Après l’IA Act, les procédures de l’autorité européenne de la concurrence visant Microsoft, OpenIA, puis les IA génératives, c’est au tour de l’Autorité française de la concurrence de se pencher sur l’IA. En cause, la concentration et l’intégration verticale du marché qui pourrait tuer toute concurrence. Au point de faire des géants de la Tech des seigneurs d’empires ?

Le marché de l’IA générative se trouve sous le projecteur de l’Autorité de la concurrence. Face aux « enjeux importants et à l’évolution très rapide de ce secteur », la structure administrative indépendante française a annoncé, le 8 février 2024, s’être autosaisie pour « analyser son fonctionnement concurrentiel ». Dans son collimateur, la concentration du marché en amont et en aval, notamment les « pratiques mises en œuvre par les acteurs déjà présents sur l’infrastructure cloud ».

Il faut dire que le gâteau est déjà colossal et devrait croître de manière fulgurante ces prochaines années. Évalué à 42 milliards de dollars en 2023 par Statista, soit le double de 2022, le marché de l’IA générative « devrait croître en moyenne de 24 % par an, ce qui devrait se traduire par un chiffre d’affaires annuel de plus de 200 milliards d’euros à l’horizon 2030 », estime l’institut de statistiques.

De quoi aiguiser les appétits. Et l’Autorité de la concurrence vise juste quand elle estime que les acteurs dominants dans le cloud « contrôlent déjà des intrants clés ou des marchés adjacents » et seront tentés d’en profiter pour s’assurer le contrôle des services commercialisés en aval. Cette « intégration verticale » aura pour conséquence possible « d’exclure des modèles de fondation concurrents ou l’entrée sur le marché d’entreprises actives plus à l’aval de la chaîne de valeur de l’IA générative », craignent les gardiens de la concurrence.

Puces pour ChatGPT : un projet à 7 000 milliards de dollars

De fait, le processus est déjà à l’œuvre, notamment autour des acteurs du cloud. Ils sont propriétaires ou exploitants des indispensables big data qui nourrissent les processus d’apprentissage de l’IA, maîtres des brevets, des applications commerciales et souvent des appareils ou réseaux qui exploitent l’IA. Leur intégration verticale va jusqu’à la production de processeurs uniquement dédiés à faire tourner les modèles de fondation d’IA, à l’exemple de « Trainium », produite par Amazon Web Services (AWS) ou « Artemis », la puce maison de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp et Oculus VR.). Elles viennent concurrencer celles des fondeurs traditionnels comme AMD ou des concepteurs de puces, comme Nvidia.

Ils pourraient toutefois bientôt être dépassés par… Open AI. Sam Altman, fondateur de la startup à l’origine de ChatGPT, fait depuis janvier 2024 le tour des fonds d’investissement pour pouvoir concevoir et construire ses propres équipements de fabrication de semi-conducteurs. Selon un article du Wall Street Journal paru le 8 février 2024, il pourrait ainsi récolter entre 5 000 et 7 000 milliards de dollars. De quoi bouleverser l’industrie du semi-conducteur et écraser la concurrence sur ce secteur stratégique.

Il cherche à rassembler investisseurs, fournisseurs d’énergie et fabricants de puces pour produire des semi-conducteurs de prochaine génération capables de booster les performances de ChatGPT. Si un tel projet voyait le jour, l’Autorité de la concurrence aurait du souci à se faire. Les concurrents de l’alliance Microsoft/ChatGPT aussi.

Microsoft/OpenAI : fusion ou pas fusion ?

Car en attendant une nouvelle phase de la guerre des puces, c’est bien sur les services dopés à l’IA générative que la concurrence fait rage. Là aussi, la concentration du marché inquiète. En 2022, ChatGPT dominait la concurrence avec 19,7% de parts de marché des générateurs de texte, contre 13,4 % pour Jasper Chat, toujours selon Statista. En conséquence, le partenariat entre Microsoft et OpenAI est scruté par le gendarme britannique de la concurrence. La Competition and Markets Authority (CMA) avait annoncé, début décembre 2023, qu’elle chercherait à savoir s’il s’apparentait à une fusion.

