Amorcée l’an dernier avec la mission Artemis 1, la nouvelle conquête de la Lune sera différente de celle des années 1960. Les missions qui partiront dans les prochaines années devraient notamment bénéficier de l’apport de satellites de télécommunications, déployés sur orbite sélène.

La seconde vague d’exploration lunaire qui débute avec le programme Artemis n’a, techniquement, plus grand-chose à voir avec celle des pionniers d’Apollo. A l’époque, la seule aide pour alunir en douceur repose sur la reconnaissance photographique des premières sondes automatiques, effectuée notamment par les cinq Lunar Orbiter de la NASA entre 1966 et 1968. La prouesse du premier « soft-landing » sur notre satellite est cependant accomplie par la soviétique Luna 9 le 3 février 1966, suivie le 2 juin par l’américaine Surveyor 1.

Pendant deux ans, les Lunar Orbiter cartographieront le territoire lunaire pour préparer l’historique vol Apollo 11 de Neil Armstrong et Buzz Aldrin en juillet 1969. Sans autre aide que cette reconnaissance photographique préliminaire, de celle des instruments de bord du LM Eagle et des compétences de pilote d’Armstrong, les deux astronautes se poseront à sept kilomètres du lieu initialement prévu. Quatre mois plus tard, à bord d’Apollo 12, Pete Conrad et Alan Bean feront mieux en alunissant à précisément 163 mètres de leur objectif : la sonde Surveyor 3 qui attend dans l’Océan des Tempêtes depuis le 20 avril 1967. Il s’agit toutefois d’un cas unique.

Baliser le terrain

Dans les années 1960, l’ambition était de tenir, en moins de dix ans, le pari lunaire du président Kennedy. Celle des années 2020 est de réussir une exploration durable de notre satellite. Mais se poser sur la Lune reste encore un exercice difficile. En 2023, les sondes japonaise Hakuto-R et russe Luna 25 ont échoué à alunir. Et le retour des hommes sur le sol sélène, planifié avec la mission Artemis 3, normalement fin 2025, nécessite, là aussi, de « baliser le terrain ».

D’après une étude du cabinet de conseil NSR, 400 missions lunaires, aussi bien institutionnelles que privées, sont attendues dans les prochaines années. Selon nos informations, ces 400 missions (habités et automatiques) représentent un marché « d’environ 140 milliards de dollars » d’ici dix ans.

Dans cette optique, la NASA travaille sur LunaNet : un projet qui repose sur un cadre de normes, de protocoles et de spécifications d’interface mutuellement convenus qui permettent l’interopérabilité des futurs réseaux. De son côté, l’agence spatiale européenne (ESA) a officialisé le 20 mai 2021 une étude de faisabilité sur un projet de réseau destiné à fournir des services de navigation et de navigation, baptisé MoonLight. Il préfigure le premier stade d’un Internet. Deux consortiums ont ainsi été mandatés.

Le premier est mené par l’anglais SSTL, avec SES et Airbus, ainsi que Kongsberg Satellite Service et la société britannique de navigation par satellite GMV-NSL. Le second est dirigé par Telespazio auquel sont associés Thales Alenia Space (TAS), Inmarsat, Hispasat, MDA, OHB Systems, Altec et Nanoracks Europe. Moonlight dispose d’un premier financement de 153 millions d’euros validé lors du Conseil Ministériel européen sur l’espace de Paris (CM22) les 22 et 23 novembre 2022. Une seconde tranche est attendue lors du Conseil de 2025.

Mais l’ESA attend aujourd’hui les propositions des industriels. Le choix du consortium sélectionné pourrait être dévoilé d’ici début 2024. De son côté, en 2020, Nokia a reçu une dotation de 14,1 millions de dollars (13,3 millions d’euros) pour tester un système LTE/4G sur le sol lunaire à bord du lander Nova-C d’Intituive Machines. Le décollage pour le pôle Sud lunaire est envisagé dès janvier 2024 sur Falcon 9.

Moonlight pourra permettre aux futures missions de se poser où elles le souhaitent sur la Lune

Des services conjoints

Concrètement, quels seraient les avantages d’un réseau de satellites lunaires dédiés à la navigation et aux communications ? « Ce sera de permettre aux missions humaines et robotiques de se poser là où elles le souhaitent », explique Fabrice Joly, de la division Projets Futurs et Applications à l’ESA. Les robots mobiles qui arpenteront bientôt le sol de notre satellite pourraient ainsi se déplacer plus rapidement.

