposés à l’orée du 21e siècle.
Outre des ordinateurs surpuissants, il existe aujourd’hui des outils numériques avec des simulations 3D permettant de visualiser un satellite, ou l’intérieur d’une station spatiale, dans sa future configuration avant même l’assemblage physique. Dans ce domaine, Thales Alenia Space (TAS) a mis au point l’une des plus spectaculaires réalisations permettant de visualiser l’environnement de la future station lunaire Gateway, dont les premiers éléments doivent être expédiés vers l’orbite lunaire en 2025.
La station lunaire Gateway comme si vous étiez (TAS)
Pour mémoire, TAS doit assurer la fourniture des modules logistique ESPRIT et d’habitation I-Hab de ce nouvel avant-poste humain. La simulation 3D en question, qui se veut évolutive, est notamment utilisée par les astronautes pour valider les paramètres intérieurs de la Gateway. Ils peuvent ainsi se préparer à vivre et travailler dans les modules pressurisés qu’ils aborderont lors des missions Artemis prévues autour de notre satellite.
Une vue imprenable
Le résultat donne l’impression de se trouver en orbite lunaire. La simulation est conçue de telle sorte qu’il est possible d’évoluer à l’intérieur des différents modules ou alors à l’extérieur, avec une vue imprenable sur la Lune et la Terre. Au-delà de son aspect forcément spectaculaire, l’utilisation de la réalité augmentée ne se limite pas à la conception de la Gateway. Elle permet également de projeter des images des satellites en production de manière à indiquer aux opérateurs l’endroit exact où poser les différents éléments lors de l’assemblage.
Plus spécifiquement, les éléments de la Gateway sur lesquels TAS est impliqué, pourraient bénéficier d’assistants domotiques internes en cours de développement dont DOMAI (DOMotic, internal, communication System &AI), un dispositif de communication sans fil ou SIDISSI (Systema Domotico per Stazione Spaziale) pour l’activation des lumières et des capteurs dans une station.
De tels exemples figuraient déjà dans la vision de Kubrick mais le plus fameux n’est-il pas Hal-9000, le super-ordinateur doué de raison, qui assure la gestion de tous les systèmes internes du vaisseau Discovery en route vers la planète Jupiter ? « Nous n’en sommes pas encore là mais ce serait certainement utile dans quelques cas », s’amuse ainsi Leopold Summerer, responsable des systèmes avancés au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA). Si Hal-9000 n’est clairement pas pour demain, ni même après-demain, on peut néanmoins trouver quelque chose qui s’en approche.
Un éclaireur
Le 16 novembre 2022, le premier exemplaire de la fusée lunaire SLS de la NASA décollait depuis Cap Kennedy. Objectif : tester à vide le premier exemplaire de la capsule Orion, développée par Lockheed Martin et dont le module de propulsion ESM (European Service Module) est assemblé par Airbus DS*. Cette première mission du programme, étirée jusqu’au 11 décembre suivant, s’est déroulée sans problème majeur. S’il n’y avait pas de passager, le mannequin en combinaison de vol « Commander Moonikin Campos » était toutefois installé à la place du commandant.
Bardé de capteurs, il servait à mesurer l’impact des vibrations et accélérations ressenties par un astronaute pendant les phases critiques du vol. Mais « Orion-Artemis-1 » disposait aussi, sur son tableau de bord, d’un outil qui ne figurait pas sur celui d’Apollo : l’expérience Callisto. Conçue en partenariat avec Amazon, Webex et Cisco pour le compte de Lockheed Martin, cette interface, dérivée d’Alexa, a pour but de démontrer l’usage dans l’espace de la technologie des assistants vocaux et visuels, aujourd’hui très largement répandue dans la vie courante puisque la quasi-totalité des ordinateurs de bureau en sont aujourd’hui équipés notamment avec Siri.
Dans le cadre des futures missions humaines vers la Lune, ce genre de dispositif pourrait donc trouver une place de choix dans la future boîte à outils des astronautes engagés dans une mission dans l’espace lointain. Plusieurs vidéos, disponibles sur le site de Lockheed Martin, montrent l’activation par la voix de l’interface installée sur le tableau de bord du vaisseau Orion alors que celui-ci se trouvait en route pour la Lune et à plus de 200 000 km de la Terre. L’intégration de cette charge utile dans l’habitacle combine du matériel de qualité spatiale avec un logiciel de traitement acoustique et audio d’Amazon.
L’expérience Callisto est au centre du tableau de bord d’Orion-Artemis1 (Lockheed Martin).
La mission avec équipage Artemis-2, planifiée fin 2024, devrait intégrer une interface similaire. Selon « LM », le futur matériel et les logiciels Alexa, conçus sur mesure, pourront accéder à la télémétrie de bord en temps réel afin de répondre à des questions spécifiques à la mission. Lockheed Martin indique sur son site que l’interface pourra répondre à des milliers de questions spécifiques de la mission : « Alexa, à quelle vitesse Orion voyage-t-il ?… Quelle est la température dans la cabine ? ».
A terme, cette charge utile pourrait contrôler les appareils connectés dans le vaisseau et même son orientation dans l’espace. Mais jusqu’où est-il possible d’aller ? « …Difficile de répondre à cette question car dans l’exploration spatiale, la réponse ne sera pas forcément la même que dans d’autres secteurs comme la médecine », ajoute Léopold Summerer. Une chose est néanmoins certaine, les possibilités de l’IA n’ont pas fini de nous surprendre.
*Bien que très impliqué sur la question du vol habité, Airbus n’a pas répondu à nos multiples demandes sur la question de l’assistance numérique dans ce domaine.
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