Sujet brûlant de la 16e European Space Conference de Bruxelles les 23 et 24 janvier, les acteurs européens du spatial ont dressé les grandes lignes de ce que sera la future constellation Internet du Vieux Continent lors d’une table ronde. La Commission Européenne doit recueillir leur proposition d’ici le 14 février.

Décidée il y a tout juste deux ans par la Commission européenne, celle que l’on a souvent appelé familièrement la « constellation Breton » s’apprête à franchir une étape décisive. A la mi-février 2024, les grands acteurs de l’industrie (Airbus DS, Thales Alenia Space, Hispasat, SES, T-Systems Eutelsat), remettront leur copie finale à la Commission. Cependant, la signature du contrat, d’une durée de douze ans, n’aura lieu qu’en mars 2024 comme l’a d’ailleurs précisé Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, peu de temps avant le panel.

Les différents participants du panel sont ainsi restés prudents sur les détails de leur proposition qui prend la forme d’un partenariat public-privé (PPP). Néanmoins, certaines informations commencent à filtrer. L’architecture retenue pour Iris2 (Infrastructure de résilience internet satellitaire sécurisée), pourrait se composer d’au moins deux cents satellites réparties sur les orbites basse (LEO), moyenne (MEO) et géostationnaire (GEO) alors que, de son côté, Starlink fonctionne pour l’instant uniquement sur l’orbite basse.

S’il n’y a pour le moment rien d’officiel, l’occupation de l’orbite basse par Iris2 nécessitera une colonne vertébrale d’au moins 170 satellites. « C’est un ordre de grandeur pour avoir une couverture continue de la Terre », précise Christophe Allemand, rattaché à la direction de la connectivité et de la communication sécurisée au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA). Sur l’orbite moyenne, une trentaine de satellites serait nécessaire « mais il y aura un temps de latence supérieure à ce que l’on peut avoir en LEO », ajoute le responsable.

Côté masse, les satellites Starlink et OneWeb étant de petit gabarit (150 kilos pour ces derniers et tout de même 1,2 tonne pour la V.2.0 de Starlink), les futurs relais Iris2 pourraient également obéir à cette logique. De plus, afin qu’ils puissent s’intégrer à d’autres systèmes de communication, à l’inverse de Starlink qui fonctionne en circuit fermé, il est prévu que les satellites soient compatibles avec les normes de 5G utilisées par les opérateurs de télécommunication terrestre. Mais, la proposition retenue sera « celle qui offre l’architecture la plus pertinente pour l’Union et les partenaires commerciaux du consortium », insiste Christophe Allemand.

Pour mémoire, IRIS2 doit devenir la troisième composante satellitaire de l’Europe après les systèmes Galileo (géo-positionnement) et Copernicus (observation de la Terre). Sa mission principale sera d’assurer la sécurité des télécommunications gouvernementales et des services publics tout en assurant une couverture Internet globale.

Un atout pour l’Europe

L’un des premiers enjeux d’Iris2, qui représente un financement de 6 milliards d’euros sur 12 ans*, c’est d’abord d’assurer la souveraineté européenne y compris dans des zones d’importance pour le Vieux Continent dont l’Afrique ou encore les régions arctiques. Lors de l’édition 2022 de la Space Conference, le commissaire Breton avait déclaré que « nous fournirons un accès à tous les Européens en mettant fin aux zones mortes ». De plus, « La constellation Iris2 est importante pour l’Europe car l’espace est stratégique. C’est un atout », estime pour sa part Ruy Pinto, CEO de l’opérateur luxembourgeois SES. Il s’agit en effet d’assurer la fourniture d’un service à des moments pouvant être critiques, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles voire de conflits.