Une note établie par l’Association nationale de recherche technologique (ANRT), en septembre 2022, souligne qu’une constellation lunaire de communication et de navigation présente deux intérêts. Le premier est que « de nombreuses missions sont limitées par le volume d’emport, leur capacité de transfert de données depuis la Lune, ou par des difficultés de communication en temps réel avec la Terre. Nombreuses sont les missions qui souffrent déjà et souffriront encore d’une précision limitée en termes de navigation lors de la descente vers la Lune ».

Le second intérêt réside dans le fait que la constellation Moonlight « permettra à des nations spatiales ou à des entreprises à budget spatial réduit de viser malgré tout la Lune ». Compte tenu de la distance réduite avec la Lune, il serait possible d’opérer quasiment en direct des véhicules mobiles, et d’autres équipements, depuis la Terre. A plus long terme, des services commerciaux pourraient s’envisager.

Par ailleurs, un recours à un service conjoint de télécommunications et de navigation pourrait simplifier la conception des futures missions en libérant de l’espace sur les plateformes pour davantage d’instruments scientifiques ou d’autres cargaisons. Ce qui pourrait permettre de réduire les coûts. « Avec Moonlight, on allège chaque mission individuellement avec moins de hardware ainsi que de systèmes complexes et coûteux », ajoute Fabrice Joly.

A terme, un futur client

Mais à quoi ressemblera le futur réseau ? Dans un premier temps, il s’agira d’installer en orbite lunaire « trois à quatre satellites d’environ une tonne, en fonction de la distribution des fonctions de communication et de navigation », poursuit Fabrice Joly. Leur positionnement pourrait avoir lieu « au-dessus des quatre points cardinaux de la Lune » pour fournir des services optimaux aux futurs utilisateurs et pas uniquement à l’ESA qui, à terme, a vocation à devenir un client comme un autre.

Avec Moonlight, il s’agit donc de fournir un service à toutes les missions privées et institutionnelles. Pour assurer la pérennité économique du futur dispositif, un système d’abonnements est évoqué. Cependant, Il faudra d’abord tester le système. Dès 2025, l’ESA doit ainsi lancer autour de la Lune le satellite de démonstration Lunar Pathfinder, développé par SSTL. Sa charge utile comporte notamment un récepteur GNSS de l’ESA, capable de détecter les signaux des infrastructures GNSS (Galileo/GPS). L’expérience devra permettre de démontrer son rôle pour la future navigation lunaire.

Mis au point par SSTL (via SSTL Lunar), c’est l’Américain Firefly Aerospace qui doit le lancer dans le cadre de l’initiative CLPS (Commercial Lunar Payload Service) de la NASA. Lunar Pathfinder devra relayer les télécoms UHF et la bande S vers le sol lunaire et, en bande X, en direction de la Terre.

Conçu par SSTL, le démonstrateur Lunar Pathinder doit être lancé dès 2025 autour de la Lune

Un coup d’avance pour la Chine

En matière de relais de télécommunications lunaire, la Chine a déjà un coup d’avance. Pour communiquer avec son alunisseur Chang’E-4, posé sur la face cachée le 3 janvier 2019, l’agence nationale spatiale chinoise (CNSA) a déployé, en mai 2018, Queqiao-1, un petit satellite de 425 kilos. En 2024, la sonde Chang’E-6, qui vise également la face cachée pour en rapporter quelques échantillons de roche sur Terre, disposera du satellite relais Queqiao-2.

Outre Chang’E-6, Queqiao 2 devrait également servir de relais pour les futures Chang’E-7 et Chang’E-8. La Chine ne fait qu’expérimenter les bases de son réseau de communications pour son propre projet de station lunaire baptisé « International Lunar Research Station » (ILRS) qu’elle a officialisé en 2021. Regroupant aujourd’hui sept pays, dont la Russie, ILRS est une réponse au programme Artemis.

L’installation durable d’infrastructures lunaires va donc se faire avec la mise en place d’un dispositif qui facilitera les futures arrivées en provenance de la Terre. Pour l’Europe, ce sera une manière d’obtenir une autonomie stratégique en matière de communication et de navigation de ses futures missions dont le vaisseau ravitailleur Argonaut. L’utilisation de Moonlight doit lui fournir une précision d’alunissage de moins de cent mètres. Un point capital pour acheminer en toute sécurité les nouveaux explorateurs lunaires.

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