De plus, Microsoft, habitué des procédures pour abus de position dominante de la part des instances européennes, est à nouveau dans leur collimateur. Début janvier 2024, la Commission a décidé de vérifier si « l’investissement de Microsoft dans OpenAI peut faire l’objet d’un examen au titre du règlement de l’UE sur les concentrations ». Bruxelles s’inquiète d’une possible concentration excessive du marché et de l’accaparement des innovations par les géants de la Tech.

Dans la foulée, la Commission a annoncé avoir lancé « deux appels à contributions sur la concurrence », l’un concernant « les mondes virtuels » et l’autre « l’intelligence artificielle générative ». Un souci ancien puisque l’Union européenne est pionnière en matière de régulation de l’intelligence artificielle avec son IA Act, remanié en dernière minute pour prendre en compte la déferlante ChatGPT. Validé le 2 février 2024 par les 27, le règlement suscite des craintes, notamment de la France.

Bruxelles impuissant

« Nous pouvons réguler beaucoup plus vite que nos compétiteurs, mais il faut être à la bonne vitesse. Si nous perdons des leaders à cause de cela, il faudra revenir dessus », avait critiqué Emmanuel Macron, craignant que le texte européen ne freine la croissance de sociétés françaises, comme Mistral AI, ou allemandes, comme Aleph Alpha.

Le texte interdit « les systèmes de catégorisation biométrique utilisant des caractéristiques sensibles (par exemple : opinions politiques, religieuses, philosophiques, orientation sexuelle, race) » et d’autres applications jugées trop dangereuses. Pour les autres, il prévoyait des obligations en fonction du niveau de risque des systèmes d’IA, allant jusqu’à des études d’impact avant commercialisation pour les plus sensibles. L’arrivée de ChatGPT a fait évoluer ce modèle et le règlement insiste désormais davantage sur l’introduction d’obligations plus strictes pour les modèles de fondations à « fort impact », tel que GPT-4.

Problème : comment évaluer ce « fort impact » ? Par la puissance de calcul nécessaire pour entraîner le modèle puis le faire tourner ? La base d’utilisateurs ou le volume de données dont est nourri le modèle ? Tous ces critères sont nécessaires, mais non suffisants. Ils pointent néanmoins tous vers les entreprises ayant réalisé des économies d’échelle importantes grâce à leurs services cloud, les hyperscalers comme AWS d’Amazon, Azure de Microsoft et Google Cloud d’Alphabet. Or, le DMA (Digital Market Act) n’a pas réussi à ce jour à désigner un seul service cloud comme contrôleur d’accès au marché du numérique.

Intégration verticale, cauchemar pour la concurrence

En attendant que l’IA Act entre en vigueur et produise (ou pas) ses effets, le marché de l’IA générative est en pleine ébullition. Il est cependant à craindre que la plupart des acteurs qui se lancent dans l’aventure ne tiennent pas la distance, en raison des coûts d’infrastructure élevés liés aux puissants modèles d’IA. Et le marché continue à se concentrer, avec les géants qui utilisent plusieurs procédés pour conforter leur position.

Ils assèchent tout d’abord la concurrence en multipliant les offres, à l’exemple d’AWS qui va lancer Amazon Q, un assistant virtuel destiné aux entreprises, destiné à concurrencer le logiciel Copilot de Microsoft ou Einstein Copilot de Salesforce. Il sera « capable d’aller consulter des bases de données des entreprises, et lancer des actions de recommandation à partir de ces données pour booster leur productivité », expliquait au Figaro Stephan Hadinger, directeur technique d’AWS en France. Que pèsera face à ce mastodonte GenIA-L, l’IA spécialisée en droit lancée par les éditions Dalloz, le jour où AWS décidera de cibler ce marché ?

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