Si l’on prend l’exemple de la constellation Starlink, elle est largement soumise aux décisions de son PDG (Elon Musk) qui peut choisir arbitrairement de ne plus fournir d’accès à son service. Ce dernier avait d’ailleurs décidé, en septembre 2023, de couper l’entrée de son réseau au gouvernement ukrainien lors d’une attaque de drones sur la flotte russe déployée en Mer Noire. Pour l’Europe, ce sera donc une sûreté d’avoir un système où la disponibilité du service pour ses utilisateurs critiques sera décidée à Bruxelles par la gouvernance des états membres.

Second enjeu : la constellation Iris2 pourra également fournir des services aux armées. « La constellation sera capable d’embarquer des charges utiles militaires », Thierry Breton. Ce dernier déclarait également que la guerre entre la Russie et l’Ukraine, démarrée il y a maintenant deux ans, démontre la nécessité d’une constellation conçue également à des fins militaires pour les états membres de l’Union Européenne.

Aller vite

Par ailleurs, dans la conception des satellites, il n’est pas exclu que de la place soit conservée afin de pouvoir embarquer des charges utiles complémentaires notamment pour des missions d’observation (Hosted Payload). « Mais cela va dépendre de l’appel à idées et des personnes qui sont prêtes à investir », explique Marc-Henri Serre, vice-président exécutif de l’activité télécommunications de Thales Alenia Space (TAS). Un tel procédé a déjà été utilisé par le passé, entre autres, sur le programme Copernicus, pour installer la charge utile Sentinel 4 sur les deux satellites Meteosat de troisième génération MTG-S (S pour sondeur) actuellement en développement chez Thales Alenia Space, à Cannes.

Côté sécurisation, Iris2 sera sécurisée « grâce à nos systèmes de cryptographie de nouvelle génération », ajoute Marc-Henri Serre, mais sans donner plus de précision. Ce ne sera toutefois pas avec la technologie quantique TeQuantS, également à l’étude chez TAS. Celle-ci ne devrait en effet être mûre « qu’aux alentours de 2030 ou 2035 ».

Plus d’un lanceur nécessaire

Et il faut en effet aller vite, car le déploiement d’Iris2 doit intervenir dès l’année prochaine mais il reste en fait suspendu à l’arrivée d’Ariane 6 (même si les premiers services seront disponibles via l’initiative GovSatcom de l’UE dès la fin de cette année). Après une décennie de développement (et près de quatre ans de retard), le nouveau lanceur lourd européen doit réaliser son entrée en scène à partir du 15 juin 2024. Steven Rutgers, le directeur commercial d’Arianespace a confirmé, pendant la table ronde, qu’Ariane 6 se préparait pour son vol inaugural. Les principaux éléments du premier modèle de vol (FM-1) – les étages supérieur et central -, sont « quasi-finalement » intégrés dans les installations allemande (Brême notamment) et française (Les Mureaux) d’ArianeGroup.

Leur expédition vers le Centre spatial guyanais (CSG), par le navire Canopée, doit avoir lieu dans les toutes prochaines semaines. « Mais pour permettre le déploiement des satellites {de la constellation}, nous avons besoin de deux choses », souligne pour sa part Ekaterini Kavvada, directrice du développement spatial et de l’innovation au sein de la Commission Européenne. « Il s’agit d’un lanceur européen (Ariane 6) mais il nous faut plus d’un lanceur », ajoute la dirigeante.

Ce qui suggère que le déploiement d’Iris2 se fasse également avec les opérateurs européens de mini-lanceurs. À ce jour, l’espagnol PLD Space est le seul opérateur du Vieux Continent à avoir concrétisé un vol suborbital avec sa fusée Miura-1, le 7 octobre 2023, au terme de douze années de développement. Son Miura-5 orbital doit voler pour la première fois, en 2025, depuis la Guyane. Ekaterini Kavvada a par ailleurs insisté sur le fait que dès que ces opérateurs seront prêts, ils devront apporter un soutien à Arianespace pour déployer la constellation qui doit être pleinement opérationnelle, dès 2027.

*Dans ce PPP, l’UE mettra 2,4 milliards d’euros sur 12 ans, l’ESA 750 millions, le reste (60%) étant apporté par les industriels.

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